Playboy (France)

C’est l’histoire d’uN désir, pulsioNNel et vital, effrayaNt et fasciNaNt daNs sa démesure.

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nicolor. C’est d’abord ce ralenti impercepti­ble qui rend vaporeuse la descente de police inaugurale parmi les filles de joie rudoyées et révoltées. Puis ce sont ces rituels punitifs dues aux michetonne­uses vengeresse­s, qui semblent davantage vécus que joués et qui, dès la sortie du film, ont fait sa légende. De mémorables scènes d’exhibition, comme celle de cette répudiée, prisonnièr­e d’un filet de pêche et offerte dans le plus simple appareil au regard des badauds. Ou ces avant-gardistes séquences de bondage et de flagellati­on frénétique où les corps défient la gravitatio­n universell­e et laissent entrevoir une nudité provocante.

VIOLS EN SÉRIE

Suzuki s’autorise toutes les audaces, explose de l’intérieur les genres cinématogr­aphiques qu’il a contribué à créer. il abolit le champ-contrecham­ps, joue de surimpress­ions qui fusionnent en un plan les contraires qui s’attirent. il distord le son et l’image pour emboîter réalité et fantasme. il retrouve la magie de la traver- sée du miroir propre au Sang des bêtes de Franju, lorsqu’au naturalism­e de la mise à mort spectacula­ire d’un boeuf répond la poésie surréelle du regard extatique des jeunes femmes, ivres de joie face au festin qui s’annonce. Tokyo en perdition est un théâtre tragicomiq­ue dont les personnage­s peuvent briller comme sur les planches, dans le rayon d’une poursuite de quelque éclairagis­te égaré.

Derrière la dureté des relations humaines, Suzuki redonne sa dignité à chacun, à ce Japon humilié par l’occupant et en proie à la culpabilit­é de s’être laissé mené par ses élites dans un précipice. Et bientôt, l’érotomanie militante révèle un regard libertaire lorsque la violence sexuelle se politise et qu’un viol répond à l’autre : celui de l’héroïne par des Gi jouissant de l’impunité du vainqueur ; celui, inouï, de ce missionnai­re noir américain que soumet plus tard cette même femme outragée dans un terrain vague de cauchemar face à une église abandonnée. Cette ivresse des sens du survivant contamine tout. Elle atteint son paroxysme poétique quand l’amour fou se matérialis­e enfin en une magnifique et bestiale morsure. “Je t’aime à te bouffer”, vieil axiome. Mais Gainsbourg lui aussi nous avait prévenus : “L’amour physique est sans issue.”

Collection Seijun Suzuki en Blu-ray/ DVD chez Éléphant Films : la Barrière de chair, Histoire d’une prostituée, le Vagabond de Tokyo, la Jeunesse de la bête, la Marque du tueur, Détective Bureau 2-3.

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