Première - Hors-série

LES REVENANTS : QUE S’EST-IL PASSÉ?

Saison 1 triomphale, saison 2 laminée, trois ans d’attente entre les deux... Le créateur Fabrice Gobert et le directeur de la fiction de Canal+, Fabrice de la Patellière, reviennent sur la sortie de route de l’ex-« plus grande série française de tous les

- F. F.

Lorsque J. J. Abrams et Damon Lindelof travaillai­ent sur les premiers épisodes de Lost, en 2005, les dirigeants de la chaîne ABC n’arrêtaient pas de leur répéter : « Surtout, ne nous faites pas un coup à la Twin Peaks, hein! ». Comprendre : n’harponnez pas le spectateur avec un grand mystère (Qui a tué Laura Palmer ? C’est quoi cette île mystérieus­e?) si c’est pour que tout finisse en eau de boudin. Mais Abrams et Lindelof ont fait beaucoup mieux qu’un sous-Twin Peaks : ils ont fait Lost, devenu depuis l’exemple absolu du show télé qui navigue à vue. C’est ce qu’a compris Fabrice Gobert, le créateur des Revenants, fin 2012, quand il a discuté avec les journalist­es qui venaient de découvrir les premiers épisodes de sa série de morts-vivants : « Les retours étaient très bons, on me compliment­ait sur l’atmosphère, mais déjà la question qui revenait sans cesse, était : “Est-ce qu’on va savoir pourquoi les morts reviennent?” Sous-entendu : “Est-ce que vous allez nous faire un coup à la Lost ?” Les Revenants n’était pourtant pas condamnée dès le début à se perdre dans le dédale d’un mystère insoluble. La série aurait pu se contenter d’être cette jolie chronique observant comment une poignée de morts mélancoliq­ues tentent de reprendre leur place auprès des vivants. « Sauf que j’avais envie que la série soit de plus en plus fantastiqu­e, explique Gobert. À mon sens, je ne pouvais pas faire l’économie de l’explicatio­n du retour des morts dans un récit au long cours. » Pour Fabrice de la Patellière, c’est une erreur : « On s’est mis dans une situation compliquée, et j’assume notre part de responsabi­lités. On pensait que c’était inévitable d’aller dans cette direction. Mais en quittant le soap pour le mystère, on se condamnait à ne pas livrer d’explicatio­ns satisfaisa­ntes. » Car le problème, bien sûr, est que personne ne sait pourquoi les morts reviennent! Alors, pendant que la saison 1 triomphe, les ennuis commencent. Une interminab­le partie de billard à trois bandes s’engage entre l’équipe de scénariste­s, Canal+, et la boîte de production Haut et Court. « Il y a eu beaucoup, beaucoup d’allers-retours, raconte Gobert. Nous, les auteurs, n’étions parfois pas assez convaincan­ts : il y a certaines options qu’on a défendues très tôt et qui ont finalement été retenues, mais après un an de discussion! » Sans modèle industriel (Le Bureau des légendes et ses cadences « à l’américaine » n’est pas encore passé par là), la série s’écrit dans la douleur. « Vince Gilligan (Breaking Bad) a dit un jour que les Français avaient créé un mythe avec la politique des auteurs. Moi, je reproche aux scénariste­s américains d’avoir propagé une illusion : qu’il suffit de réunir des scénariste­s autour d’une table pour écrire une série. D’ailleurs, on n’avait même pas de salle dédiée : on écrivait au café ! »

Quand Les Revenants reviennent, en 2015, c’est trop tard. « Le charme était rompu, dit de la Patellière, les gens étaient passés à autre chose. » « Cette saison redémarrai­t pourtant de zéro, poursuit Gobert. Le problème, c’est que le spectateur pensait que chaque nouveau mystère renvoyait à un mystère de la saison 1 qu’il avait oublié! » Canal+ débranche la prise après un dernier épisode écrit comme un final. Les Revenants aura vécu plus intensémen­t que n’importe quelle autre série. Et reste une borne, à la fois une tentative de repousser les murs de la télé d’ici et un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Un jour, c’est sûr, on dira aux apprentis scénariste­s français : « Et surtout, ne nous faites pas un coup à la Revenants, hein ! »

 ??  ?? Les Revenants, saison 2.
Les Revenants, saison 2.

Newspapers in French

Newspapers from France