Le mage des images
Les effets spéciaux de la plus grande série de tous les temps sont français! Directeur de BUF, poids lourd mondial du trucage numérique, Pierre Buffin revient pour nous sur l’expérience « compliquée » de Twin Peaks – The Return.
PREMIÈRE : L’image de The Return est constamment travaillée, bousculée, bricolée. Vous étiez forcément dans le secret des dieux chez BUF…
PIERRE BUFFIN : Non, on a découvert les épisodes en même temps que tout le monde. Personnellement je n’ai pas lu le script – il fallait aller chez David Lynch, c’était compliqué. On savait à peu près de quoi il retournait. On suivait les directives.
Comment David Lynch vous a-t-il présenté le projet ?
Il nous avait fait travailler sur son exposition sur les mathématiques à la Fondation Cartier. Quelques mois après, un genre de producteur est venu me trouver pour le compte d’un mystérieux client qui souhaitait me parler. C’était Lynch. Il préparait The Return, avec un budget effets spéciaux a minima. Notre devis était quatre fois plus cher. Il reste environ trois cents plans à nous dans la série. Et on n’a livré que 20 % de ce qui était initialement prévu ! On a resserré, resserré... Qu’est-ce que David Lynch vient chercher en frappant à votre porte ? Des effets spéciaux au détail, une certaine tenue esthétique, une élégance... Ce qui était compliqué, et on s’en est rendu compte au moment du tournage, c’est qu’il a besoin de toucher à tout. L’équipe BUF était à Paris, et lui à Los Angeles. On faisait des sessions Skype et je sentais bien qu’il y avait un problème. Le côté formel de ce genre de réunion l’intimidait. Il y a eu des briefs très drôles : « Alors lui se transforme en pizza et là il explose! » Mais si l’effet qu’on lui renvoyait était risible, un peu trop grotesque, il le jetait. C’était un équilibre délicat à trouver : la scène est drôle mais l’image ne l’est pas.
Cette fréquence burlesque, il la connaît. C’est la sienne.
Et souvent ça ne marchait pas parce qu’il avait besoin de toucher la matière, l’effet. Il y a des plans qui ont pris huit mois parce qu’il changeait d’avis constamment. « Faites rouge, et puis bleu, oh et puis! ». Beaucoup de ce qu’on a produit est parti à la poubelle. Quand on n’y arrivait pas, il faisait réaliser l’effet par des gens à lui. Et c’était loin d’être extraordinaire... Les fondus et les superpositions? Les petites boules dorées qui bougent bizarrement? C’est pas nous.
Au milieu de tous ces trucages low-fi, il y a l’épisode 8. Une démonstration de force numérique…
Un effet dure normalement de trois à quatre secondes. Là, il n’y a pas un plan en dessous de 800 images, soit 33 secondes. On lui demandait : « Combien de temps pour la fumée ? » Et il disait : « 1200 images ! » (Rire.)
L’épisode fera date. Avec le recul, vous en êtes fier ?
Oui, mais on n’a jamais pu le ressentir comme un tout, cet épisode ! J’ignorais que la grenouille-papillon et le ride à l’intérieur du champignon nucléaire seraient regroupés dans le même métrage. Il devait réaliser huit épisodes à l’origine, il en a fait dix-huit. Les pièces du puzzle ont beaucoup bougé.
Bon, mais…
(Il coupe.) Vous essayez de satisfaire Lynch mais vous n’avez pas le pourquoi ni le comment. En découvrant les épisodes, on comprend mieux, mais sur le moment on n’a pas ces clés-là. Et ça ne sert à rien d’essayer d’anticiper ses désirs en lui faisant des propositions ; il les jette.
Le chapitre Twin Peaks semble clos. Mais si on vous rappelle pour une saison 4 ?
On signe de suite. On aime l’expérimentation et des cinéastes comme Lynch nous poussent vers l’avant. Ce serait idiot de s’en priver. On passe par des moments difficiles mais l’expérience est toujours enrichissante.