Première - Hors-série

Tout sur le Retour de Twin Peaks.

Twin Peaks – The Return aura été un événement majeur pour la presse et les réseaux sociaux mais sans le moindre impact mainstream. Que retenir de cette expérience limite? David Lynch et Mark Frost ont-ils voulu refermer l’âge télévisuel qu’ils avaient ini

- PAR GUILLAUME BONNET, FRÉDÉRIC FOUBERT, DAVID MARTINEZ & BENJAMIN ROZOVAS

Dans l’épisode 14 de la saison 3 de Twin Peaks, Gordon Cole, le vieux directeur adjoint du FBI dur d’oreille joué par David Lynch lui-même, se retourne pour regarder derrière lui. Là, grâce à un raccord merveilleu­x, il se revoit en 1992, vingt-cinq ans de rides et de cheveux blancs en moins, dans une scèneclé (clé du mystère ?) issue de Fire Walk With Me, le film prequel que personne n’aime vraiment mais qu’il fallait revoir et dont il était nécessaire de regarder l’intégralit­é des scènes coupées (90 minutes) pour se remettre à flot avant de repartir pour cette saison 3. La scène se passe dans le récit d’un rêve, ce que Gordon appelle ses « rêves Monica Bellucci » (dans un Paris noir et blanc, l’actrice lui donne des indices pour son enquête). La séquence a plusieurs mérites. Premièreme­nt, elle ajoute Monica Bellucci à la ribambelle de femmes sublimes qui peuplent cette saison 3. Plus crucial, elle met en scène le regard de David Lynch, ce qui n’est pas rien vu la place centrale que le réalisateu­r s’accorde dans cette nouvelle saison : c’est lui qui enquête sur les différents meurtres et événements surnaturel­s, lui qui « ne comprend rien à la situation », lui qui semble chercher à mettre un peu d’ordre dans son imaginaire et un maximum de bazar dans le nôtre, tout en se livrant à une contemplat­ion douce-amère de ce qui sépare un homme de 70 ans de ce qu’il pouvait être quand il en avait 45. C’est ainsi, David Lynch est un vieil homme. Et Twin Peaks, une vieille série. Et nous autres, de vieux téléspecta­teurs.

Dernier souffle

À de petites exceptions près, tous les acteurs des deux premières saisons étaient de retour (à Twin Peaks) pour ce revival. Ils sont tranquille­ment devenus vieux (ceux qui étaient adultes à l’époque) ou ont douloureus­ement cessé d’être jeunes (les ados Happy Days de 1990). Là encore, un peu comme nous. Et puis, il y a ceux qui sont morts entre-temps (auxquels de nombreux hommages sont rendus) et ceux qui ont disparu pendant ou

juste après le tournage. Ceux-là, les 18 longs épisodes semblent prendre le temps de chroniquer leur dernier souffle avec une tendresse immense et inattendue, écho lointain d’Une histoire vraie, le moins « lynchien » des films de Lynch mais pas le moins révélateur de sa sensibilit­é. Au milieu de tous ces acteurs (de tous ses acteurs), il y a donc David Lynch. En regardant par-dessus son épaule, il avale en un simple raccord vingt-cinq années de sa vie à lui, de leurs vies à eux et de nos vies à tous. On peut dire que ça fait un drôle d’effet.

Il faut surtout y voir une façon de désigner sans équivoque son public cible : les téléspecta­teurs qui, pour une raison ou pour une autre, ont choisi de ne jamais tout à fait quitter Twin Peaks depuis le début des années 90. Ni au cours de la très décriée seconde saison, ni après la révélation de l’identité du meurtrier de Laura Palmer, ni suite à la déception Fire Walk With Me, ni lorsque les séries sous influence Twin Peaks se sont multipliée­s comme des petits pains aux quatre coins du monde. À ce stade, un rappel s’impose : David Lynch n’a plus réalisé de film pour le cinéma depuis Inland Empire, il y a onze ans. Et encore, il s’agissait d’une collection de vignettes courtes tournées indépendam­ment les unes des autres et assemblées après coup en un long ride surréalist­e. Même Mulholland Drive (2001) a d’abord existé sous forme de pilote télé refusé par ABC, « repackagé » en film deux ans plus tard grâce à l’apport financier de producteur­s français. Ce qui fait d’Une histoire vraie, le dernier long métrage réalisé par Lynch dans un cadre de production cinéma classique. C’était en 1999...

Depuis, l’homme aux cheveux flamme a fait de la vidéo, des clips, des expos, des boîtes de nuit, des caméos, des pubs, du saxo, de la méditation transcenda­ntale. Il est apparu dans des documentai­res et des séries comiques (Louie), il est devenu une influence généralisé­e et même un adjectif (« lynchien », donc, ce mot un peu galvaudé plein de rideaux rouges et de guitares reverb’), mais s’est tenu éloigné du cinéma. Ceci pour établir une bonne fois pour toutes que Twin Peaks – The Return n’est pas un long film de dix-huit heures mais bel et bien la saison 3 d’une série culte. Avec une structure chorale, des sous-intrigues, des clins d’oeil, des tâtonnemen­ts, des cliffhange­rs, des fausses pistes, des histoires d’amour, une semaine d’attente entre chaque diffusion et des forums (et réseaux sociaux) qui l’ont à chaque fois mise à profit pour décortique­r le moindre signe et se perdre dans la spirale de leur obsession.

Radio Londres

Il n’y avait pas d’autre choix, c’était à prendre ou à laisser. On connaît la passion de Lynch pour les rêves et ce qu’il appelle « les idées ». On sait son humour étrange, sa rythmique particuliè­re, ses dialogues qui sonnent comme des phrases codées sur Radio Londres – « les étoiles tournent, et le temps se présente », « je suis morte, et pourtant je vis », ou encore le somptueux « que Gene Kelly aille se faire foutre! », tous dignes du fameux « les hiboux ne sont pas ce que l’on croit » de la saison 2. On connaît sa méthode de création « automatiqu­e » qui consiste à lancer des idées en l’air en attendant de voir si elles prendront ou non, comme des graines dans un potager. Oh, les belles tomates! Allons les cueillir. Hmm, on dirait que le cerisier a donné beaucoup de fruits cette année...

Dans ce retour à Twin Peaks, tout peut être un rêve, chacun peut être un autre ou son propre double dans le rêve de quelqu’un d’autre. On peut observer des océans gris survolés par la tête géante d’un acteur mort,

IL FAUT PLO NGER TOUT ENTIER DANS TWIN PEAKS, S’AB ANDONNER À SON CHARME ÉTR ANGE.

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Mike (Al Strobel)
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Albert Rosenfield (Miguel Ferrer), Gordon Cole (David Lynch) et Diane Evans (Laura Dern)

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