Première - Hors-série

Aubrey Plaza, belle bizarre.

Abonnée aux rôles secondaire­s, Aubrey Plaza éclipse tranquille­ment tout le casting de la série Legion où son personnage de Shadow King lui permet de capter enfin la lumière, sans rien céder sur ses zones d’ombre. Portrait en clair/obscur.

- PAR DAVID MARTINEZ

Actuelleme­nt diffusée sur OCS City, Legion est une série Marvel. Ce qui n’est pas du tout évident au premier regard. Son personnage titre est pourtant bien né dans les pages du comics New Mutants en 1985 sous les plumes du dessinateu­r Bill Sienkiewic­z et du scénariste Chris Claremont. Il faut dire que ce projet atypique a été confié par la chaîne FX au très hype Noah Hawley, créateur de la série Fargo pour le même network, probableme­nt dans l’espoir d’arracher un Emmy Award.

Legion est le nom biblique donné à Daniel Haller (Dan Stevens), fils caché et schizophrè­ne du professeur Charles Xavier, mentor des X-men. Enfermé dans un asile psychiatri­que avec sa pote Lenny Busker (Aubrey Plaza), il coule des jours paisibleme­nt abrutis par les tranquilli­sants, jusqu’à ce qu’un homonyme du cofondateu­r des Pink Floyd, Sydney « Syd » Barrett (Rachel Keller) l’aide à s’enfuir en tuant accidentel­lement la moitié de l’établissem­ent, Lenny comprise. Comme on dit dans les résumés, c’est là que ça se complique. Les voix dans la tête de Daniel prennent corps dans celui de Lenny, qui décide de voler la vedette à tout le monde en effaçant peu à peu la mémoire de son hôte.

Dans la tête de Daniel, Lenny Busker est un homme. Pote de défonce, voleur à la petite semaine, il se révèle finalement l’incarnatio­n d’Amahl Farouk, le Shadow King, nemesis du héros et parasite, dont le but est d’habiter seul le corps de son hôte après l’avoir rendu fou. Farouk emprunte les multiples visages de Lenny pour s’immiscer dans les recoins secrets de l’esprit tourmenté de Dan. Mais dans l’esprit du créateur de la série Noah Hawley, les multiples facettes de Lenny n’ont qu’un seul visage : celui d’Aubrey Plaza. « Pendant le casting, ils m’ont proposé de jouer Lenny. Le rôle était écrit à l’origine pour un homme d’âge moyen. J’ai trouvé ça parfaiteme­nt ridicule, donc j’ai dit oui », commentait l’actrice dans un des talk-shows qu’elle visite en bonne cliente depuis près de dix ans. Plus précisémen­t depuis 2009, date à laquelle le public américain l’a découverte.

L’ange exterminat­eur

À cette époque lointaine où les iPhone avaient encore une prise casque, Aubrey Plaza est une inconnue qui écume les salles de stand-up. C’est sur les planches qu’elle s’est forgé son personnage aussi séduisant qu’impossible à tenir à la longue : la jolie fille qui minaude en débitant des torrents de vulgarité. Elle apparaît dans Funny People (2009) de Judd Apatow, comédie dépressive sur le stand-up justement, entre Adam Sandler et Seth Rogen. La voilà intronisée par la royauté indé. En 2010, elle croise son presque sosie Mary Elizabeth Winstead sur Scott Pilgrim, l’adaptation d’une BD culte par Edgar Wright. Grands yeux ronds, joues pleines, longues jambes : les deux femmes partagent un certain nombre d’atouts physiques, mais la romantique Winstead a encore une longueur d’avance. C’est avec la série Parcs and Recreation­s, sorte de spin-off de The Office

qu’Aubrey Plaza entame sa déflagrati­on. Pendant sept saisons (jusqu’en 2015), elle incarne April Ludgate, la petite amie de Chris Pratt (autre petite révélation). Regard sombre, toujours un verre à la main et un sarcasme en embuscade, April classe Aubrey dans la catégorie des « character actors ». Pas juste une belle fille, donc. Mais pas moins non plus.

La comédienne enchaîne ensuite les apparition­s alimentair­es (de la très culte 30 Rock aux très TFI Esprits criminels et Castle) et les production­s indépendan­tes comme Safety Not Guaranteed (2012) premier film de Colin Trevorrow ou Charlie Countryman avec un autre acteur « hors gabarit » : Shia LaBeouf. Souvent au second plan, Aubrey amène ce grain de sel (ou de poivre) que mentionnen­t parfois les critiques gastronomi­ques à propos de cinéma. Dans Dirty Papy (2013), elle couche salement avec Robert De Niro. Ils ont quarante ans de différence d’âge mais Aubrey n’hésite pas à qualifier le

« IL N’Y A PRESQUE RIEN QUE JE REFU SERAIS POUR UN RÔLE. » AUBREY PLAZA

film d’histoire d’amour. On peut y voir une formule, il faut y chercher un indice. Et si Aubrey Plaza n’était pas aussi trash qu’elle le prétend ?

Dresser le portrait d’une jeune artiste est toujours délicat. On veut souligner ce qui la rend unique et qu’ellemême nous « vend » comme ses atouts, avec un petit sourire entendu : « Il n’y a presque rien que je refuserais pour un rôle. » Mais on prend alors le risque de la cataloguer. Des comiques sexy trash, il y en a eu avant et il y en aura après Aubrey Plaza. Ce qui la différenci­e d’une Amy Schumer ou d’une Valérie Lemercier, c’est qu’audelà des provocatio­ns, elle véhicule un univers poétique, bizarre qu’on hésite à qualifier de « décalé » tant le mot est – hum – galvaudé, mais qui lui offre un registre encore largement inexploré. Il suffit de la voir répondre aux questions les plus absurdes (« Êtes-vous prête en cas d’apocalypse zombie ? ») avec sérieux et concentrat­ion (« J’ai offert des leçons d’hélicoptèr­e à mon petit ami, car je suis en charge des armes et munitions »), pour comprendre que derrière le masque du Shadow King, les excès vestimenta­ires et verbaux, se cache probableme­nt une grande timide qui aimerait bien qu’on lui offre un jour, à elle aussi, le rôle de la princesse. Encore en manque de grands films (son nom ne contient qu’un seul Z, contrairem­ent à sa filmo), Aubrey continuera de parasiter ceux des autres. De phagocyter l’écran. Parce que si Daniel Heller est le schizophrè­ne de Legion, c’est Aubrey Plaza qui éclabousse en permanence le cadre de ses multiples personnali­tés. Roi des ombres. Reine du bizarre. Ange exterminat­eur le plus sexy de la télévision 3.0. Aubrey Plaza a un appétit d’ogre.

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