PAS TOUT SEUL, JEFF
Le succès du troisième volet des Tuche a installé l’infréquentable Jeff Tuche comme une icône du patrimoine et une figure contestataire.
JPAR FRANÇOIS GRELET
eff Tuche est le tonton pétomane d’une industrie qui en a fait cette année sa mascotte officielle, après avoir longtemps hésité à le cacher sous le tapis. Il n’a pas beaucoup changé, mais en 2018, tout le monde s’est pris de sympathie pour lui, son humour bas de plafond et sa verve de pilier d’estaminet (même la presse « qui pense » s’y est mise, probablement à l’usure).
Cet élan d’amour soudain et très localisé incite à rappeler que le Nordiste est littéralement insortable en dehors du cercle familial : vendu dans moins de cinq pays non francophones, Les Tuche 3 est un produit parfaitement impossible à exporter. C’est donc devenu un motif de fierté nationale.
Après le carton surprise des Tuche 2, celui, stratosphérique (plus haut que Dany Boon!) des Tuche 3 a installé pour de bon son héros dans le patrimoine local. Plus qu’au réalisateur Olivier Baroux et à la star Jean-Paul Rouve, le succès du film doit tout à Jeff Tuche, sa coupe de cheveux, son accent du Nord et ses bols de Benco avalés en plein conseil des ministres. Au même titre que le gendarme de Saint-Tropez, Don Camillo ou Patrick Chirac, le personnage a fini par complètement phagocyter les films dans lesquels il apparaît, dépassant le simple cadre du cinéma pour s’inscrire tranquillement dans notre quotidien. Jeff Tuche est vivant ! En tout cas c’est un peu plus qu’un simple personnage de fiction.
On prend par exemple le pari que lorsque Les Tuche 3 recevra son César du public en février 2019, ça sera Jeff lui-même qui viendra le recevoir et s’adresser à la France – notamment en sa qualité d’ex-président de la République.
Au-delà du succès colossal, si le regard a changé vis-à-vis de la saga, c’est probablement à cause de cette idée (un peu géniale, il faut l’avouer) d’avoir installé pour de rire son héros au sommet de l’État, et ce quelques mois après la véritable accession au pouvoir de son antagoniste le plus évident. Il n’en a pas fallu plus pour regarder Jeff comme, au mieux un antidote réjouissant, au pire un héros national.
Une intuition brillante qui a placé ce gilet jaune qui s’ignore dans le coeur de millions de Français qui n’attendaient que ce point de ralliement. Un gros coup à double tranchant néanmoins : après l’avoir placé au plus haut de l’appareil étatique, quel destin offrir désormais au prolo le plus rigolo de France?