Première - Hors-série

TOP 20 DES MEILLEURS FILMS 2018

- PAR LA RÉDACTION

Des chiens japonais, des amoureux polonais, un vieux chanteur français, Silvio Berlusconi, Neil Armstrong, deux Spielberg et une Palme d’or… La rédaction de Première a voté. Et les 20 meilleurs films de l’année sont…

20 LE POIRIER SAUVAGE NURI BILGE CEYLAN

Nuri Bilge Ceylan prend 3h08 pour raconter l’introspect­ion d’un jeune homme qui revient chez lui, chez son père, pour faire le point. Ce retour à la maison devient une fable sur la transmissi­on, la tradition, la transition. 3h08 de plans à couper le souffle dans les collines de Turquie, dans des endroits stupéfiant­s, qui donnent à ce film une sidérante impression de jamais-vu. 3 h 08 de transes poétiques qui transforme­nt des logorrhées sur la vie, l’amour, le passé, la jeunesse en pur film mental. L’autre choc cannois qui prouve que les affaires de famille n’auront jamais été aussi belles que cette année.

19 CALL ME BY YOUR NAME LUCA GUADAGNINO

Drôle de cinéaste, ce Luca Guadagnino. Un dandy insaisissa­ble, passant d’un genre et d’un pays à l’autre avec une aisance de jet-setter vampirique... Si son remake boursouflé de Suspiria est récemment venu brouiller les pistes, Call me by your name aura été un moment de triomphe fédérateur, roman d’apprentiss­age magnifique qui sublimait ses acteurs (de l’étoile montante Timothée Chalamet au bouleversa­nt Michael Stuhlbarg) dans la splendeur d’un été italien 80s en forme de paradis perdu. Mais ce qui frappe le plus à la deuxième vision, c’est la finesse du scénario. Les Oscars ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Et si le vrai génie derrière Call me by your name, c’était James Ivory ?

18 SUR LE CHEMIN DE LA RÉDEMPTION PAUL SCHRADER

Avant, dans les tops ciné de fin d’année, il était interdit de voter pour des films sortis directemen­t en vidéo. Le passage par la case salles était une condition sine qua non. Mais les temps changent et le nombre de pépites qui nous arrivent directemen­t en DVD ou en streaming est en constante augmentati­on. Comme ce First Reformed (titre VO), qui voit Paul Schrader retrouver son meilleur niveau – celui de Hardcore, Light Sleeper ou American Gigolo. Ethan Hawke incarne ici un pasteur en colère, dévasté par le silence de Dieu et bientôt tenté par le terrorisme. Comme un descendant contempora­in du Travis Bickle de Taxi Driver, écoeuré de voir l’humanité courir à sa perte. Douloureux et beau.

17 L’ÎLE AUX CHIENS WES ANDERSON

Ceux qui avaient peur de se lasser des petites mécaniques asphyxiant­es de Wes Anderson ont été intrigués de le voir partir se ressourcer au Japon. Le dandy texan en est revenu avec cette dystopie canine virevoltan­te en stop-motion, où les maux de l’époque (exclusion, autoritari­sme, communauté­s morcelées) sont évoqués dans un tourbillon de sons, de musiques, d’inventions stylistiqu­es, de fantaisie kawaï et de frénésie kaléidosco­pique. Au poil, oui.

16 COLD WAR PAWEL PAWLIKOWSK­I

Sur plusieurs décennies, la romance folle d’une chanteuse traditionn­elle et d’un musicien de jazz. Une fresque amoureuse qui raconte le destin d’un pays (la Pologne) à travers une histoire intime et encapsule cinquante ans de conflit Est/Ouest en 1h30. Deux blocs, deux corps, l’exil et la musique pour tout unifier. Virtuosité sans ostentatio­n, économie et clarté stupéfiant­es, puissance plastique : l’école de l’Est à son top de sophistica­tion et d’intelligen­ce. Et puis Joanna Kulig...

15 LAST FLAG FLYING (RICHARD LINKLATER)

Le dernier Richard Linklater, passé inaperçu en salles (7 629 spectateur­s !), est une suite plus ou moins officielle à La Dernière Corvée (le classique de Hal Ashby avec Jack Nicholson, 1974), dans lequel trois vétérans du Vietnam (Bryan Cranston, Steve Carell et Laurence Fisburne) partent enterrer le fils de l’un d’entre eux, tombé en Irak. Linklater examine le cycle sans fin de la violence et du deuil dans une odyssée bouleversa­nte sur le travail du temps, où souffle l’esprit libertaire du Nouvel Hollywood.

14 PENTAGON PAPERS (STEVEN SPIELBERG)

Il est fort, ce Spielberg, non? Deux films dans l’année et deux films dans notre top 20. Sorti deux mois avant Ready Player One, Pentagon Papers est un shoot de maestria visuelle et un Meryl Streep movie phénoménal. La scène du téléphone, la course de la news à travers New York, le plan final sur les rotatives... Alors, oui, Tom Hanks semble parfois s’être trompé de film et, oui, la scène du Watergate n’est pas ce que le cinéaste a fait de plus subtil. Mais la virtuosité avec laquelle il ressuscite le cinéma humaniste et engagé des 70s force le respect.

13 CLIMAX (GASPAR NOÉ)

Gaspar Noé convoque une troupe de street dancers déchaînés, coupe sa sangria aux psychotrop­es et réalise le trip sensoriel de l’année, une déflagrati­on de cinéma qui caresse et agresse, fascine et dérange. Comme les produits consommés ici, ce n’est bien sûr pas du cinéma pour toute la famille, mais l’extase tourbillon­nante du film (cette chorégraph­ie folle sur le Supernatur­e de Cerrone!) finit de consacrer le réalisateu­r comme le plus grand styliste du pays. Et confirme qu’on peut toujours être un sale gosse à 55 ans.

12 ANNIHILATI­ON (ALEX GARLAND)

Après Paul Schrader en DTV, Alex Garland sur Netflix. Jugé « trop intello » par la Paramount pour une exploitati­on en salles, Annihilati­on est donc arrivé directemen­t dans nos salons en mars dernier, inaugurant un débat qui aura duré jusqu’à la mise en ligne du Roma d’Alfonso Cuarón (en substance : c’est pas du gâchis de découvrir des splendeurs pareilles ailleurs que sur grand écran ?). L’odyssée psychédéli­que de Natalie Portman, partie à la recherche d’elle-même dans une « zone » tarkovskie­nne, est un joyau SF, opaque et mystérieux, qui semble vouloir tenir toutes les promesses ébauchées par Ridley Scott dans Alien : Covenant. Après Ex_Machina, la preuve que Garland est grand.

11 GUY (ALEX LUTZ)

Alex Lutz invente Guy Jamet, icône de la variété française un peu défraîchie mais toujours vaillante, quelque part entre Michel Sardou, Cloclo et Herbert Léonard. À travers lui, il raconte le star-system hexagonal, le crépuscule mélancoliq­ue des baby-boomers, les petits bonheurs et mille contrariét­és des artistes qui sont d’abord des artisans. Loin de la nostalgie rance pour la France des yé-yés ou de l’ironie de Podium, ce « mockumenta­ire » tordant et super émouvant réveille des souvenirs de soirées DVD passées à hurler de rire, puis verser une larme, devant Spinal Tap, The Rutles ou Anvil ! Un pur ovni dans la production française. Et la performanc­e de l’année, haut la main.

10 READY PLAYER ONE (STEVEN SPIELBERG)

Certaines images de ce film sont indélébile­s. La première course, avec King Kong qui tente d’écrabouill­er la DeLorean. Le moment Shining. L’affronteme­nt final où le Géant de fer plonge dans la bataille. Plaisir vintage et madeleine geek? Pas que :

Ready Player One est un autoportra­it dans lequel le cinéaste se démultipli­e, se cachant derrière trois avatars : le mogul naïf, le gamin émerveillé et l’industriel cynique. Le film permet en fait à Spielberg d’affronter ses (é)mois, de se confronter à ses dieux (Kubrick) pour mieux se retrouver face à lui-même. Comme si le wonderboy prenait conscience que le temps le rattrape et qu’il faut désormais laisser une trace et un héritage. Un peu moralisate­ur sur la fin? Oui, mais surtout bouleversa­nt de bout en bout.

09 UNE AFFAIRE DE FAMILLE (HIROKAZU KORE-EDA)

L’histoire d’une famille de zonards qui adopte la petite voisine de 4 ans, battue par ses parents. Minutie mélo, petite musique obsédante, chorégraph­ie virtuose des acteurs et de l’émotion... Le film le plus délicat, le plus émouvant, le plus satiné de l’année et pourtant celui où pointe de manière évidente la rage sociale de KoreEda. Une affaire de famille c’est du Ozu 2018. Une Palme d’or incontesta­ble.

08 BATTLESHIP ISLAND (RYOO SEUNG-WAN)

Le cinéma coréen continue de pousser tous les curseurs dans le rouge. Cette année, de The Spy Gone North à Burning, il a encore montré sa suprématie. Mais c’est ce Battleship Island qui impression­ne le plus. Monument romanesque, symphonie furiosa et mélo mythologiq­ue, le film ne craint jamais la surenchère. C’est l’histoire d’une île forteresse transformé­e en camp de prisonnier­s coréens par les Japonais en pleine guerre mondiale. Révoltes, tentatives d’évasion et surtout, la vie au quotidien d’un groupe d’individus qui tente de résister. Des scènes musicales aux monstrueus­es batailles finales, tout est stupéfiant, beau comme du Spielberg, sauvage et outrancier comme du Tsui Hark. Vous l’avez raté en salles ? Rattrapez-le de toute urgence.

07 3 BILLBOARDS : LES PANNEAUX DE LA VENGEANCE (MARTIN MCDONAGH)

L’Irlandais Martin McDonagh débarque aux États-Unis pour questionne­r l’ambiguïté morale du pays profond. La petite ville (fictive) d’Ebbing, Missouri, devient le théâtre d’une fable retorse à la Coen, où les mères courages éplorées peuvent se transforme­r sans crier gare en vigilantes nauséabond­es, et où les flics racistes et bas du front auront droit à une deuxième chance. Le cinéma US comme on l’aime, qui procure un plaisir monstre pendant la projection et continue de faire réfléchir longtemps après, une fois rentré à la maison. Oscars mérités pour Frances McDormand et Sam Rockwell, mais n’oublions pas Woody Harrelson, dans l’un de ses plus beaux rôles (et c’est dire beaucoup).

06 JUSQU’À LA GARDE (XAVIER LEGRAND)

Depuis quand un film français ne nous avait pas fracassés à ce point? Depuis quand n’avait-on pas eu mal au bide en regardant des scènes du quotidien – une gamine qui court après son bus pour aller au lycée ou un enfant qui monte dans la Kangoo de son père? Jusqu’à la garde commence dans le cabinet d’un juge comme dans un documentai­re de Depardon (réalisme et silence, justesse tranchante des dialogues) et finit dans une salle de bains comme dans

Shining. Xavier Legrand bifurque vers le film de trouille par la seule puissance du cadre, du son et de la direction d’acteurs (incroyable Denis Ménochet, le Russell Crowe français). Ce n’est que le premier long de ce comédien de théâtre, mais désormais toute l’industrie a les yeux braqués sur lui. Rendez-vous aux César.

05 FIRST MAN – LE PREMIER HOMME SUR LA LUNE (DAMIEN CHAZELLE)

En 2016, La La Land était numéro 1 de notre top. Deux ans plus tard, First Man n’arrive que cinquième. Sans doute parce qu’après l’énergie solaire et colorée de la comédie musicale, Damien Chazelle est passé à l’anti-spectacula­ire avec sa mise en scène et en orbite d’un homme dépressif. Ici, la conquête de l’espace est transformé­e en odyssée intimiste d’une tristesse cosmique. Ce minimalism­e austère ne l’a fait descendre qu’à la cinquième place, ce qui donne une idée de la perfection et de l’intelligen­ce supérieure du projet. De la cohérence de la vision de cinéma aussi. Même pas dommage du coup. Juste bravo.

04 SILVIO ET LES AUTRES (PAOLO SORRENTINO)

Comme pour exorciser un moment politique cauchemard­esque, le cinéma italien n’a jamais paru aussi fort et combatif que cette année (Dogman de Matteo Garrone, Heureux comme Lazzaro d’Alice Rohrwacher). Mais le Silvio de Sorrentino surclassai­t l’ensemble de la production latine. On aurait aimé le mettre un peu plus haut dans cette liste, mais il paie au fond son côté hybride. Est-ce un film de 2h un peu trop court ou deux films de 1h30 un peu trop longs (Silvio et les autres est sorti en deux parties en Italie) ? En réalité, on s’en moque : le plus grand cinéaste du XXIe siècle signe une synthèse parfaite de son art (existentia­lisme désenchant­é, rock culture dandy, élégance ritale et femmes sublimes) et de l’Italie des années 80. Loin du biopic à charge, le film est un puzzle mental qui se déploie à travers des fêtes orgiaques, des promenades mélancoliq­ues dans les rues de Rome ou des tractation­s politiques dans des villas somptueuse­s. On est prêts pour la saison 2 de The Young Pope.

03 MEKTOUB, MY LOVE : CANTO UNO (ABDELLATIF KECHICHE)

À Sète, dans les années 90, l’été désoeuvré et sensuel d’un apprenti cinéaste et de sa bande de copains (surtout des copines), qui n’ont rien d’autre à faire que de glander, bronzer, draguer et regarder le désir circuler. Après La Vie d’Adèle, Kechiche radicalise sa démarche et prend le risque de diviser. Mais ceux qui aiment son cinéma pour ses aspects les plus brûlants et jusqu’au-boutistes apprécient d’autant plus. L’extase sensoriell­e qu’est Mektoub pose aussi des questions passionnan­tes sur le « male gaze », ce regard masculin qui façonne les films depuis l’invention du 7e art. « Male gaze ? Je ne connaissai­s pas l’expression. Ça sonne un peu comme merguez, c’est drôle », dit le cinéaste dans Les Inrocks. Cet homme est plus fort en cinéma qu’en interview.

02 UNDER THE SILVER LAKE (DAVID ROBERT MITCHELL)

Réception molle à Cannes, sortie américaine reportée à avril 2019, spectateur­s désorienté­s... Désolé, mais ici, on adore Under the Silver Lake. David Robert Mitchell s’essaye au L.A. noir et capte la lumière et l’imagerie des grands films sur la Cité des anges, dans la lignée de Sunset Boulevard. Un parfum de Sorrentino (la classe décatie, les jolies filles, la musique, les soirées), une grosse dose de Lynch (ce Los Angeles fantasmati­que) et un soupçon de Shyamalan (la clé du mystère sur des boîtes de céréales)... Et si ce film n’était au fond qu’une matrice de désir dans lequel le spectateur pouvait projeter tous ses fantasmes? Under the

Silver Lake est un rêve de cinéma, un film au design estomaquan­t, dont la beauté envoûtante génère un trouble existentie­l, hypnotique et pulsionnel.

01 PHANTOM THREAD PAUL THOMAS ANDERSON

Une fois n’est pas coutume, c’est Paul Thomas Anderson qui aura mis tout le monde d’accord. Habitué à provoquer la discorde, l’ex-enfant terrible du cinéma américain a livré son film le plus aimable depuis longtemps, loin du chaos moderniste de The Master ou des cadavres exquis psychédéli­ques d’Inherent Vice. Derrière la façade impérieuse, le style ultra léché, les plans granuleux en 70 mm d’une beauté à se damner, Phantom Thread est aussi, surtout, une love story foudroyant­e, une comédie romantique irrésistib­le, un attrape-coeur instantané. Du cinéma à part, conçu par un esthète qui ne rend de compte à personne, financé par le mécène Megan Ellison, interprété par le comédien le plus exigeant de la planète (Daniel Day-Lewis pour la dernière fois à l’écran?), tourné en chuchotant, sur la pointe des pieds, à l’écart du monde et des modes, mais à la puissance de séduction universell­e. Moralité ? There will be love.

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 ??  ?? Call me by your name
Call me by your name
 ??  ?? L’Île aux chiens
L’Île aux chiens
 ??  ?? Cold War
Cold War
 ??  ?? Sur le chemin de la rédemption
Sur le chemin de la rédemption
 ??  ?? Le Poirier sauvage
Le Poirier sauvage
 ??  ?? Last Flag Flying
Last Flag Flying
 ??  ?? Annihilati­on
Annihilati­on
 ??  ?? Ready Player One
Ready Player One
 ??  ?? Pentagon Papers
Pentagon Papers
 ??  ?? Une affaire de famille
Une affaire de famille
 ??  ?? 3 Billboards : Les Panneaux de la vengeance
3 Billboards : Les Panneaux de la vengeance
 ??  ?? Jusqu’à la garde
Jusqu’à la garde
 ??  ?? Battleship Island
Battleship Island
 ??  ?? First Man – Le Premier Homme sur la Lune
First Man – Le Premier Homme sur la Lune
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Under the Silver Lake
 ??  ?? Silvio et les autres
Silvio et les autres
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Mektoub, My Love : Canto Uno
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Phantom Thread

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