Première - Hors-série

RÉUSSIR L’IMPOSSIBLE

Christophe­r McQuarrie esthète du blockbuste­r

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Avec Mission : Impossible – Fallout, Christophe­r McQuarrie a non seulement signé l’un des cartons de l’année, mais aussi un modèle de blockbuste­r « à l’ancienne », à l’ère du virtuel et des CGI triomphant­s. De ses rendez-vous ratés avec Claude Lelouch à ses prises de bec avec les haters des Derniers Jedi, rencontre avec l’homme qui murmure à l’oreille de Tom Cruise.

Dans le commentair­e audio de Fallout, Tom Cruise et Christophe­r McQuarrie appellent ce film « numéro 9 ». Ce n’est que leur deuxième Mission : Impossible (après Rogue Nation, en 2015), mais le neuvième film sur lequel ils travaillen­t ensemble, McQuarrie (« McQ » pour les intimes) ayant également réalisé Jack Reacher et planché sur les scénarios de Walkyrie, Edge of Tomorrow, La Momie, presque tous les Tom Cruise de la dernière décennie... Le « numéro 10 », Top Gun : Maverick, la suite de vous savez quoi (réalisé par Joseph Kosinski, avec un coup de main au scénario de McQuarrie), est actuelleme­nt en tournage. Le réalisateu­r peut-il envisager son destin de cinéma sans Tom Cruise ? Que pense-t-il de la concurrenc­e au rayon blockbuste­rs ? Qui aimerait-il voir aux commandes du septième Mission : Impossible ? Et, au fait, quel âge a Tom Cruise, déjà ? Tout de suite, les réponses à ces brûlantes questions. PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

PREMIÈRE : 2018 a été une bonne année pour vous ?

CHRISTOPHE­R MCQUARRIE : Oh, oui! L’une des meilleures. Parvenir à réaliser le film que je voulais faire et voir ensuite les gens l’apprécier, c’est une sensation très agréable. Fallout a été un grand succès, à la fois critique et commercial. Ce n’est pas si fréquent que ça, donc je suis heureux.

Vous avez fini par rencontrer Claude Lelouch ? La course-poursuite parisienne de Fallout rend hommage à son court métrage C’était un rendez-vous...

Non. Voilà l’un de mes regrets de l’année, tiens ! Le plus fou, c’est que pendant le tournage du film, on regardait nos rushes dans une salle de cinéma qui lui appartient, près des Champs-Élysées [le Club 13, avenue Hoche]. Et on ne s’est jamais croisés...

Vous avez expliqué que si vous aviez accepté de réaliser un deuxième Mission : Impossible, c’était à la condition de faire un film stylistiqu­ement totalement différent du précédent, comme si vous deveniez un autre metteur en scène. Mais qui va réaliser votre prochain film, alors ? Le Christophe­r McQuarrie de Rogue Nation ou celui de Fallout ?

Ah, ah! Bonne question. J’imagine que ça dépendra du projet... Blague à part, c’était vraiment terrifiant pour moi, cette idée de faire un film en repartant de zéro, avec une équipe totalement différente. Mais ça a aussi été très instructif. Parce que, jusqu’à présent, je n’avais pas vraiment conscience de ce qui unifiait mes films, au-delà de mon envie et de mes ambitions de storytelle­r. Je les ai tous revus en me demandant : qu’estce qui les unit ? Qu’ont-ils en commun ?

Et donc, c’est quoi un film de Christophe­r McQuarrie ?

Déjà, pour commencer, c’est un film avec une musique de Joe Kraemer! Il a un style vraiment unique. Mais surtout, j’ai constaté que chez moi, le scénario déterminai­t toujours la façon dont le film devait être réalisé. La mise en scène était au service des dialogues, et les dialogues faisaient avancer l’histoire. Dans Mission : Impossible– Fallout, j’ai voulu privilégie­r le comporteme­nt des personnage­s plutôt que les dialogues, et l’émotion plutôt que l’informatio­n. Je crois que j’y suis arrivé.

Comment jugez-vous l’état du blockbuste­r contempora­in ?

Le principal problème avec les blockbuste­rs, c’est qu’avant, ils étaient une partie du business, mais aujourd’hui, ils sont le business. Il n’y a plus rien d’autre. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir connu cette trajectoir­e. J’ai commencé par un petit film [Way of the Gun, 2000], puis enchaîné avec un film de taille moyenne [Jack Reacher, 2012], et ensuite un gros film [Mission : Impossible – Rogue Nation]. Entre-temps, j’ai été scénariste, rewriter, script doctor, j’ai traîné sur les plateaux pour faire mon apprentiss­age. J’ai pu apprendre le métier et gravir les échelons à mon rythme. Désormais, plein de jeunes réalisateu­rs font un petit film et se retrouvent aux commandes d’une énorme machine. Il n’y a plus rien au milieu ! Et ça se sent dans le résultat final. Il y a trop de reshoots, trop de choses bricolées en salle de montage, les films ne respirent plus, parce qu’ils ne sont pas suffisamme­nt pensés en amont. J’aimerais voir plus de films de taille moyenne, des films qui permettent aux réalisateu­rs de grandir.

Avec votre obsession pour les cascades « pour de vrai », votre refus des CGI, vous et Tom Cruise donnez l’impression d’être les derniers esthètes d’un art en voie de disparitio­n…

On est les seuls, oui! C’est notre façon à nous de nous distinguer. Mais il faut dire que j’ai la chance de collaborer avec un acteur capable de faire ces trucs. Il a des décennies d’expérience. Il est préparé, entraîné. C’est un conducteur hors pair, il saute en parachute... Si un acteur se pointait et disait : « Hey, j’aimerais bien faire ça, moi aussi ! », il lui faudrait des années avant d’y arriver. Tom Cruise met une vie entière d’expérience­s dans ses films. C’est ce qui les rend uniques.

Le jeu préféré des fans de Mission : Impossible, c’est d’essayer de deviner quel réalisateu­r signera le prochain épisode. Alors, qui pour Mission 7 ? J’entends plein de gens dire : « Ce serait génial que Chris Nolan réalise un Mission. Ou David Fincher. » Mais vous ne trouvez pas que ce sont des noms un peu trop évidents? Ce qui est fantastiqu­e avec cette franchise, là où Tom Cruise est très fort, c’est qu’il a toujours fait appel à des réalisateu­rs que personne n’attendait. Regardez J. J. Abrams : il n’avait jamais tourné de long métrage avant ça. Brad Bird ? C’était son premier film en live action. Même Brian De Palma était un choix audacieux : il faut se souvenir qu’à l’époque, le studio était très nerveux de confier Mission : Impossible à De Palma. Donc, la question à se poser est : quel serait le choix le moins évident ? (Il réfléchit.) William Friedkin ! J’adorerais voir le Mission : Impossible de William Friedkin ! Ou pourquoi pas... Vous connaissez le travail de Jeremy Saulnier ? Oui.

Ça, ce serait un choix vraiment cool. C’est toujours en faisant appel à des outsiders que la saga a grandi.

Vous avez vu le dernier film qu’il a réalisé, Aucun homme ni dieu, qui est visible sur Netflix ?

Non, pas encore, mais j’ai hâte. Je suis un grand admirateur de Blue Ruin. Je suis tombé dessus par hasard, ça m’a totalement estomaqué. Voilà un excellent metteur en scène, quelqu’un qui sait raconter des histoires par l’image.

Et sinon, qu’avez-vous aimé au cinéma cette année ?

Je n’ai presque rien vu, désolé, je suis en retard sur tout. Je n’ai même pas encore rattrapé Les Indestruct­ibles 2 ! C’était pourtant ma grosse attente de 2018, j’adore tellement le premier.

Vous connaissez Tom Cruise mieux que personne. Comment imaginez-vous sa carrière dans, disons, dix ans ? Comment va-t-il vieillir au cinéma ? Tom Cruise? Vieillir? Désolé, mais c’est une idée inconcevab­le ! J’étais en Californie l’autre jour, sur le plateau de Top Gun, et Tom avait l’air plus jeune que pendant le tournage de Fallout ! C’est assez dingue, on vieillit tous, mais pas lui. Donc je ne sais pas quoi vous répondre... Ma seule certitude, c’est que, quoi que Tom fasse, il ne le fera pas à moitié.

Il a aujourd’hui l’âge qu’avait Paul Newman au moment du Verdict (Sidney Lumet, 1983), qui est l’un de vos films préférés…

Oui. C’est intéressan­t, parce que ce film a vraiment été un tournant pour Newman. C’est le premier rôle où il assumait son âge, où il en jouait... Bon. C’est assez éloigné de Top Gun 2 !

Vous aimeriez réaliser un film comme Le Verdict avec Tom Cruise ?

Oh, j’adorerais. Mais Le Verdict, c’est un script exceptionn­el. Et qui voudrait mettre de l’argent dans un film pareil aujourd’hui ? C’est encore plus compliqué de faire financer un tel film que de l’écrire. Même pour quelqu’un comme Tom.

Vous avez décrit votre carrière comme un cheminemen­t des petits films vers les gros. Quelle

« J’ADORERAIS VOIR LE MISSION : IMPOSSIBLE DE FRIEDKIN! » CHRIS MCQUARRIE

est la suite ? Un retour vers quelque chose de plus intime ?

Exactement. J’y réfléchis en ce moment. Travailler les personnage­s, l’émotion, toutes ces choses que j’ai voulu injecter dans Fallout. J’aimerais aller plus loin. J’ai quelques idées.

L’autre grand événement de l’année, c’est que vous avez quitté Twitter.

(Au moment de cette interview, début novembre, Christophe­r McQuarrie, gros utilisateu­r du réseau social, avait supprimé tous ses tweets.

Peu de temps après, il reprenait la plume pour saluer la mémoire de William Goldman, le scénariste de Butch Cassidy et le Kid et des Hommes du président).

Ça commençait à me peser, à m’affecter. À cause de tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui, cette plateforme, hier encore super ludique et positive, est devenue un endroit où s’exprime beaucoup de colère, de noirceur. Je n’y passais plus de bons moments. Quand j’allais y faire un tour, je faisais de mon mieux pour injecter un peu de pensée positive, mais la négativité l’emportait toujours, et ça m’accablait. Mais je n’ai pas quitté Twitter ! J’ai juste pris un peu de distance. C’est un organisme vivant, en constante évolution, l’atmosphère va peutêtre changer.

Vous avez pris la défense de Rian Johnson pour Les Derniers Jedi, puis déclaré que vous ne vous essayeriez jamais à réaliser un Star Wars ou Man of Steel 2, étant donné l’attitude très hostile de certains fans…

Oui, ça a été le pic de négativité. Je me suis senti mal pour Rian. Mais d’une certaine façon, ça a été instructif. Je pense que les gens ne se rendent pas compte de leur négativité. Ils pointent du doigt celle des autres sans avoir conscience de la leur.

Une dernière question sur un autre de vos films favoris, le western

Les Grands Espaces (William Wyler, 1958). J’ai cru comprendre qu’il avait influencé Mission : Impossible – Fallout…

En fait, ça a été totalement inconscien­t. Et ça ne concerne qu’un plan du film. Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, mais à la fin, pendant le combat entre Walker et Ethan, j’ai soudain identifié le spectre des Grands Espaces... J’adore ce film. C’était surtout une influence de Jack Reacher,à vrai dire.

C’était un gros film, épique, tourné par Wyler juste avant Ben-Hur.

Un blockbuste­r de 1958…

Oui, un vrai western d’aventures. Voilà un autre genre auquel j’aimerais me confronter. Les westerns contempora­ins sont devenus mornes et dé constructi­on ni st es, mais si je faisais un western, j’en ferais un comme ça, comme Les Grands Espaces.

Vous le feriez avec Tom Cruise ? Bien sûr ! Il serait à fond.

MISSION : IMPOSSIBLE – FALLOUT De Christophe­r McQuarrie • Avec Tom Cruise, Henry Cavill, Rebecca Ferguson… • En DVD et Blu-ray (Paramount)

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Christophe­r McQuarrie, Henry Cavill et Tom Cruise
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Tom Cruise, Christophe­r McQuarrie et Rebecca Ferguson
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Tournage de Mission : Impossible – Fallout

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