Première - Hors-série

EVA GREEN JOURNAL DE BORD DE CASINO ROYALE

En 2006, l’interprète de Vesper Lynd avait accepté de raconter de l’intérieur cette aventure qui allait durablemen­t changer sa carrière. Flash-back.

- PAR THIERRY CHEZE

Quand, en 2005, Eva Green est choisie pour interpréte­r Vesper Lynd dans le Bond qui marque l’arrivée de Daniel Craig, elle n’est certes pas une inconnue. Mais Casino Royale va impacter en profondeur le cours de sa carrière. En incarnant l’un des rôles féminins les plus passionnan­ts de la saga, l’actrice va s’imposer sur la scène internatio­nale et travailler par la suite avec des cinéastes comme David MacKenzie, Gregg Araki, Robert Rodriguez et bien sûr Tim Burton. Durant le tournage du film, elle avait accepté de tenir le journal de bord de cette aventure forcément singulière dans un parcours de comédienne. Bienvenue dans les coulisses de Casino Royale !

PREMIER CASTING

« Quand le casting de Casino Royale commence, je sais que les producteur­s veulent me voir, mais j’ai quelques réserves. Je n’ai pas très envie d’être une James Bond girl. Mais quand mon agent réussit à se procurer le scénario, je partage tout de suite son enthousias­me. En fait, je suis très surprise car, généraleme­nt dans les Bond, le rôle des filles se cantonne au cliché de la poupée Barbie. C’est le côté glamour qui plaît au public. Dès la lecture de Casino Royale, je sens un ton nouveau. Le personnage de Vesper Lynd est tout sauf une bimbo. Le scénario remarquabl­e de Paul Haggis me rappelle l’univers des films avec Spencer Tracy et Katherine Hepburn dans les années 40. C’est humain et romantique sans verser dans le sentimenta­lisme.

J’obtiens un rendez-vous pour un casting. Et, à partir de là, tout s’emballe. Les essais se déroulent le lendemain à Prague, où le tournage a déjà commencé ! Je dois apprendre un pavé de texte en moins de 24 heures. Paniquée, je ne dors pas de la nuit ! Et quelques heures plus tard, je me retrouve face à Daniel Craig… Dans la pièce, je suis accueillie par les producteur­s Barbara Broccoli et Michael G. Wilson, apparemmen­t très contents de me voir. J’en ressors avec le sentiment que tout s’est bien passé et je repars pour New York le coeur léger. Mais dès que je pose le pied à JFK, je reçois un coup de fil. Je dois reprendre le premier avion à destinatio­n de Prague pour de nouveaux essais. Cette fois, il s’agit d’une scène dans un train. J’avoue que, là encore, je flippe un peu. Barbara et l’équipe font tout pour me mettre à l’aise. Daniel aussi. Mais ça ne me suffit pas. J’ai la nausée, je me sens mal. Daniel me prend alors les mains et me dit : “Ne t’en fais pas, moi aussi je suis passé par là et je sais à quel point c’est terrible.” Et là, je comprends progressiv­ement, devant la débauche des moyens utilisés, que les essais réalisés deux jours plus tôt devaient être techniquem­ent de mauvaise qualité : à cause du son et de la lumière, ils n’avaient pas pu me juger ! Sans compter qu’ils veulent aussi s’assurer que mon niveau en anglais est suffisant.

Le résultat tombe trois jours plus tard. La réponse est positive… Je dois m’envoler dès le lendemain pour les Bahamas. La perspectiv­e de cette nouvelle aventure m’enchante et me stresse à la fois. Je commence à me dire que je n’aurai jamais le temps de me préparer.

Me voilà aux Bahamas. Nous sommes à la fin du mois de février et ma première semaine sur place est consacrée aux essais costumes. En parallèle, je travaille aussi à fond l’anglais avec ma coach de Kingdom of Heaven. Vesper Lynd étant anglaise, mon accent doit être parfait, avec des intonation­s et un phrasé spécifique­s. Cette semaine de travail confirme aussi ma première impression : ce qui m’a tout de suite séduite à la lecture du scénario, c’est le rôle. Les dialogues de Vesper sont bourrés de jeux de mots. À ce titre, elle est vraiment l’égale de Bond. Comme lui, elle joue énormément sur l’ironie. On dirait presque deux jumeaux. Quand l’un commence une phrase, l’autre la finit. C’est le premier Bond où les dialogues ont autant d’importance. James est toujours aussi intelligen­t et charmeur. Mais on découvre une facette inédite chez lui : son côté émotionnel. Il est soudain humain. Et Vesper, tout en étant glamour, n’est pas une icône. Ils ont tous les deux les pieds sur terre. L’histoire d’amour qui les unit va construire l’homme qu’on a connu à travers les autres films, le Bond séducteur, tombeur, très peu investi dans ses rapports avec les femmes.

PREMIÈRE SCÈNE

Après une semaine de travail intensif, arrive le jour de ma première scène. Elle est censée se dérouler dans la ville de Venise… James Bond annonce à Vesper son désir d’abandonner tout pour elle. Et s’ensuit une scène d’amour. Pas le plus simple pour se jeter à l’eau ! Quand j’arrive sur le plateau, je suis choquée par le nombre de paparazzi présents qui essaient de me shooter en maillot de bain.

Aux Bahamas, on ne vit pas en huis clos. Daniel comme moi avons les échos de ce que la presse rapporte sur nous depuis plusieurs mois. Daniel en est très affecté. Ça lui met une pression supplément­aire sur les épaules : Bond, c’est comme la reine en Grande-Bretagne, un monument national ! Pour ma part, tout ce qui est écrit me paraît stupide. On lui reproche d’être blond et de ne pas savoir conduire une voiture… Je suis certaine que tout cela semblera surréalist­e après coup mais, sur le moment, il encaisse difficilem­ent.

De mon côté, j’apprends par ma mère [Marlène Jobert] que, peu avant mon premier jour de tournage, cette même presse people a annoncé que les studios ont voulu me virer, tout en donnant des détails précis sur la manière dont je jouais, alors que je n’avais pas tourné un seul plan ! C’est aussi ça Bond. Ça attire les ragots ! C’est l’arène des jeux du cirque !

Après trois jours de tournage aux Bahamas, nous partons pour Prague où nous allons rester deux mois, avec quelques passages à Karlovy Vary. Dans cette ville, toute l’équipe est réunie dans un hôtel semblable à celui de Shining en plus petit et peu recommandé pour les claustroph­obes. Mais ça permet de nous rapprocher. Car Bond c’est aussi une famille avec Barbara Broccoli dans le rôle de la mama. Elle n’a pas qu’un rapport d’argent avec ce projet. Elle met son sang dans le combat! Et sans doute parce que c’est une femme, je lui parle finalement plus qu’à Martin [Campbell].

Au niveau du jeu, je prends beaucoup de plaisir. Moi qui ne suis pas du tout physique, je me retrouve à courir avec des talons hauts, je manie un pistolet et j’ai aussi droit à des séquences sous-marines pour lesquelles j’ai suivi des cours de plongée. Mais Vesper est cependant plus une cérébrale qu’une action girl. Il y a beaucoup de scènes de jeu proprement dit. Et là, Martin fait entièremen­t confiance à Daniel. Il nous laisse faire. Avant chaque scène, on s’accorde sur les intentions de jeu. Martin sait exactement ce qu’il veut et comment le faire. Sur le plateau, derrière le moniteur, on dirait un enfant surexcité.

Dès le premier jour, Daniel est très “paternel”. Il ne cesse de me demander si tout va bien et j’ose à peine lui répondre tellement je suis timide. L’aspect grosse machine de Bond, je le découvre surtout avec la promotion. Jamais je n’ai fait autant de presse pendant un tournage. Sur le plateau, les journalist­es n’arrêtent pas de défiler avec une même question à la bouche : “Alors ça fait quoi d’être une James Bond girl ?”

Après Prague, on part pour le lac de Côme. Un lieu magique. On enchaîne avec Venise pour tourner une scène d’action en extérieur. Et, forcément, les paparazzi sont de retour. Comme nous sommes sur une barque, ils nous mitraillen­t depuis le pont. On se croirait à un photocall de Cannes. C’est vraiment n’importe quoi ! Impossible évidemment de les en empêcher mais ça rend la concentrat­ion difficile.

Sur le plateau, je demande souvent des prises supplément­aires. À chaque fois, Martin me les accorde. Il en fait lui-même beaucoup, car il multiplie les angles de prises de vues. Parfois 30 ou 40 ! Ce tournage me permet d’apprendre à garder de la fraîcheur dans mon jeu. Et, au fil des jours, je me sens de plus en plus à l’aise. Je me connais par coeur. À chaque fois, je suis très coincée au départ, angoissée de ne pas être à la hauteur. C’est assez maso, je le reconnais. Mais l’adrénaline de ces moments me booste. J’ai besoin de travailler beaucoup, comme si je passais chaque jour en examen. Une fois les prises de vues en Italie terminées, nous partons terminer le tournage à Londres en extérieur et dans les studiosde Pinewood : des scènes où un “gentil” monsieur me jette dans un ascenseur, m’enferme dans une maison vénitienne qui coule et où Bond tente de me sauver. C’est dans cette dernière ligne droite qu’il est le plus difficile de garder son influx. On est en retard, il y a plus de scènes d’action que de jeu pur. On est souvent convoqués une journée entière sans jamais mettre les pieds sur le plateau. C’est humain que l’équipe perde un peu de son énergie, dans un tel tournage marathon. Mais pas Martin ! Je ne sais pas ce qu’il avale le matin mais il ne faiblit jamais. C’est vraiment un général d’armée !

Tout au long du tournage, chaque jour, je répète avec ma coach. Ce travail est uniquement centré sur les dialogues et mon accent. Jouer en anglais demande une musique très différente du français. Les doutes ne me quittent pas et c’est ma coach qui va voir les rushes à ma place et note les prises où le résultat est le meilleur. Elle travailler­a même ensuite main dans la main avec le monteur et je ne remerciera­i jamais assez Martin d’avoir accepté cette situation. J’ai en effet énormément de mal à me regarder sur l’écran de contrôle. Ça me paralyse dans mon jeu. C’est du narcissism­e négatif, je sais. Mais je n’y peux rien. Et puis arrive le dernier jour. Et comme dans tous les tournages qui se passent bien, je suis triste de quitter ceux avec qui j’avais créé des liens...

ÉPILOGUE

Au moment où je termine ce journal, je n’ai pas encore vu le film. J’espère seulement qu’il va être fidèle au scénario et que l’action ne va pas l’emporter sur le reste, même si forcément elle occupera une place non négligeabl­e. En tout cas, la seule présence de Daniel Craig me rassure. Étant aux premières loges, je l’ai trouvé incroyable et si investi dans son personnage qu’on sentait très bien sur le plateau que Bond était dangereux et sexy à la fois. Un mélange explosif qui est la meilleure réponse à toutes les conneries qu’on a pu entendre.

Avant même que le film ne sorte, je sens un regain d’intérêt pour ma personne. Là, je vais partir tourner À la croisée des mondes : La Boussole d’or de Chris Weitz. J’y jouerai une gentille sorcière. Et comme cette sorcière vole, je vais devoir travailler sa gestuelle. Je pense beaucoup m’amuser. Une fois encore. »

DÈS LE PREMIER JOUR, DANIEL EST TRÈS “PATERNEL”. IL NE CESSE DE ME DEMANDER SI TOUT VA BIEN ET J’OSE À PEINE LUI RÉPONDRE TELLEMENT JE SUIS TIMIDE.

EVA GREEN

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