Stephen King
L’écrivain n’avait pas exactement disparu, mais la vague nostalgique qui s’abat aujourd’hui sur Hollywood le rend plus visible que jamais : La Tour sombre, un nouveau Ça, la série Castle Rock… On se croirait revenu en 1983, quand Cujo, Dead Zone et Christ
AHollywood, la razzia sur les fétiches pop de notre enfance continue. Les années 80 sont devenues le royaume du goût, un éden mythologique où l’Amérique se revoit pure et innocente, supposément « great ». Et qu’y a-t-il de plus 80s que Stephen King ? À lui seul, il raconte la fin du doux rêve de l’Amérique moderne, sa lente disparition, lui le baby-boomer dont l’oeuvre entière est colorée à la nostalgie pour les années 50 et une adolescence d’après-guerre (la sienne ?) aventureuse et picturale, quasi onirique. Mais Stephen King lui-même n’est jamais passé de mode. Il évolue avec son temps (sa veine féministe entamée avec Dolores
Claiborne, en 1992), il doute (son accident en 1999), il tweete. À 69 ans, il continue de pondre un à deux romans par an. Il peut bien sûr dire merci au cinéma et à la télévision. Les studios ont toujours fait du bon business sur son nom. Parfois pour le meilleur, souvent pour le pire (voir sa filmo complète pages 56-58). Son retour musclé en haut de l’affiche pose néanmoins un certain nombre de questions. À quelle génération de spectateurs ces films s’adressent-ils ? King est-il toujours un bon baromètre de l’horreur ? Fonctionne-t-il mieux en télé, en gros budget ciné (La Tour sombre, le nouveau Ça) ou en hommage (la série Stranger Things) ? Sommes-nous prisonniers d’une boucle temporelle ? Nos experts répondent. PREMIÈRE : Est-il plus facile d’aimer et de découvrir Stephen King enfant ? ALEXANDRE AJA : Si je l’avais découvert plus tard, est-ce que je l’aurais aimé de la
même manière ? Difficile à dire, j’ai lu ses plus grands livres vers 10-12 ans. J’en ai relu récemment, et j’ai retrouvé les mêmes émotions. Est-ce un écho à ma propre enfance, aux peurs inscrites par ces mêmes lectures, et aux stimuli de l’époque ? Ou King parlet-il de l’enfance refoulée que l’on continue de porter en nous ?
ANDRÉS MUSCHIETTI : J’ai dû me poser la question pour Ça. Je voulais rester fidèle aux sensations que j’avais eues en le lisant enfant, tout en réalisant un film capable de satisfaire l’adulte que je suis. Combiner deux points de vue, comme le fait le livre.
PIERRE LEMAITRE : Ce qui est frappant avec les enfants, c’est qu’ils vivent dans le présent. L’avenir est hypothétique, très abstrait. Et le passé vite oublié. La monstruosité c’est ça : le présent. Ici se cachent les
« L’AMÉRIQUE EST LE TERRITOIRE DE STEPHEN KING, ET LA PUBERTÉ SA PÉRIODE. » TRISTAN GARCIA, ÉCRIVAIN
monstres. L’univers des enfants se fabrique à partir de ce que l’on a sous les yeux, et King l’a très bien compris.
TRISTAN GARCIA : Il suffit de se souvenir d’avoir été enfant, et d’avoir cessé de l’être, pour trouver du charme à ses histoires. La plupart de ses récits jouent avec la peur de la puberté. Dans une Amérique moderne où les rites de passage ont disparu, c’est le sujet des Enfants du maïs, par exemple, on ne sait plus trop comment cesser d’être un enfant. On risque de rester un kid toute sa vie. On en a envie, mais peur aussi. Et on n’est pas certain de trouver l’âge adulte particulièrement désirable. Dans l’entre-deux, les monstres et les cauchemars de King prolifèrent. L’Amérique est son territoire, et la puberté sa période. Au fond, presque toutes ses histoires répètent le chef-d’oeuvre de Ray Bradbury, La Foire des ténèbres, qui raconte le « dernier été avant la fin de l’enfance » de deux gamins découvrant le diable sous la forme du patron d’une troupe de forains, capable d’inverser le cours du temps. À la fin, les adolescents sont sauvés, mais l’enfance est derrière eux.
MATT & ROSS DUFFER : King est la madeleine ultime, une passerelle directe vers l’enfance, peut-être encore plus que Spielberg. Les expériences narratives les plus puissantes, vous les vivez à 12-13 ans. Plus vous consommez de livres, de films, plus vous le faites compulsivement, et plus vous devenez réceptifs et avides d’histoires. On voulait capturer cette impression d’engloutissement, de décloisonnement imaginaire total, que l’on ressent en jouant à Donjons
& Dragons et en lisant King. On peut regarder une couverture d’un de ses bouquins et se rappeler immédiatement où on était quand on l’a lu, quels problèmes on avait, quelle fille on rêvait d’embrasser, etc.
LE GENRE ? QUEL GENRE ?
Est-il un grand écrivain fantastique ou un grand écrivain tout court ?
MICK GARRIS : Ce qui est génial, c’est la véracité de son monde. Ça se passe sur notre planète, avec des gens qu’on connaît. On a tous un voisin ou une vieille tante comme ça. Quand le fantastique fait irruption, vous craignez pour les vivants. Si vous enlevez l’horreur et le fantastique, le drame fonctionne quand même.
T. GARCIA : King se sert d’éléments du genre pour écrire de la littérature générale, populaire, à destination de tous. Les amateurs de genre, qui aiment vivre à l’intérieur de la forteresse de leurs goûts, l’ont toujours trouvé un peu facile, mainstream, généraliste. Mais le lire comme un génie littéraire hors genres, un écrivain « tout court », ce serait commettre une erreur symétrique. King l’a souvent affirmé : il n’est pas un grand styliste, ni même un grand artiste, mais un artisan génial. Pour construire, il a toujours eu besoin des archétypes issus des pulps, de la série B, de l’imaginaire des teenagers. Le déraciner de ce terreau de la culture populaire pour tenter d’en faire un créateur sous vide, c’est tuer tout son intérêt. Vouloir le légitimer en tant que grand écrivain afin de renforcer notre amour pour lui, c’est l’affaiblir. Je crois que le meilleur moyen de le caractériser, c’est d’en faire un grand écrivain américain. Je ne connais pas un seul de ses ouvrages qui se passe entièrement hors d’Amérique, et qui n’entretienne pas un rapport viscéral avec ce pays. C’est là sa bizarrerie et sa grandeur : son territoire imaginaire, c’est l’Amérique de la classe moyenne, parfois de la classe ouvrière. Et la culture purement américaine : Lovecraft, Poe, Bradbury, les drive-in, la société de consommation, les westerns, le rock, les films d’exploitation, les gangs de motards... Rien d’autre. Il hérite de tout ce que l’Amérique populaire a dit, écrit, chanté, filmé et rêvé depuis plus d’un siècle ; et il fait avec. C’est son genre. M&R DUFFER : Il est souvent méprisé par des gens qui ne l’ont pas lu. Ça arrive quand un artiste, n’importe lequel, au hasard Steven Spielberg !, accède à une reconnaissance publique aussi totale. L’élite décide que ce n’est pas sérieux. P. LEMAITRE : Au-delà du genre, la prolixité est mal vue. Un écrivain qui écrit beaucoup, écrit trop... On oublie que Balzac est mort à 50 ans en ayant laissé La Comédie humaine, que Sand a écrit deux-cent cinquante livres, Dumas plus de trois cents... La prolixité, en soi, n’est ni une qualité, ni un défaut. Joyce Carol Oates pouvait
« KING EST LA MADELEINE ULTIME, UNE PASSERELLE DIRECTE VERS L’ENFANCE. » MATT & ROSS DUFFER, SHOWRUNNERS
écrire soixante pages par jour : phénoménal. Et il y a des écrivains prolixes dont l’oeuvre témoigne d’une qualité constante, presque rassurante. C’est le cas de King.
LE CINÉMA, UNE ENTITÉ SÉPARÉE
Stephen King serait-il Stephen King sans les films et les séries adaptés de ses livres ? M. GARRIS : Carrie au bal du diable a fait du livre un best-seller, et pas le contraire. Quand votre premier livre devient un film génial et une telle sensation, ça aide à vous établir. King aurait été immensément populaire sans les films, mais les films ont élargi sa place dans le monde et l’ont « marketé ».
MARK PAVIA : Les adaptations ont fait de lui une marque, une icône. De la même manière qu’Hitchcock est devenu mondialement reconnaissable avec sa série Alfred
Hitchcock présente. Stephen aurait pu être heureux juste avec ses romans. C’est un écrivain, c’est son job, son unique horizon. Mais c’est aussi un fondu de pop culture et il adore l’idée que le cinéma s’empare de ses histoires.
M&R DUFFER : Le vrai problème des adaptations, c’est qu’il y a beaucoup de merdes !
T. GARCIA : Le cinéma l’a multiplié par deux, et un fantôme le poursuit : c’est le spectre d’oeuvres télévisées et cinématographiques médiocres ou géniales, imprimées dans notre imaginaire, et qui lui échappent. La mini-série Ça fait peine à revoir ;
Le Fléau télé a mal vieilli ; la série 22.11.63 est platement illustrative... Chaque magnum opus ou presque s’est ainsi transformé en échec. En revanche, ses textes d’apparence moins ambitieux, tels que l’automnal Dead
Zone, le doux-amer Le Corps, l’intime et poignant Shining – L’Enfant lumière ou le huis clos de Misery ont été l’occasion de bons films, parfois de chefs-d’oeuvre, mais en prenant un sens différent de celui qu’il voulait leur donner.
A. MUSCHIETTI : Parfois il est producteur exécutif, voire scénariste, parfois non. Selon le projet, il décide de s’impliquer ou de rester à l’écart. Il n’a pas voulu participer à Ça. Par le biais de son agent, il nous a fait savoir qu’il se réjouissait de découvrir le film en salles, comme tout le monde.
M. PAVIA : Il impose une distance, mais je crois qu’il n’est jamais resté insensible à ce que les films ont fait de ses romans.
T. GARCIA : Il s’est même parfois escrimé à répondre par ses livres aux adaptations, à rétablir sa vérité contre la version déformée qu’en aura donnée le cinéma. Il a, par exemple, voulu guérir la blessure narcissique de Shining, qui représente presque un contresens par rapport au texte : la charge humaniste de King contre l’alcoolisme et la violence domestique transformée en froide contemplation kubrickienne du Mal et de la destruction...
M. GARRIS : Je n’avais jamais été impliqué dans quelque chose d’aussi controversé que la mini-série Shining – Les
Couloirs de la peur. Comprenez bien : le film de Kubrick n’a pas besoin d’être fidèle au bouquin, à moins de considérer celui-ci d’une importance égale à la Bible, ce qui était mon cas... Stephen a écrit le scénario de mon Shining. J’ai obtenu les meilleures critiques de ma carrière, là où Kubrick, pour le sien, s’était fait atomiser. Je l’aurai au moins battu là-dessus ! (Rire.) Ce n’est qu’ensuite que les ayatollahs me sont tombés dessus. Comment réussir une bonne adaptation de Stephen King ? A. MUSCHIETTI : Frank Darabont est le meilleur fabricant d’un cinéma qui a l’apparence et la sensibilité des romans de Stephen King. Le temps d’une poignée de films et de séries (Les Évadés, La Ligne verte, The Mist), il a réussi à résoudre la schizophrénie entre le King littéraire et le King cinématographique. DANIEL ATTIAS : Qui détient les droits d’adaptation ? Voilà la question décisive. Au début des années 80, c’était Dino de Laurentiis. Il mettait des options sur tout ce qui portait le label King. Peur bleue était au départ un synopsis d’histoire publié dans un calendrier. Stephen n’avait pas encore écrit le roman L’Année du loup-garou (d’après le scénario de “Peur bleue”) au moment du tournage. Stephen et moi avons écrit un film d’aventures pour enfants, mais De Laurentiis a ordonné un paquet de reshoots pour rajouter du gore et des tueries, ce qui ne cadrait pas du tout avec l’esprit. Le résultat est un hybride étrange qui, me dit-on, a son charme. M. PAVIA : Dans les années 90, Richard P. Rubinstein était le nouveau maître des clés. Je lui ai envoyé, ainsi qu’à Stephen King,
mon court métrage Drag, et Richard m’a engagé pour adapter Les Ailes de la nuit, que je connaissais très bien. Lire King fait surgir certains sentiments très particuliers qu’il est le seul à produire en moi. C’est un génie de la narration à combustion lente. Ses histoires s’attaquent à ton subconscient, s’y accrochent et te contaminent lentement, jusqu’à te faire suffoquer à la fin. L’effet est celui d’un rêve ou d’un cauchemar, et c’est ce que je voulais restituer dans le film.
M. GARRIS : Bon film de cinéma et bonne adaptation, ce n’est pas pareil. Je pense qu’il y a de la place pour les deux... Je n’ai pas vu
La Tour sombre, mais j’entends dire que ce n’est ni l’un, ni l’autre. Stephen a sa propre définition du film de deux heures. Il appelle ça le syndrome de l’écrasement de valise. Vous essayez de mettre un maximum d’affaires dans une valise et vous vous asseyez dessus jusqu’à ce qu’elle ferme. Mais parfois, en descendant le tapis roulant, elle explose de l’intérieur et votre linge sale se répand devant tout le monde !
M&R DUFFER : La Warner a poliment refusé de nous laisser réaliser Ça... et c’est ce qui nous a poussés à créer Stranger Things. La série est littéralement née de la couverture de Charlie. On a collé la roue d’un vélo
BMX à l’avant-plan, retouché la typo néon du titre, et c’est devenu la page de garde du dossier envoyé à Netflix. « Une couverture de livre de poche. Voilà nos années lycée. Voilà la série. »
D. ATTIAS : Je suis actuellement en préproduction sur la série Castle Rock, produite par Stephen et J. J. Abrams. La série utilisera des personnages de son monde fictif, mais il s’agira d’une seule histoire sérialisée. Je pense que les fans vont se faire dessus !
NOSTALGIQUE D’UNE NOSTALGIE
À l’écran, les années 80 sont devenues cet éden américain perdu constitué de morceaux de films Amblin et de bouts de romans de King. Les années 80, royaume de l’innocence… N’est-ce pas un contresens ?
A. AJA : Je viens de terminer un tournage en réalité virtuelle en Espagne, une anthologie d’horreur qui s’appelle Campfire Creepers, des petites histoires racontées au coin du feu dans un camp de vacances, fortement imprégnées de l’univers de Stephen King. Comme il a hérité de la littérature d’horreur et de SF des années 50, une nouvelle génération s’empare de son « genre ». Et je pense que ça continuera.
T. GARCIA : D’une génération à l’autre, la nostalgie devient nostalgie de la nostalgie, et c’est simplement le signe d’une trop grande fidélité : King a trahi pour créer, et ceux qui croient aujourd’hui le servir le desservent en transformant mécaniquement son enfance perdue en leur propre enfance évanouie. Le principe même de la nouvelle adaptation de Ça me semble une double erreur : elle est mal fidèle, mais aussi elle trahit mal. Dans Ça, les 80s représentent la compromission adulte, la fin des idéaux des années 60, et King a toujours détesté ces années-là : les yuppies, leur musique, leur style. Ben devient un riche architecte blasé, Beverly travaille dans la mode... Transposer l’éden perdu de l’enfance de Ça (qui se
passe en 1957-1958) dans les années Reagan, c’est passer à côté de la vision de King quant au déclin de la promesse américaine.
M&R DUFFER : C’est étrange, oui, d’avoir
situé l’action de Ça dans les années 80. Ça ressemble encore plus à Stranger Things du coup, non ?
A. MUSCHIETTI : Certains éléments de l’histoire sont spécifiques à quelqu’un qui a grandi dans les 50s, c’est vrai. Dans le livre, les incarnations de Ça renvoient à des monstres comme Frankenstein, la momie ou la créature du lagon. Leur évocation est tellement puissante que l’on comprend l’impact qu’ils ont eu sur King en grandissant. Je viens des années 80, j’ai d’autres peurs. Plus personnelles, plus étranges, peut-être plus tordues... C’est un choix artistique.
M. GARRIS : Ma nostalgie des 80s ne s’étend pas aux films d’horreur. Ça, je ne pige pas. Les slashers n’étaient déjà pas bons à l’époque, alors aujourd’hui... La nostalgie est un piège qui se refermera sur Hollywood. Les années 80 étaient drôlement pourries, ne l’oublions pas. Politiquement,
« KING EST UN GÉNIE DE LA NARRATION À COMBUSTION LENTE. » MARK PAVIA, RÉALISATEUR
« IL N’Y A QU’UN SEUL KING. IL N’Y EN AURA JAMAIS QU’UN. » MICK GARRIS, RÉALISATEUR
socialement, le pays était dans les choux. Il n’y a pas d’Americana là-dedans, ou alors celle de Donald Trump. Cette nostalgie de pacotille a largement contribué à l’élection de notre président de l’enfer.
POST MORTEM
Stephen King est une star mondiale et une marque globale. La postérité de son oeuvre peut-elle lui survivre ?
M. GARRIS : Lorsqu’on filmait Le Fléau à Las Vegas, on avait 600 figurants dans la rue. King est venu assister au tournage de la scène. Mais à son arrivée, une vague de 600 personnes s’est abattue sur lui ! C’était super flippant. Il est remonté dans sa voiture, a repris l’avion et est rentré chez lui.
D. ATTIAS : En 1984, American Express le met en scène dans une pub où il se balade dans un château avec un candélabre. C’est vraiment là que son nom et son visage ont commencé à prendre racine. Il faut dire que physiquement il est tellement unique, avec son mètre 95 et ses lunettes à double foyer. Il a la gueule de l’emploi !
A. AJA : J’ai été approché pour un remake de Simetierre. Je suis allé chez son agent à Los Angeles et nous sommes entrés dans une grande bibliothèque boisée. Il y avait là un immense catalogue avec l’oeuvre complète de King : tous les titres accompagnés d’un petit résumé et d’une date renseignant sur la période de disponibilité des droits... J’imagine très bien des cycles de résurgence de son oeuvre à l’avenir.
P. LEMAITRE : Ce qui va rester, c’est la place qu’il a occupée de son vivant, c’està-dire un auteur dont la création est indissociable de l’époque où il a vécu. Quand on rejouera l’histoire de l’Amérique des années 1970 à 2020, on découvrira que c’est lui qui l’incarnait le mieux. Celui qui aura compté culturellement.
T. GARCIA : Si la jeunesse de l’époque cesse un jour de se contempler dans le miroir de la culture américaine, Stephen King perdra sa force. Son oeuvre porte la marque de cette angoisse. King a pu plaire au-delà de l’Amérique parce qu’il la critique. Il est démocrate, pourfendeur de l’impérialisme, libéral, défenseur des droits des femmes, des minorités sexuelles, des Juifs, des Noirs, des Indiens. Il porte la culpabilité blanche américaine, celle d’une nation construite sur des ossements (le motif récurrent du cimetière indien), par expropriation et par exploitation. Mais à cette culpabilité, il oppose une innocence fantasmée qui ressemble à l’idéal américain originel, exprimé une dernière fois par la contre-culture des sixties : autodétermination, liberté de conscience, vérité de la communauté contre mensonge de la société... King défend la promesse américaine contre sa réalisation pervertie. Et il a conscience de l’épuisement de cette logique, qui a tendance à devenir de plus en plus mélancolique avec l’âge. Jusque dans ce petit livre récent, Roadmaster, dont le titre original, From a Buick 8, fait référence à une chanson de Dylan.
M. GARRIS : Il n’y a qu’un seul King. Il n’y en aura jamais qu’un. J’aimerais trouver une autre personne avec son rendement, et dont je me réjouirais chaque année de lire la prose horrifique en sachant que je vais aimer. Si cette personne existe, je ne l’ai pas encore trouvée.
ÇA De Andrés Muschietti • Avec Bill Skarsgård, Jaeden Lieberher, Finn Wolfhard… • Durée 2 h 15 • Sortie 20 septembre.