Première

LE MASQUE & LA BRUME

Au coeur d’un Paris enseveli sous un nuage mortel, Romain Duris et Olga Kurylenko se battent pour la survie de leur fille malade. Désireux de contribuer au renouveau du film de genre français, Dans la brume, réalisé par le Québécois Daniel Roby, est un pa

- PAR JULIEN LADA & ÉRIC VERNAY

J’espère qu’il n’y a pas d’asthmatiqu­es chez vous. Ne faites pas attention aux masques, c’est pour ceux qui travaillen­t ici chaque jour. » L’accueil dans les studios de Saint- Ouenl’Aumône (Val-d’Oise), où se tourne Dans la brume, a de quoi surprendre à la vue de ces imposants masques à gaz accrochés dans le sas d’entrée. Mais il n’a rien à voir avec ce qui se présente une fois la porte coupe-feu franchie : un immense hangar envahi par la fumée, reconstitu­ant à l’échelle des rues de la capitale. Le plateau baigne dans une atmosphère de temps suspendu. La silhouette d’un technicien circulant en Segway se dessine au loin dans le brouillard. Partout sur les trottoirs, des mannequins simulent un Paris post-apocalypti­que, à l’image d’un « cadavre » pendouilla­nt sur un feu tricolore, devenu la coqueluche du tournage.

Vertiges

La séquence du jour est un reshoot d’une scène tournée la veille : une course-poursuite contre un chien, filmée en travelling grâce à une caméra fixée sur un quad. La logistique déployée est énorme, les opérateurs doivent slalomer entre les voitures abandonnée­s et composer avec un faux macadam un peu plus glissant à chaque prise. Sans parler du paramètre le plus important, la fumée, dont la densité, variant d’une prise à l’autre, provoque rapidement quelques maux de tête... À bien des égards, le tournage de Dans la brume ne ressemble à aucun autre, y compris pour une Olga Kurylenko pourtant habituée aux plateaux des blockbuste­rs (Quantum of Solace, Oblivion). « On ne voit pas à un mètre devant soi, c’est tellement dense... », nous confie celle qui retrouve le cinéma français de ses débuts. « C’est difficile ! Il n’y a pas de marques au sol pour se repérer. Mon personnage possède une lampe torche, ça aide un peu pour bouger. On a tourné une scène dans les escaliers, j’éclairais mes pieds en permanence pour

ne pas tomber. Heureuseme­nt que je ne suis pas claustroph­obe ! » Même son de cloche chez son partenaire Romain Duris : « Difficile de voir et de respirer dans ces conditions, la première semaine j’avais parfois le vertige. C’est presque comme tourner dans le noir ! » Le défi posé par le tournage se reconnaît aussi à son gigantisme. Depuis début janvier, une équipe de quarante- cinq personnes et une vingtaine de semi-remorques se relaient entre les sites de SaintOuen-l’Aumône et Bry-sur-Marne (94), où sont filmées toutes les scènes d’intérieur. Celles se déroulant sur les toits de Paris (qui émergent au-dessus du nuage mortel) ont pu être tournées dans les mêmes quartiers que ceux reconstitu­és en intérieur. Après avoir un temps envisagé de tourner le film dans sa totalité en extérieur, la production s’est vite retrouvée face aux contrainte­s du vent et de la luminosité, de l’aveu de Guillaume Colboc, coproducte­ur du film. S’est ensuite présentée la possibilit­é d’un tournage en Europe de l’Est. Pas idéal. « Avec le directeur de production, on a insisté pour que le film se tourne en France », explique le chef décorateur Arnaud Roth. « L’équipe régie a multiplié les contacts pour obtenir deux lieux qui correspond­aient à ce que l’on cherchait : pas de poteaux, une hauteur d’au moins dix mètres sous plafond et au minimum cinq mille mètres de surface au sol. Et on a finalement choisi cet endroit, un ancien entrepôt pour voitures de luxe. »

Lumière et brouillard

Comment enfumer efficaceme­nt un plateau aussi vaste ? Une dizaine de machines télécomman­dées associées à des ventilateu­rs ont été réparties à chaque coin de rue, tandis que de longs tubes en plastique répartisse­nt l’afflux de fumée de manière homogène. Au-dessus du plateau, un immense filet blanc est chargé de tamiser la lumière des vasistas du plafond et d’uniformise­r l’impression visuelle. De couleur grisblanc, la brume est ensuite retravaill­ée numériquem­ent, pour paraître plus menaçante, explique Arnaud Roth. Chaque choix de décor doit être envisagé en fonction de ce nouveau facteur : « On a dû penser à des couleurs pas trop violentes, sur des dominantes de pierres de taille et de crépis plutôt gris clair. » L’ensemble a de quoi donner le tournis, surtout quand on sait que la production de Dans la brume allie poids lourds de l’industrie (Quad, maison de production du tandem Toledano-Nakache), casting glamour, et la petite structure Studio 9 de Guillaume Colboc, associé de longue date de Mathieu Kassovitz. Derrière la caméra, le Québécois Daniel Roby, que l’on a pu voir à l’oeuvre sur la saison 1 de Versailles. Dans le sillage du succès critique (et public dans une moindre mesure) de Grave, le cinéma français est-il enfin prêt à se réconcilie­r avec le cinéma de genre ? Après l’adaptation de la BD pour ados Seuls, le film de Daniel Roby creuse à son tour le sillon de la brume meurtrière. Et forcément, les références anglo-saxonnes affluent : The Fog, The Mist... « J’étais fan de David Cronenberg, sa période années 70 et 80. La Mouche, Dead Zone... Ridley Scott aussi m’a beaucoup influencé : Blade Runner, Alien... », confie le cinéaste québécois. Malgré les gros moyens déployés pour un film de genre – 11,5 millions d’euros – le réalisateu­r prône une approche intimiste. « J’essaie d’être le plus réaliste possible, d’immerger le spectateur dans l’expérience au maximum, en lui faisant partager le ressenti des personnage­s. En général dans les films catastroph­e hollywoodi­ens, le point de vue est omniscient. Là, on est avec les personnage­s, on découvre les situations en même temps qu’eux. » Arnaud Roth appuie : « On a dû réfléchir à la façon d’intégrer certaines situations dans les décors pour traduire la surprise des gens qui ont été piégés par l’arrivée de cette brume, un peu comme ceux qui ont été saisis par l’éruption du Vésuve, à Pompéi. » Soucieux de combler les années de retard prises par le cinéma fantastiqu­e hexagonal, mais désireux d’en conserver sa spécificit­é, Dans la brume est confronté à une équation complexe. Avec l’espoir pour Daniel Roby de s’inscrire dans l’héritage de celui qui l’a beaucoup influencé dans sa jeunesse, et qui reste encore aujourd’hui le plus internatio­nal des promoteurs du genre made in France : Luc Besson.

« ON A INSISTÉ POUR QUE LE FILM SE TOURNE EN FRANCE. » ARNAUD ROTH, CHEF DÉCORATEUR

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Romain Duris et Olga Kurylenko.
 ??  ?? Technicien­s dans la brume...
Technicien­s dans la brume...
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 ??  ?? Extraits du story-board.
Extraits du story-board.
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