WALT GOSCINNY L’HISTOIRE OUBLIÉE DES STUDIOS IDÉFIX
Dans les années 70, le créateur d’Astérix et du petit Nicolas a eu l’idée folle de bâtir un studio d’animation français. Retour sur les quatre années qui ont bouleversé à jamais l’industrie du cinéma hexagonal, à l’heure où la Cinémathèque française rend
En ce 1er avril 1974, dans le très cossu 13e arrondissement de Paris, la discrète rue Guillaume Tell accueille le rêve d’un scénariste de génie. Au numéro 16, dans un petit immeuble, René Goscinny donne le coup d’envoi de ses studios Idéfix, concrétisation d’une douce folie : créer, en France, un studio d’animation susceptible de produire des films capables de concurrencer les superproductions de l’oncle Walt. Ce petit homme, toujours tiré à quatre épingles, extrêmement poli, est désormais à la tête d’une structure d’une cinquantaine de salariés, animateurs, gouacheurs et assistants. Il a imaginé un véritable précis industriel et posé les fondations de l’animation française. Après des décennies de productions artisanales avec Jean Image ( Aladin et la lampe merveilleuse) et Paul Grimault ( Le Roi et l’Oiseau), le dessin animé tricolore est sur le point de changer de visage, et s’apprête à passer dans une nouvelle dimension.
3 associés, 12 travaux et 1 filière
René Goscinny ne part pas seul à l’aventure : il embarque avec lui son ami Albert Uderzo et son éditeur Georges Dargaud. Ce sont les trois patrons des studios Idéfix. Mais, rapidement, c’est lui qui met le plus d’argent dans le projet et qui impose sa vision d’un patronat humaniste : il ne veut que des salariés, pas d’intermittents, qu’il paye correctement et à qui il offre un environnement propice à l’expression artistique. Mieux : les studios créent à la prestigieuse école des Gobelins la filière animation, promettant aux jeunes diplômés un emploi une fois leur cursus accompli. Maintenant, il ne reste plus qu’à réaliser des films. Et la même ambition préside aux destinées artistiques du studio : plutôt que de se reposer sur ses lauriers de César de la BD française, René Goscinny décide d’écrire un script original pour la première production made in Idéfix. Ce sera le cultissime Les 12 travaux d’Astérix. Dès 1974, toute l’équipe se met à travailler sur ce projet. Goscinny, qui cherche à internationaliser son savoir-faire, s’offre pour l’animation de quelques scènes le concours des studios de l’Anglais John Halas – le père du cartoon britannique depuis le succès de son Animal Farm. Il fait aussi venir un Américain, Bob Maxfield, passé par Disney période Peter
Pan. Il pioche enfin chez les Danois le génial Borge Ring, l’animateur qui obtiendra un Oscar en 1985 pour son court métrage Anna & Bella. Le film sort finalement le 20 octobre 1976 et, ironie du sort, il est battu en France par la ressortie de Fantasia. Mais, en Allemagne, c’est un triomphe : plus de 7 millions d’entrées. Environ six mois vont s’écouler entre la fin de travail sur Les 12 travaux... et le lancement de la production du second long métrage du studio La Ballade des Dalton. Dans cet intervalle, il faut occuper les équipes. Oui, mais comment ? Goscinny va chercher à rationaliser sa
GOSCINNY A IMAGINÉ UN PRÉCIS INDUSTRIEL ET POSÉ LES FONDATIONS DE L’ANIMATION FRANÇAISE. petite entreprise et se lance dans la diversification. Il met à contribution ses équipes sur d’autres projets, fait entrer les studios Idéfix dans le monde de la publicité, en réalisant des spots notamment pour Carrefour ou Panzani. Un pilote d’animation pour la télévision, Un
chien vaut mieux que deux tu l’auras, avec Idéfix en héros de petits contes moraux de cinq minutes, est aussi produit, ainsi qu’une « interview » des deux célèbres Gaulois par Pierre Tchernia qui mobilisera quelques animateurs. Derrière cette course aux projets, l’objectif de Goscinny est simple : faire de ses studios une structure pérenne où des salariés travaillent sur tout type de projet, pourvu que la boîte tourne.
Goscinny un héros qui ne meurt jamais
Le second long métrage est mis en branle à la fin de l’année 1976. Avec La Ballade des Dalton, Lucky Luke a lui aussi droit à son histoire originale. Le travail avance bien jusqu’à ce week-end de novembre 1977 où René Goscinny meurt, à 51 ans, au cours d’un test d’effort chez son cardiologue. C’est par la radio que bon nombre d’animateurs apprennent le décès de celui qui, pour certains, est devenu un père de substitution. « Certains d’entre nous n’y ont pas cru », se souvient Patrick Schwerdtle, animateur et l’un des premiers élèves des Gobelins à rejoindre les studios. « Le lundi suivant, nous ne nous sommes pas rués sur nos tables pour travailler... » Les studios Idéfix ne survivront pas au décès de René Goscinny – Dargaud et Uderzo ne souhaitant pas continuer l’aventure. Ils ferment le 1er avril 1978, alors que La Ballade des Dalton n’est même pas sorti en salles – l’exploitation du film commence le 24 octobre, et son box-office final s’élève à 1 447 768 entrées. Disparus, les studios Idéfix ont laissé un précipité inestimable. « Sans Goscinny, pas d’Angoulême, pas de Français à Hollywood chez DreamWorks, conclut Frédéric Bonnaud, directeur de la Cinémathèque française. Goscinny a créé un métier, scénariste de bande dessinée, et tout ce qui va avec. Tous les gamins qui lisent des BD dans les librairies, c’est son oeuvre. » Il a bien mérité le surnom que lui a donné son grand ami Gotlib : Walt Goscinny. D’autant plus qu’il reste dans les tiroirs un film inachevé,
Jumbo, idée totalement inédite, qui aurait fait de Goscinny l’équivalent de son modèle américain, un patron de studio. Un vrai. Mais c’est une autre histoire...
GOSCINNY ET LE CINÉMA
Exposition à la Cinémathèque française • Du 4 octobre 2017 au 4 mars 2018.