Première

SOLDAT RIAN

Qui est mieux placé pour parler de Mark Hamill que lui ? Rian Johnson, scénariste/réalisateu­r de Star Wars – Les Derniers Jedi, nous explique comment il a abordé le personnage mythique de Luke Skywalker et son illustre interprète.

- u PAR SYLVESTRE PICARD

Tout tourne autour de Luke. Le film s’ouvre sur lui et Rey. J’ai commencé à écrire avec en tête le destin de ce personnage. Qu’est-il devenu ? Les Jedi, toute la mythologie de l’univers Star Wars, ce n’est intéressan­t qu’au regard de son destin. Alors maintenant, comment va-t-il affecter le parcours de Rey ? La chevalerie Jedi prend un autre sens dans cette nouvelle trilogie. Surtout à la fin du film. Quand j’étais gamin, dans mon Colorado natal, j’ai vu Star Wars et j’ai ressenti un appel vers quelque chose de plus grand. Les Jedi incarnent cet appel. Il fallait que j’y sois fidèle. J. J. ( Abrams) m’a fait lire le scénario du Réveil de la Force et j’ai pu regarder les rushes. J’ai eu très vite une idée précise des personnage­s et de la direction que je voulais leur donner dans l’épisode VIII. J’ai établi une liste de noms. Pas une liste des scènes que j’aimerais tourner – une scène d’action, une scène comique… –, non. Une liste de noms. Et puis je me suis posé plusieurs questions : qu’est- ce que je sais d’eux ? Où vont-ils ? Que veulentils ? Quelle sera la pire épreuve qu’ils devront affronter ? Voilà comment j’ai commencé à structurer le film. À trouver l’intrigue. Le destin de Luke était le premier gros obstacle à surmonter. Quand tu parles avec Mark Hamill, tu sors de ton corps. Je veux dire : “Wow, je parle avec Luke Skywalker.” Il faut du temps pour arrêter d’être estomaqué par cette expérience. Pour un autre rôle, un autre film, travailler avec Mark Hamill aurait déjà été surréalist­e, mais là... Quand Mark te raconte une anecdote de tournage de L’Empire contre-attaque, tu t’arrêtes et tu écoutes... sauf si c’est la cinquième fois qu’il te la raconte. (Rire.) Les personnage­s de Leia et de Luke signifient tellement pour Carrie et Mark. On était obligés de prendre en compte leur avis. La Résistance tient le rôle principal dans Les Derniers Jedi, plus que le Premier Ordre. J’ai regardé beaucoup de films de guerre et de films de samouraïs. Un homme de fer (1949) de Henry King avec Gregory Peck qui joue un chef d’escadrille de bombardier­s en pleine Seconde Guerre mondiale m’a énormément influencé. Dans la bande-annonce, on voit des bombardier­s de la Résistance faire du rase-mottes, ça vient de là... Observer la dynamique interne du personnage de Peck – et d’un groupe de soldats sous pression extrême – a aussi été très important. J’ai également revu Les Trois Samouraïs hors-la-loi (1964) de Hideo Gosha, et tous les chambaras (films de sabre japonais) possibles... Pourquoi la couleur rouge domine dans Les Derniers Jedi ? C’est une belle couleur, non ? C’est un geste artistique pour donner au film une identité visuelle frappante, distincte, immédiatem­ent reconnaiss­able. J’en dirai plus quand il sera sorti. La surprise n’était pas le but. Il ne fallait pas surprendre juste pour le principe : “Mmm, voyons, à quoi ne s’attendent-ils pas ?” Non. Il fallait d’abord être cohérent. Faire sens. C’est comme la vie : on regarde dans le rétro et on réalise que l’on n’aurait pas pu imaginer ce qui vient de nous arriver au cours des deux dernières années. Pourtant c’est cohérent avec notre histoire personnell­e. J’aime Star Wars depuis mes 4 ans, mais curieuseme­nt je ne me suis pas senti intimidé en réalisant le film. Quand j’ai commencé à travailler, la pression des fans était tellement abstraite que je ne l’ai pas ressentie. Aimer cet univers depuis l’enfance m’a donné une force, une boussole pour faire les choses correcteme­nt. Ma plus grande peur était de faire un mauvais Star Wars. »

(« voice over actors », en anglais), et c’est une honte de les appeler comme ça : il faut trouver le personnage pour trouver sa voix, c’est un vrai boulot. Les voice over actors appellent ceux qui jouent face caméra des « acteurs de visage » (« face actors »).

(Rire.) C’est beaucoup plus difficile de transmettr­e une émotion avec sa voix, sans son corps. Si je n’avais pas fait Star Wars, mais juste le Joker, j’aurais été content. Avec le recul, le rôle de Luke a-t-il été une bénédictio­n ou une malédictio­n ? Luke m’a fait du mal, d’une certaine façon. On ne voulait pas de moi ailleurs : j’aspirais à tenir le rôle principal de Midnight Express mais on ne m’a même pas laissé auditionne­r, à cause de Star Wars. J’étais trop typé pour ce genre de rôle. Mais ça m’a motivé pour aller jouer à New York, passer des auditions libres, et j’ai pu remplacer Tim Curry dans

Amadeus... J’ai eu les meilleures critiques de ma vie lors de mon passage à Broadway. La critique du New York Times est celle qui m’a fait le plus plaisir : « Comme le grand comédien juif qu’il est, Hamill partage la scène avec le reste de la troupe... » Je ne suis pas juif, mais le critique était persuadé que je l’étais. Je n’étais plus Mark Hamill mais les personnage­s que j’incarnais. Ça a été une révélation. Vous avez aussi tourné dans le film de guerre Au-delà de la gloire, de Sam Fuller avec Lee Marvin, en 1980... C’est amusant que vous me parliez de ça. En 2004, on a enfin vu à Cannes le montage de Sam Fuller. Le film avait été tellement charcuté qu’une voix off avait été rajoutée. Il n’y en avait pas dans le script. Le film était passé de 2 h 45 à 1 h 45. Il fallait expliquer les trous dans le montage, « et là on a bougé en Italie » parce qu’ils ont enlevé vingt minutes. Dommage que ce ne soit pas arrivé du vivant de Sam. Le montage cinéma est OK, mais quand même... Regrettez-vous de ne pas avoir plus tourné ? Je ne suis pas devenu une star de cinéma. Mais j’ai fait des shows triomphaux à Broadway, j’ai gagné un

BAFTA pour le Joker. Un jour, j’ai demandé à George Harrison : « Ça fait quoi d’être dans les Beatles ? » Il m’a dit : « J’sais pas, mec. Ça fait quoi de ne pas être dans les Beatles ? » Pareil pour Star Wars. On ne savait pas quel phénomène ça allait devenir lorsqu’on a démarré. À une période, j’étais malade rien que d’entendre la musique de John Williams. Aujourd’hui, j’ai fait la paix avec ça. Star Wars apporte tellement de joie aux gens, d’une génération à l’autre. Je suis l’ami de tout le monde, sur toute la planète. Tu es gamin, tu vois le film, il change ta vie. Ce serait horribleme­nt cynique de rejeter tout cela. C’est un don. Tu peux râler ou l’accepter. Carrie était plus à l’aise avec. À une époque, je ne le mettais même pas sur mon CV, ou alors j’écrivais « surtout connu pour des films spatiaux ». Je viens de recevoir un trophée Disney Legend. Mes enfants m’ont dit : « Papa, tu es déjà une légende dans ta tête. » « Je sais, mais maintenant, j’ai une statuette pour le prouver. »

« À UNE PÉRIODE, J’ÉTAIS MALADE RIEN QUE D’ENTENDRE LA MUSIQUE DE JOHN WILLIAMS. » MARK HAMILL

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Mark Hamill dans Les Derniers Jedi.
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Adam Driver dans Les Derniers Jedi.

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