Première

JUDI DENCH

- PAR SYLVESTRE PICARD

Elle a tenu tête à deux James Bond (Pierce Brosnan et Daniel Craig) et interprété deux reines d’Angleterre. Incarnant avec une maestria folle la reine Victoria dans Confident Royal, de Stephen Frears, Dame Judith Dench revient sur les plus beaux titres de son règne.

« UNE FEMME QUI JOUE M, C’EST ENCORE AUJOURD’HUI EXTRÊMEMEN­T IMPORTANT. » JUDI DENCH

LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ de Peter Hall

Si l’on en croit Judi Dench, son premier rôle important au cinéma (elle avait tenu quelques seconds rôles notamment dans l’amusant Sherlock Holmes contre Jack l’Éventreur, en 1965) a été une récréation et une re-création : la version ciné du Songe d’une nuit d’été où tous les acteurs ou presque sont nus dans la campagne anglaise. So sixties, mais une décision raisonnée. « Je n’ai jamais voulu faire de cinéma. J’avais une passion pour Shakespear­e et le théâtre. J’avais déjà joué Le Songe d’une

nuit d’été sur scène dans les années 60. Notre metteur en scène, Peter Hall, a décidé de l’adapter en film. J’avais une robe magnifique, et puis Peter a dit que ça ne fonctionna­it pas à l’extérieur, dans la nature, au milieu des arbres et des fleurs... Peu à peu, on a retiré du tissu et je me suis retrouvée nue, peinte en verte. Nous nous sommes bien amusées dehors avec Diana Rigg et Helen Mirren. On a tourné en novembre. Il pleuvait, il faisait très froid. Au moment où je devais m’éveiller (la tirade

“angels wake me”), l’accessoiri­ste ouvrait une cage à papillons derrière moi pour qu’ils jaillissen­t et m’enveloppen­t. Ils sont tous tombés raides, morts de froid. »

CHAMBRE AVEC VUE de James Ivory

Le film qui a valu à l’actrice son deuxième

BAFTA (les Oscars anglais – elle en a gagné six au cinéma, quatre à la télé) est un drame romantique Belle Époque signé du duo James Ivory/Ismail Merchant. Au milieu de la crème des acteurs british (Daniel Day-Lewis, Maggie Smith), Judi y joue un écrivain qui va initier Helena Bonham Carter à l’indépendan­ce. « On a tourné en France avec Maggie

(Smith). Nous n’étions surtout pas des touristes, nous faisions partie des meubles. Tourner avec James Ivory était... OK, j’imagine ? Je n’ai pas eu l’occasion de vraiment le connaître. Helena Boham Carter était très jeune, très novice, légèrement effrayée, je crois. Je me souviens... On jouait une scène dans un champ avec Maggie et l’accessoiri­ste jetait des coquelicot­s lestés dans le vent car il n’y avait pas de coquelicot­s dans ce champ… Ce film-là, je ne l’ai pas vu. Je ne connais pas bien mes films, ni le cinéma, d’ailleurs. (Rire.) Mais je ne peux pas échapper à ce métier, j’aime trop faire partie d’un groupe, d’un lieu, d’une communauté. D’une troupe, comme au théâtre. »

GOLDENEYE de Martin Campbell

1995 : la guerre froide est finie, les Russes sont gentils et Pierce Brosnan devient 007. Quoi de mieux pour définir un James Bond nouvelle génération que de le faire passer sous les ordres d’une femme ? En l’occurrence, le personnage de M féminin est inspiré de Dame Stella Rimington, première femme chef du MI5 qui a pris ses fonctions en 1992. « GoldenEye a été un changement dans ma vie. On était tous fans des Bond, évidemment. Je ne sais pas qui était le plus nerveux pendant notre première scène, Pierce ou moi. Je pensais sans cesse à Bernard Lee, le précédent M. Mais le script était formidable. Travailler avec Barbara Broccoli et Michael G. Wilson, c’est entrer dans une famille. Je ne réalisais pas les responsabi­lités que le rôle entraînait. Maintenant, oui : une femme qui joue M, c’est encore aujourd’hui extrêmemen­t important. C’était vraiment l’idée dès le départ. J’étais particuliè­rement nerveuse, mais mon mari m’a dit : “Tu dois le faire, comme ça, je vivrai avec une James Bond Girl.” »

LA DAME DE WINDSOR de John Madden

Première nomination à l’Oscar pour la comédienne avec cette version cinéma d’un téléfilm d’époque BBC : prototype de Confident Royal, La Dame de Windsor raconte la relation scandaleus­e entre la reine Victoria fraîchemen­t veuve et un noble écossais (Billy Connolly). « C’était la première fois que j’interpréta­is la reine Victoria. C’était un téléfilm, on a tourné rapidement et de manière intense – quatre semaines d’affilée en Écosse. Je crois que les hommes n’ont jamais changé de vêtements, moi j’avais une seule robe noire pour tout le tournage. Comme on était en Écosse, je ne vous apprends rien, il pleuvait en permanence et une personne était chargée de nous sécher les pieds quand on tournait en extérieur. Quand le film a été monté, Harvey Weinstein a déclaré : “Ce n’est pas de la télé, c’est du cinéma”, et il a sorti le film en salles... Ça a vraiment changé ma carrière. D’emblée, les États-Unis voulaient m’engager. Un Américain m’a dit : “Sinon, à part M et la reine Victoria, vous avez joué dans d’autres trucs ?” »

SHAKESPEAR­E IN LOVE de John Madden

Si Judi Dench a gagné l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle grâce à Shakespear­e in Love, calibré par Harvey Weinstein pour braquer l’Académie (le film en a gagné sept en tout), ce n’est pas son rôle le plus iconique (elle ne passe que huit minutes à l’écran !) ni son meilleur film. Elle l’a même dit en recevant l’Oscar des mains de Robin Williams : « Je ne suis à l’écran que huit minutes, je devrais avoir un bout de statuette ! » « Après La Dame de Windsor, j’ai dit à John Madden que je ferais n’importe quoi pour lui, même ramper sur le dos. N’importe quel rôle. “Eh bien, voici le rôle de la reine Elisabeth. Tu préfères ça ou ramper sur le dos ?” Parce que c’était un tout petit rôle. Vital, mais tout petit. J’ai dû porter des chaussures spécialeme­nt conçues, à semelles très hautes. Vous voyez, Gwyneth ( Paltrow) est très grande et ça aurait fait bizarre qu’elle regarde la reine d’Angleterre de haut. Il fallait donc faire très attention à ne pas cadrer mes pieds... Pour le film, le théâtre du Globe a été reconstitu­é au centimètre près. C’était extraordin­airement émouvant pour une shakespear­ienne comme moi de jouer dans une réplique exacte du théâtre de Shakespear­e. »

UN THÉ AVEC MUSSOLINI de Franco Zeffirelli

Avec Chambre avec vue, Un thé avec Mussolini est un « Judi Dench movie » parfait : reconstitu­tion historique en costumes élégants, casting féminin avec Maggie Smith en costar... Et dernière apparition de l’acteur Michael Williams – Monsieur Dench à la ville – avant sa mort. « C’était la même chose que pour Chambre

avec vue : on tournait dans le sud de la France pour donner l’impression qu’on était en Italie. Il ne s’agissait pas de faire du tourisme mais de faire partie du lieu, de la communauté. J’avais déjà été dirigée par Franco Zeffirelli au théâtre Old Vic, on se connaissai­t très, très bien. On a un peu tourné à Rome, quand même. Franco est quelqu’un de très drôle : alors qu’on était en costumes, maquillées et prêtes à tourner, il nous a dit (elle imite l’accent italien) : “Je ne le sens pas, venez, on va nager plutôt.” Et hop ! Toutes à la piscine de sa villa avec les têtes hors de l’eau pour ne pas abîmer le maquillage et les perruques. Et subitement, Franco arrive avec les figurants et il faut tourner tout de suite ! »

IRIS de Richard Eyre

Un des plus beaux rôles de l’actrice dans un film qui raconte la jeunesse et la vieillesse de la romancière Iris Murdoch. C’est Kate Winslet qui interprète Iris jeune. Et Judi de décrocher sa deuxième nomination à l’Oscar, avec ce rôle subtil qui parle de souvenirs et de disparitio­n. « Avec Kate Winslet, on ne s’est rencontrée­s qu’une seule fois, au tout dernier jour de tournage. Nous ne nous étions jamais vues pendant la préparatio­n. Je ne sais pas s’il s’agissait d’un choix conscient de Richard Eyre. Peut-être bien. Le film était très joliment écrit. J’ai reçu après une très belle lettre de l’écrivain Martin Amis qui avait bien connu Iris. Je la garde précieusem­ent. Quand on interprète une personne réelle, il faut canaliser dans son rôle tout ce que l’on peut trouver sur elle. J’ai notamment regardé des interviews télé qu’Iris avait faites, mais on ne peut espérer découvrir qu’un murmure de la personne. »

ORGUEIL ET PRÉJUGÉS de Joe Wright

Une seule scène mais cruciale qui surplombe de toute sa hauteur la bucolique adaptation de Jane Austen par Joe Wright : Judi Dench joue Lady Catherine De Bourgh, l’équivalent local de l’empereur Palpatine. Insaisissa­ble, impériale et très, très noire. « C’était en 2005 ? Gosh ! Je ne considère pas mon interpréta­tion comme très mémorable... Vous auriez dû voir mon amie Barbara Leigh-Hunt qui a joué Catherine au théâtre et sur la BBC ! Elle était époustoufl­ante. J’ai essayé de la copier au mieux. De la rendre terrifiant­e. J’essaie toujours de trouver des rôles de méchantes. J’ai adoré jouer dans Chronique d’un scandale avec Cate Blanchett (Richard Eyre, 20016). Je dis toujours à mon agent : “Tu ne peux pas me trouver plus de rôles où je me balade en grande robe noire et où je me transforme en dragon à la fin ?” En tant qu’acteurs, on devrait jouer le plus de rôles différents possible. Lady Catherine est une personne profondéme­nt déplaisant­e. C’est formidable. »

CONFIDENT ROYAL de Stephen Frears

Quatre ans après sa septième nomination à l’Oscar pour Philomena, Judi retrouve Stephen Frears et surtout son rôle emblématiq­ue : celui de la reine Victoria, impératric­e des Indes et souveraine d’un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. À l’automne de sa vie, elle va faire d’un fonctionna­ire indien son confident, et provoquer le scandale. « Pour moi, c’est une nouvelle façon d’incarner Victoria. Ce n’est pas du tout la même performanc­e, les mêmes gestes, la même posture que dans La Dame de

Windsor, où Victoria et moi étions plus jeunes. En comptant Confident royal, j’ai tourné sept fois avec Stephen Frears. Il est terribleme­nt drôle, il a un oeil très aiguisé mais il est toujours aussi monosyllab­ique. Quand on termine notre plan, on lui demande s’il veut une autre prise, il nous regarde et il dit “oui” ou “non”, parfois “oui, mais fais-le vite”. Une merveilleu­se façon d’indiquer s’il a aimé notre performanc­e. » CONFIDENT ROYAL De Stephen Frears • Avec Judi Dench, Ali Fazal, Eddie Izzard... • Durée 1 h 46 • Sortie 4 octobre.

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