Première

FAUTE D'AMOUR

Pendant qu’un couple se déchire, leur enfant de 12 ans disparaît mystérieus­ement… Le grand Andreï Zviaguints­ev radiograph­ie le pays de Vladimir Poutine dans un conte moral d’une noirceur inouïe.

- F.F.

En 2014, l’épopée polyphoniq­ue

Léviathan a fini d’imposer Andreï Zviaguints­ev en formaliste de catégorie A, peintre cruel des moeurs dépravées de son pays, aimant à mixer la Bible et Dostoïevsk­i, la série noire et la satire politique, Tarkovski et les pages faits divers. De quoi attendre son nouveau film de pied ferme. Moins touffu, moins fou, mais encore plus sombre et âpre (si possible), Faute d’amour commence comme un remix de Scènes de la vie conjugale dans la périphérie de Moscou (un homme et une femme en instance de divorce tentent de vendre leur appartemen­t au plus vite, parce qu’ils ne peuvent plus passer cinq minutes ensemble sans se hurler dessus) avant de virer au procédural climatique hardcore, quand leur enfant de 12 ans, auquel ils ne prêtent jamais attention, disparaît subitement, et que les recherches s’organisent. Le film est tout entier tendu vers le constat glaçant de l’absence d’amour dans la Russie contempora­ine, ce terrifiant atavisme qui veut que les êtres continuent de se reproduire puis de négliger leur progénitur­e, pour leur plus grand malheur à tous. Andreï Zviaguints­ev tisse un écheveau de rapports humains morbides, viciés. Les familles se disloquent, les couples se

ARBRES MORTS. Le moraliste russe n’y va pas de main morte. Son regard laser démolit tout sur son passage. Certains lui reprochero­nt sans doute d’être lui-même « loveless » (titre internatio­nal du film) vis-à-vis de ces personnage­s. Sans amour ? Oui, peut-être, parfois. Sauf qu’il y a ce plan sublime, insensé, d’un gamin tapi dans le noir, qui retient ses larmes en écoutant ses parents manquer de se foutre sur la gueule dans la pièce d’à côté. Une image exceptionn­elle, où l’empathie du cinéaste inonde soudain l’écran. Puis d’autres plans, magiques eux aussi, ces exaltation­s de la nature qui ponctuent le film, une symphonie d’eaux stagnantes et d’arbres morts, de chemins boueux s’abattant sur un paysage de ruines. Des tableaux comme des coups de massue, pas grand-chose à l’horizon, sinon la neige qui tombe à l’infini. A-t-on déjà eu plus froid que devant ce film-là ? haïssent, les parents regrettent d’avoir eu des enfants et les enfants d’être nés. Et que fait la police ? Rien.

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Matvey Novikov.

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