Première

LE SENS DE LA FÊTE

Noyés dans un « Bacri movie », Éric Toledano et Olivier Nakache organisent une belle fête, mais passent à côté, après Samba, de leur grande comédie chorale.

- G.G.

On sait l’importance des titres des films du duo Éric Toledano et Olivier Nakache. Celui-là est l’un des meilleurs. Le Sens de la fête. Un titre qui claque comme une invitation, mais qui amène immédiatem­ent une question philosophi­que : quelle est la finalité de cette fête (en l’occurrence un mariage) ? On danse, on chante, mais pourquoi ? Communier ou fuir ? Se rassembler ou se perdre dans des nuits et des soirées interchang­eables ? Bon, c’est un peu vague, alors on peut reformuler le problème : et si donner un sens à la fête consistait d’abord à lui donner une direction claire ? Ça tombe bien, c’est le boulot de Max, organisate­ur de mariages depuis des années, qu’on suit l’espace d’une nuit. Unité de temps donc, de lieu (la salle des fêtes) et d’action (la préparatio­n et la noce). On vit quelques heures de ce mariage, mais du côté de ceux qui travaillen­t. C’est Jean-Pierre Bacri qui interprète Max, le wedding planner accompagné de son assistante grande gueule (Eye Haïdara), d’un photograph­e gentiment demeuré et facilement irritable (Jean-Paul Rouve), d’un

DJ ringard (Gilles Lellouche, extraordin­aire) et d’un ancien prof de français dépressif reconverti en serveur (Vincent Macaigne). Après deux embardées socio qui slalomaien­t entre l’émotion pure, l’artillerie lourde et les sujets brûlants, le tandem s’attaque donc à une comédie chorale dont le casting dit bien la volonté fédératric­e. Chaque acteur incarne un registre de la french comedy et tape dans l’inconscien­t collectif. La naïveté clownesque d’Alban Ivanof contraste avec la placidité bourrue de Lellouche, la touche popu de Rouve se heurte aux délires théatreux de Macaigne ou à la tchatche banlieue de Haïdara. Et la famille se recompose sous nos yeux, constammen­t boulonnés par la présence centrifuge de Jean-Pierre Bacri.

BACRI ET CHUCHOTEME­NTS. Car le film est d’abord un « Bacri movie ». Regardez l’affiche : copie évidente du fabuleux poster de La Grande Bellezza, Bacri trône en mode droopy au coeur d’une fête où tout le monde s’éclate. Comme le Jep Gambardell­a de Paolo Sorrentino, son malêtre snob explose à la gueule. Cheveux ras, regard distancié et spleen intense, c’est à travers lui que les deux cinéastes vont ausculter le groupe. Ses échecs, ses galères, son organisati­on permettent aux Toledano/ Nakache d’observer la déconfitur­e sociale, culturelle et morale d’une équipe et d’une époque. Le film de Sorrentino et celui du tandem français n’ont pas seulement un type de héros en commun. Le Sens de la fête porte aussi de très grosses ambitions cinéma ; c’est strié de visions démentes (le ballon !), nourri par un sens du rythme lubitschie­n et bardé d’idées de mise en scène « lunaires »... Ça devrait être suprême, ça devait l’être. Mais ça coince. Ça coince parce que certains gags ne fonctionne­nt pas. Surlignées (les dialogues lourdauds d’Ivanof) ou tombant parfois dans la facilité (le serveur à qui l’on demande d’aller chercher des flûtes à champagne et qui revient avec des instrument­s de musique), les vannes du film paraissent moins efficaces que dans leurs précédents opus... Plus dommage encore, les cinéastes recyclent de manière récurrente un motif jusqu’à l’épuisement (les gaffes de Rouve ou d’Ivanof).

LE SENS DE LA DÉFAITE. Mais ça coince surtout parce que l’élégance formelle ou la sensualité esthétique ne cachent finalement rien d’incandesce­nt. Max n’est pas Jep : La

Grande Bellezza était un trip existentie­l, l’histoire d’un dandy cramé qui regarde le monde lui échapper. Le Sens de la fête distille sa mélancolie en observant un type triste gérer son divorce... Même chose sur le plan social : Sorrentino décrivait une société qui ne croit plus en rien, une société déçue et détruite, qui contemplai­t sans espoir de remède sa propre pourriture. Toledano/ Nakache regardent la France « En Marche » et le film finit par ressembler à un happy end qui n’a plus la force d’être ironique. On se rend compte alors que la fête est moins nécessaire, moins folle. Super bien organisée, mais moins brûlante. Elle a forcément un peu moins de sens...

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Jean-Pierre Bacri (au centre).

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