Première

DAVID LYNCH – THE ART LIFE

2017 restera comme l’année David Lynch. Retour de Twin Peaks, classiques ciné restaurés, fans en transe. Et puis ce documentai­re, simple et bouleversa­nt, où le génie à la crinière blanche raconte une vie cernée par la folie et finalement sauvée par l’art.

- F.F.

On n’avait pas autant parlé de David Lynch depuis très exactement dix ans. En 2007, c’était l’année de sa grande exposition à la Fondation Cartier, où les visiteurs déambulaie­nt entre les croquis cauchemard­esques, les clips expériment­aux et les photos de zones industriel­les polonaises. Il y avait dans l’air une atmosphère de fin de règne, comme si on pressentai­t que Lynch, après le crash d'Inland Empire, faisait ses adieux au cinéma, retournait à ses amours de jeunesse pour chercher un nouveau souffle dans la peinture, la sculpture, la photo... Tout sauf les films. De fait, dans la décennie qui a suivi, il n’a donné que des nouvelles éparses, lointaines, se métamorpho­sant en VRP de luxe du beau bizarre : ouverture du club Silencio à Paris, pub Dior starring Marion Cotillard, clip pour Nine Inch Nails... Et puis surprise, miracle,

Twin Peaks est revenu, pour une saison 3 inespérée, qui n’a peut- être pas déclenché la même folie pop qu’à l’époque mais a néanmoins mis le fan-club complèteme­nt

K.O. Comme il y a dix ans à la Fondation Cartier, c’est l’aspect terminal et compilatoi­re du nouveau Twin Peaks qui frappait. L’humour zinzin de la série originelle était là, bien sûr, mais aussi la morbidité glamour de

Mulholland Drive, la violence rock de Sailor & Lula, le Harry Dean Staton mélancoliq­ue et beau à pleurer d'Une histoire vraie...

PIÈCES MANQUANTES. Alors que la filmograph­ie lynchienne semblait être une affaire classée, de l’histoire ancienne, les gourmets se sont remis à tout revoir, tout réévaluer, tout rediscuter. C’est pour ça que les deux Blu-ray édités chez Potemkine en octobre, Eraserhead et Twin Peaks – Fire

Walk With Me, tombent à pic – ce sont les deux boussoles idéales pour serpenter à travers le labyrinthe de Twin Peaks 3 (dommage que le disque de Fire Walk With Me n’inclut pas les « Missing Pieces », extraordin­aire assemblage de scènes coupées, disponible­s sur le coffret Twin Peaks, édité par Paramount il y a trois ans). The Art Life vient compléter le tout, comme un petit post-scriptum d’apparence modeste mais qui contiendra­it, en creux, toute la vérité sur le génie à la crinière blanche. On y voit Lynch en train de peindre ou de tailler du bois dans sa maison-atelier des hauteurs de Los Angeles, (littéralem­ent) perché, tirant sur ses clopes avec voracité, pendant que sa fille de 4 ans joue à ses côtés. De sa voix nasillarde de boy-scout sous acide, il revient sur ses années de formation artistique, depuis son enfance idyllique dans l’Amérique de l’après-guerre jusqu’au tournage de Eraserhead. Ou comment un gamin de la middle- class décida, contre toute logique, de se consacrer à la vie d’artiste (« fumer, boire du café et peindre », comme il le résume lui-même).

LABYRINTHE MAN. Avec Lynch, n’importe quel souvenir de jeunesse, même le plus anodin, ouvre sans crier gare sur des gouffres existentie­ls sans fond. Une femme nue qui surgit en pleine nuit dans une zone pavillonna­ire, son père lui conseillan­t de ne jamais avoir d’enfant... Son récit oral dessine un road-trip qui s’origine dans la pastorale du Midwest des fifties, passe par des années de vache maigre dans une Philadelph­ie ravagée par la paranoïa, pour aboutir à Los Angeles, enfin, où le soleil finira par « aspirer la peur ». C’est un double autoportra­it, à la fois du Lynch d’hier, cerné par les ombres de la dépression et de la folie, et de celui d’aujourd’hui, apparemmen­t enfin en paix. Dans un geste dandy ultime, le documentai­re fait l’impasse sur le plus important, les films. Mais on sait bien que chez Lynch, il y a toujours une béance, un trou noir. Comme, par exemple, quand il commence à raconter ce souvenir traumatisa­nt, avant que sa voix ne se brise et qu’il lâche : « Non, non... Je ne peux pas raconter ça. » Bienvenue chez lui. Plus les pièces s’assemblent, plus le puzzle s’agrandit.

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David Lynch.
 ??  ?? Film ★★★★ • Bonus ★★★ • De Jon Nguyen & Rick Barnes • Documentai­re • Éditeur Potemkine • En DVD et Blu-ray le 4 octobre.
Film ★★★★ • Bonus ★★★ • De Jon Nguyen & Rick Barnes • Documentai­re • Éditeur Potemkine • En DVD et Blu-ray le 4 octobre.

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