LES INDESTRUCTIBLES 2
Une suite du plus grand film (animé) de superhéros jamais réalisé. Ou plutôt une poursuite, éperdue, aux trousses d’une formule magique qu’on a laissé s’échapper il y a quinze ans. Pas tout à fait un film, mais beaucoup de plaisir.
Dans l’interview qu’il a accordée à Première le mois dernier, Brad Bird fait passer plusieurs messages vis-à-vis du cinéma contemporain de grande consommation, qu’il juge démesuré, surgonflé (surgonflant), assourdissant, épuisant, anesthésiant et, au final, ennuyeux. Sa diatribe vise en particulier les blockbusters, plus précisément les films de superhéros, et pourquoi pas (en creux) ceux qui sortent chez Disney. Additionnons ces quelques caractéristiques : blockbusters, superhéros, Disney. Cet été, dans ce registre, il y en a deux : Ant- Man et la Guêpe et... et... Voilà. Nous y sommes. Bien entendu, si l’on suit la pensée de Bird, Les Indestructibles 2 est le contraire de tout cela, un film gracieux, léger, drôle, à la juste taille, divertissant et endiablé, bourré d’action mais jamais bourratif, classique mais jamais mécanique, spectaculaire juste ce qu’il faut : un film « très », par opposition aux films « pas assez » mais, surtout, surtout, par opposition aux films « trop ».
GRÂCE ORIGINELLE. Le récit commence précisément là où le premier finissait. Le Démolisseur (copié sur l’Homme-taupe des Quatre Fantastiques, auxquels la famille Parr ressemble plus que jamais) attaque la ville, les Indestructibles interviennent, cassent tout et se retrouvent une fois de plus mis à l’index. Leur intervention n’a fait qu’aggraver les choses, sans eux, on aurait géré tranquille avec les compagnies d’assurances, merci du cadeau. Passant du banc des accusés au ban de la société, les Supers rangent les costumes au placard, comme dans Watchmen et dans le premier film. La déclaration d’intention de ce prologue est forte : si le cinéma (de super héros, de blockbuster, mais aussi d’animation) a subi en quatorze ans une évolution négative, Les Indestructibles 2 fera comme s’il n’en était rien. Il est la suite directe (instantanée) du premier, tissant en un raccord le lien avec un autre temps, quand le XXIe siècle avait à peine commencé, que Marvel était une boîte de bandes dessinées périodiques, que Robert Downey Jr n’avait encore jamais porté l’armure d’Iron Man et que Walt Disney n’avait même pas encore acheté... Pixar ! Un autre temps ? Un autre monde, plutôt. En quatorze ans, malgré tous les efforts des auteurs, les choses ont bel et bien changé. C’est sensible dans le character design (les mêmes, mais pas tout à fait les mêmes, plus anguleux, plus « dessinés »), sensible aussi dans le fait que Bird ne cherche plus la formule naïve des divertissements sixties qui l’ont fait rêver dans son enfance (il est né en 1957, a eu 13 ans en 1970), mais celle de ses premiers films. Depuis le doublé inaugural Géant de fer/ Indestructibles, c’est le défi auquel il doit faire face : retrouver la grâce originelle, en ressuscitant non plus les joies enfouies de son enfance mais sa propre innocence de créateur, l’enfance de son art à lui. Le cas À la poursuite de demain apparaissant comme une tentative presque désespérée de résoudre cette équation impossible.
C’EST UN FILM GRACIEUX, LÉGER, DRÔLE, À LA JUSTE TAILLE, DIVERTISSANT ET ENDIABLÉ
« ÉLASTIFILM ». Dans ce contexte, son approche des Indestructibles 2 résonne moins comme un manifeste contre le cinéma contemporain que comme la quête quasi existentielle d’un auteur génial qui essaie
de reprendre son élan, en profitant de l’aspiration de son plus grand chef- d’oeuvre. Sans le copier, sans le refaire, mais en se débrouillant pour l’étirer sur deux heures de plus. Un « élastifilm », si l’on veut, dont les deux stars sont la maman, missionnée pour redorer le blason des Supers devant les caméras du monde entier (spoiler : c’est trop facile pour être vrai), et Jack-Jack, le bébé aux pouvoirs multiples, que M. Indestructible doit garder à la maison (spoiler : il a du mal, Bob, beaucoup de mal). Sur cette base, le film organise une succession de morceaux de bravoure sensationnels, dont les meilleurs ( Élastigirl à moto contre un train fou, Jack-Jack contre un raton laveur près de la piscine, M. Indestructible face à Edna Mode) sont effectivement gracieux, légers, drôles, à la juste taille, divertissants et endiablés... et dont les moins bons sont simplement cela : un peu moins bons. Bird voulait refaire les Indestructibles, il refait son Mission : Impossible – Protocole fantôme, une farandole de séquences autosuffisantes, souvent formidables, mais qui peinent à constituer un film, une histoire, donc à provoquer la sensation galvanisante d’être embarqué dans une aventure. Comme disait le roi dans Amadeus : trop de notes. Enfin, trop de notes, oui, mais Mozart quand même.
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