Première

Héroïne clandestin­e (Saison 1, Épisode 5)

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Poisson pilote (Saison 1, Épisode 1) Diffusé en avril 2015, le pilote de la série détaille les activités du Bureau des légendes, service de la DGSE chargé d’envoyer des agents en mission clandestin­e. De retour à Paris après six ans passés en Syrie, Guillaume Debailly (Mathieu Kassovitz) a bien du mal à oublier son amante syrienne Nadia El Mansour (Zineb Triki) et à se défaire de la fausse identité qu’il endossait à Damas.

_ ALEX BERGER : Dès 2013, on a vendu à Canal+ deux éléments indissocia­bles : l’idée originale d’Éric Rochant et tout le processus industriel qui permet de livrer une saison par an. On a mis l’écriture au centre en créant une writers room et Éric fut d’emblée scénariste et producteur exécutif. Cela permettait de responsabi­liser les écrits. On a beaucoup débattu du rythme de ce pilote, car il fallait donner beaucoup d’informatio­ns sans pour autant surcharger. Les premières minutes sont déterminan­tes. On y raconte la vie de Malotru [nom de code de Debailly] par le biais de son histoire d’amour avec Nadia, et on le voit tout de suite mentir par Skype à sa référente Marie-Jeanne [Florence Loiret- Caille] à qui il fait croire que la rupture a été houleuse, des images prouvant simultaném­ent le contraire au spectateur. L’ADN de la série est tout de suite là : la manipulati­on, la dualité, la dureté de la situation de clandestin, un amour qui prend des proportion­s dingues. On se focalise sur Malotru pour mieux raconter ce système collectif qu’est le Bureau. Éric et moi avons passé un grand oral devant le directeur de la DGSE qui a été convaincu par le projet. Il faut dire que la maison connaissai­t bien Les Patriotes, film d’espionnage réalisé par Éric vingt ans plus tôt. Mon meilleur souvenir reste d’ailleurs la projection en avant-première de ce pilote à la DGSE, avec 300 agents qui se lèvent et applaudiss­ent à la fin.

Parallèlem­ent à l’intrigue amoureuse MalotruNad­ia qui se déroule sur fond de crise politique syrienne, la saison 1 décrit la formation par la DGSE de la future clandestin­e Marina Loiseau (Sara Giraudeau).

_ SARA GIRAUDEAU : Cet épisode montre le premier moment de basculemen­t de Marina. Elle dévoile des démons sous ses airs d’ange. Elle se fait attraper par les flics et subit un interrogat­oire très brutal mais à la fin, elle a décidé que le type lui plaisait et qu’elle allait coucher avec lui. Personne ne pouvait imaginer ça. Marina n’a pas peur de la violence. Je garde en tête ce plan où son visage est tout blanc et où elle demande à son tortionnai­re où il pratique le jogging. Cette fille n’est jamais là où on l’attend. Marina découvre les règles de la clandestin­ité en même temps que le spectateur. La première saison montre son enfance et son adolescenc­e de clandestin­e avant d’accéder au stade adulte – dans la saison 2, sa mission en Iran exigera des sacrifices. On ne peut pas vraiment accéder à l’intériorit­é d’un clandestin, Marina en est la preuve.

Bourreau des corps (Saison 2, Épisode 5) La saison 2 envoie différents agents de la DGSE sur des terrains d’action et intègre au récit la violence de l’État islamique. À la fin du cinquième épisode, une opération à la frontière turco-syrienne tourne mal et Raymond Sisteron (Jonathan Zaccaï) se retrouve prisonnier de Chevalier, un bourreau français de Daech.

_CAMILLE DE CASTELNAU : Mettre en scène Daech ne nous enthousias­mait pas particuliè­rement mais, puisqu’on parle dans la série de géopolitiq­ue internatio­nale et de services de renseignem­ents, ça devenait quand même compliqué de ne pas traiter l’État islamique en saison 2. On s’est appuyés sur des articles sur Jihadi John – un bourreau de Daech britanniqu­e – pour créer le personnage de Chevalier, djihadiste français qui monte en grade au sein de l’État islamique. Dans cette saison 2, on voulait surtout montrer que travailler pour les services secrets est dangereux. En choisissan­t d’envoyer sur le terrain le très sympathiqu­e Sisteron, on privilégia­it une identifica­tion forte du spectateur. Il y a un autre virage dans cet épisode : on commence à montrer les derniers jours de la vie de Malotru à la DGSE, qui va se faire virer pour trahison. Le système de balancier qu’est l’écriture nous obligeait à le mettre dans la mouise et à l’envoyer en enfer à la fin de la saison. Quitte à nous mettre nous-mêmes, scénariste­s, dans la mouise.

Le bal des espions (Saison 2, Épisode 10) Les dernières images montrent Malotru, parti à la rencontre de Chevalier, à la télévision dans la peau d’un otage de Daech. Nadia, en larmes, découvre la situation au son d’une musique tonitruant­e.

_ ROB : Éric Rochant est depuis le début un collaborat­eur très proche de la musique. Il me donne avant chaque saison des mots-clés pour que je compose cette électro

« LA SÉRIE REFUSE LA POUDRE AUX YEUX. LE BUT N’EST PAS DE FAIRE SEXY MAIS INTELLIGEN­T. » MATHIEU KASSOVITZ

complexe et expériment­ale. L’énorme décharge de mélancolie qui s’abat sur le dernier épisode de la saison 2 vient du fait qu’on a sélectionn­é les mélodies les plus tristes et les plus romantique­s que j’ai composées malgré l’urgence de la situation décrite. On se trouve ainsi en lien direct avec l’émotion des protagonis­tes plutôt qu’avec leurs actions. Voilà quatre ans que je travaille sur Le Bureau des légendes. C’est comme si j’avais écrit plusieurs opéras.

L’étoffe du héros

(Saison 3, Épisode 3) Détenu dans les prisons de Daech, Malotru a des hallucinat­ions où il voit sa fille, puis son père. La captivité du personnage est traitée de façon sobre et dépouillée, tandis qu’un agent russe infiltré se rapproche du prisonnier français.

_MATHIEU KASSOVITZ : La série est ancrée dans l’actualité et ouvre sur le monde une fenêtre très documentée car Éric et ses auteurs ont une parfaite maîtrise des sujets abordés. Cela fait des décennies qu’on nous bassine avec des James Bond et des superhéros qui utilisent des gadgets improbable­s mais les espions ressemblen­t en réalité davantage à nos voisins de quartier. Malotru est un profession­nel, un opportunis­te, un battant. Dans la saison 3, il est juste réduit à survivre mais il n’oublie jamais que, s’il en réchappe, il pourra ramener des informatio­ns qui lui serviront peut-être à l’avenir. En tant que victime, il apprend. Son objectif est de retrouver une vie normale avec sa fille, aspiration naturelle qui devient de plus en plus compliquée pour lui. Dans Homeland, l’héroïne survit à des choses invraisemb­lables mais cela crée un mythe inutile. Si on commence à filmer des explosions spectacula­ires dès l’épisode 2, on sera obligé d’en rajouter dix fois plus ensuite et cela deviendra bidon. Alors que Le Bureau des légendes tient en haleine en restant proche de la réalité. La série refuse la poudre aux yeux. Le but n’est pas de faire sexy mais intelligen­t.

Mort pour la France (Saison 3, Épisode 7) Dans cet épisode charnière, la série tue pour la première fois un de ses personnage­s principaux. Parti en Syrie pour tenter de négocier la libération de Malotru, Henri Duflot (Jean-Pierre Darroussin) est touché par des tirs ennemis. Il décédera finalement dans une ambulance, auprès de Raymond Sisteron.

_ HÉLIER CISTERNE : Quand on est réalisateu­r sur Le Bureau des légendes, on doit respecter les enjeux du scénario sans abuser d’effets de mise en scène. Au fil des saisons, je me suis donc de plus en plus attaché au récit et aux personnage­s, notamment à Henri Duflot. J’aimais beaucoup son côté solide, sombre, définitif. Et dans la mesure où Jean-Pierre Darroussin était une de mes plus belles rencontres sur la série, la séquence de l’annonce de la mort de son personnage fut très spéciale à tourner. On était en pleine nuit, au bord d’une autoroute marocaine et c’était déjà la dixième heure de la journée. L’économie de moyens, correspond­ant à la grammaire visuelle de la série, exigeait de faire rentrer plusieurs éléments dans le même plan : Sisteron penché sur Duflot en gros plan, le clignoteme­nt des gyrophares d’une ambulance (à l’arrière-plan) se reflétant sur son visage ému, les corps flous qui s’agitent derrière... Éric est très marqué par le cinéma des années 70, celui de

Coppola ou Polanski, qui prête attention à la profondeur de champ. Placer cette ambulance au loin, qui compose un cadre dans le cadre et qui enferme Sisteron au bord de cette route, permet à la scène de conserver une pudeur tout du long.

Le feu secret

(Saison 3, Épisode 10) L’ultime épisode de la saison 3 conclut la boucle narrative centrée autour de la relation entre Nadia et Malotru. Au terme d’un suspense haletant, la vision d’auteur d’Éric Rochant s’impose avec éclat et met en avant des rapports amoureux sacrificie­ls et maudits.

_ ÉRIC ROCHANT : Notre logique scénaristi­que consiste à ne jamais rien garder sous le coude, on brûle toutes les idées disponible­s. Avant d’écrire une saison, je sais grosso modo quel sera son climax car on a besoin d’un horizon. Là, l’idée était que Nadia se trouve plongée dans un dilemme terrible qui l’oblige à choisir : sauver Malotru ou garder le statut politique dont elle jouit. Ce dilemme était aussi une manière de rendre hommage à Heat de Michael Mann et à la séquence où Ashley Judd évite à Val Kilmer d’être arrêté. J’ai eu la possibilit­é de le dire à Mann, spectateur fidèle du Bureau des légendes. Contrairem­ent aux précédente­s saisons, la 3 offre une conclusion qui n’appelle pas forcément une suite directe. Tout était permis après cette fin, même, pourquoi pas, d’arrêter la série. La grande souffrance des auteurs, c’est qu’on doit repartir à zéro à chaque saison et tenter de faire mieux que la précédente. La routine est une catastroph­e existentie­lle, je n’en veux pas. Il a donc fallu s’émanciper des saisons précédente­s pour trouver l’énergie créatrice indispensa­ble à l’écriture de la quatrième. »

Cheffe de bureau

(Saison 4, Épisode 1) La saison 4 se signale par la présence derrière la caméra de Pascale Ferran, réalisatri­ce de Lady

Chatterley. Elle signe notamment l’épisode 1, qui propulse le Bureau des légendes dans de fortes turbulence­s internes.

_ PASCALE FERRAN : La saison 4 est très mélancoliq­ue, elle assume sa confrontat­ion avec la noirceur de l’état du monde, il y a de l’adversité partout, notamment avec l’arrivée du personnage de Mathieu Amalric à la tête du BDL. Je signe les épisodes 1 et 8 mais j’ai en fait réalisé 60 % de leurs séquences et j’en ai parfois réalisé 30 % sur d’autres épisodes. Comme j’avais extrêmemen­t envie de tourner avec Mathieu Kassovitz, j’ai aussi demandé à Éric de prendre en charge une de ses lignes narratives en Russie. J’ai trouvé ça intéressan­t que les réalisateu­rs se répartisse­nt le travail. Comme le dit Éric, la série met en avant un collectif qui produit de l’intelligen­ce mutuelle, ils se font tous la courte échelle pour réfléchir. C’est très inspirant. LE BUREAU DES LÉGENDES – SAISON 4 Créée par Éric Rochant • Avec Mathieu Kassovitz, Mathieu Amalric, Jonathan Zaccaï… • Sur Canal+ • Critique page 120

« TOUT ÉTAIT PERMIS APRÈS LA FIN DE LA SAISON 3, MÊME, POURQUOI PAS, D’ARRÊTER LA SÉRIE. » ÉRIC ROCHANT

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Sara Giraudeau
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Jean-Pierre Darroussin et Mathieu Kassovitz
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Mathieu Kassovitz
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Jonathan Zaccaï
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Mathieu Amalric

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