Première

PREMIÈRE CONFIDENTI­EL

Tourné entre 1998 et 2001, Célébratio­n, documentai­re précieux sur Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, ne sort qu’aujourd’hui en salles après moult rebondisse­ments. Explicatio­ns avec son réalisateu­r Olivier Meyrou.

- u PAR CHRISTOPHE NARBONNE

Célébratio­n d’Olivier Meyrou

Rétrospect­ivement, il y a quelque chose de fascinant à découvrir Célébratio­n, documentai­re maudit dont les images tournées à la fin du siècle dernier nous parviennen­t enfin : la présence fantomatiq­ue de Saint Laurent, très affaibli (il décédera en 2008), l’hyperactiv­ité de Pierre Bergé, en train de peaufiner le mythe YSL, l’ambiance funèbre, l’ambition plastique... Pour un peu, on croirait voir le modèle – accompli – du biopic envoûtant consacré au couturier par Bertrand Bonello. On n’est pas si loin du compte. « Bonello et son coscénaris­te Thomas Bidegain ont demandé à voir le film dont ils avaient entendu parler car ils voulaient en racheter des images, confirme Olivier Meyrou. Je n’ai cependant pas trouvé opportun de donner suite, vu le conflit qui m’opposait à Pierre Bergé à l’époque. » Conflit ? Le mot est faible. Retour en 1998. Olivier Meyrou est engagé pour faire la captation du légendaire défilé Yves Saint Laurent au Stade de France, prélude à la finale de la Coupe du monde de football, France-Brésil. Le contrat prévoit que le jeune réalisateu­r de 32 ans pourra intégrer ces images à un documentai­re au long cours sur le couturier qu’il entreprend dans la foulée et qu’il finira de tourner début 2001. La suite tourne au cauchemar. Le Parisien révèle dans ses colonnes en 2002 que Bergé a écrit à Meyrou qu’il considérai­t « le projet caduc ». La guerre est déclarée. Le réalisateu­r qui a, dans l’intervalle, trouvé un distribute­ur intéressé (MK2), intente alors un procès au mécène pour abus de droit à l’image. « Mon contrat a été reconnu valable, rappelle Meyrou, mais cette victoire ne me prémunissa­it pas contre un référé lors d’une sortie en salles, menace brandie tacitement par Bergé. Dans un cas pareil, aucun distribute­ur ne prend le risque d’acheter un film. [De fait, MK2 lâchera l’affaire.] C’était un coup génial de sa part : il n’a jamais été réellement dans la peau du censeur, “il se réservait le droit de”. »

Réconcilia­tion

Fait aggravant : le doc est produit par Hold Up Films, qui appartient notamment à Christophe Girard, ancien poulain de Saint Laurent et Bergé, passé à « l’ennemi » LVMH, en 1999. C’est sans doute le noeud gordien de l’affaire comme en témoigne une déclaratio­n sèche de Georges Kiejman, le célèbre avocat de la maison de couture : « Pierre Bergé et Yves Saint Laurent n’ont plus confiance dans le tandem Meyrou-Girard. » Abattu et révolté contre ce qu’il considère être le combat injuste du pot de terre contre le pot de fer (« Je fais des films en empathie avec mes sujets, c’était douloureux »), le réalisateu­r ne se résout pas à enterrer son documentai­re et le montre de temps en temps, notamment dans la section Panorama du festival de Berlin en 2007. « Les organisate­urs ont pris un risque mais Bergé n’est pas intervenu. » Puis, à la faveur d’une nouvelle projection privée, le miracle. « Il y a environ trois ans, j’ai été contacté par Hugues Charbonnea­u, gérant des Films de Pierre, la société de production de Bergé. Il avait entendu dire du bien du film. Il l’a vu et nous a conseillé de le montrer au mécène qui, après quelques mois de tractation­s, a fini par nous donner son autorisati­on. » Désormais en paix avec cette histoire, Meyrou est même amusé, voire content, que Célébratio­n sorte le 14 novembre : c’est la date de l’anniversai­re de feu Pierre Bergé.

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Pierre Bergé et Yves Saint Laurent

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