MATHIEU KASSOVITZ, LES SÉANCES DE SA VIE L’histoire d’une génération cinéphage
Star Wars, c’est le début des spoilers. Je vois le film au Rex le mercredi de la sortie, on fait la queue pendant douze heures, une bagarre éclate dans la file d’attente. Un mec savait des trucs, il connaissait la réplique “Je suis ton père”, il voulait nous raconter. Il rendait tout le monde nerveux. Il s’est fait défoncer ! »
« Le film qui m’envoie à l’hôpital. Littéralement ! Je suis dans un sale état quand je vais le voir. Je ne dors pas depuis plusieurs jours pour essayer d’échapper au service militaire. La fin, avec le masque, provoque chez moi un pur choc physique… Quinze minutes plus tard, je suis sur ma mobylette, je me rends compte que je ne peux plus bouger mes doigts. Crise de tétanie. Direction l’hôpital, où on me fait respirer du gaz carbonique. Je l’ai dit un jour à Terry Gilliam : “T’as peut- être des fans hardcore, mais moi j’ai failli y passer à cause de toi.” » « Pendant un mois, dans un cinéma des ChampsÉlysées, Douglas Trumbull, le concepteur des effets spéciaux de 2001, fait la démo d’un procédé qu’il a inventé, le Showscan. Du 60 images/seconde, projeté en 70 mm. On voyait d’abord un court métrage, puis France, un film financé par Perrier, avec Claude Rich en narrateur. Douglas Trumbull avait fait des études sur la persistance rétinienne, le Showscan donnait vraiment l’impression à ton cerveau de voir à travers une fenêtre. Sans lunettes ni rien. C’était hallucinant, on assistait en direct à l’évolution du cinéma. Mais c’est tombé à l’eau, les projections étaient trop compliquées. Peter Jackson a depuis lancé le HFR (High Frame Rate, du 48 images/ seconde). Et Trumbull poursuit ses innovations dans des parcs d’attractions. » « On était prêt à tout pour pirater un film. J’avais un pote qui avait un lecteur NTSC chez lui, monté en quadriphonie, branché sur un ampli Sony professionnel. Du coup, on pouvait regarder dans des conditions géniales des films américains avant leur sortie française. Les cassettes US s’achetaient chez Champs Disques, une boutique sur les Champs-Élysées. Le seul problème, c’est que ça coûtait 1 200 francs. 200 euros, t’imagines ? Heureusement que mon pote volait aussi des cartes bleues… Il en a tapé une juste pour pouvoir mater Retour vers le
futur, six mois avant tout le monde. »
« La dernière nuit de l’ancien Max Linder,avant la reprise et la rénovation par l’équipe de l’Escurial. Ils projettent le premier film de
Tim Burton. La salle va être détruite, on peut venir avec ses outils et repartir avec un fauteuil si on veut. J’en ramène un sur ma mobylette. Il est toujours là, chez moi, dans mon salon. Le début d’une longue histoire avec cette salle où je montrerai mes premiers films. » « Comme tous les bons élèves, j’avais vu Taxi Driver, mais mon cinéma à moi, c’est plus Mean Streets. Cela se sent dans Métisse, je crois. La liberté absolue. Les personnages parlent et on s’en fout de les entendre ou pas. Je vois le film rue des Écoles, où on rattrape les classiques. Là, contrairement aux cinémas des Champs-Élysées, tu peux pas passer par
du mal aux gens. C’est le début d’une réflexion éthique sur la violence qui va me mener à Assassin(s). » « La première projection de La Haine, pour l’équipe du film. Encore plus fort que Cannes, encore plus fort que les projections de presse au Club de l’Étoile – où j’ai voulu empêcher d’entrer le critique des Cahiers du Cinéma. J’avais dit : “Vous pouvez emmener des potes”, du coup on se retrouve assailli. 1 000 personnes en train de faire la queue devant le cinéma. J’ai dû faire sortir ceux qui étaient rentrés mais n’avaient pas bossé sur le film. “Toi, je t’ai jamais vu, tu dégages !” C’est là que j’ai compris que le buzz avait commencé. »