Première

Le poids des mots

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On a découvert Emmanuel Mouret en 1999. Nu comme un ver. Ou presque. Le jeune homme fraîchemen­t émoulu de la Fémis voyait sortir sur les écrans son film de fin d’études, porté par un titre en forme d’injonction : Promène-toi donc tout nu ! Mouret – devant et derrière – jouait les romantique­s maladroits mais entreprena­nts, avec un sens très articulé du dialogue. Comme si Tati rencontrai­t Rohmer. De fil(ms) en aiguille, ce cinéma très littéraire et contempora­in s’est affirmé, développé. Les jeux de l’amour et du hasard ont continué de plus belle. Le titre des films en témoigne : Un baiser s’il vous plaît, L’Art d’aimer, Une autre vie, Caprice… Il s’est même récemment payé Diderot, le temps d’une escapade en costumes (Mademoisel­le de Joncquière­s en 2018, son plus gros succès à ce jour). Voici venu Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, son dixième long métrage, à coup sûr le plus ambitieux. On y parle (beaucoup), on se croise (énormément), on s’aime comme on se quitte. Le casting avance par paire et joue la parité absolue : Camélia Jordana/ Niels Schneider, Émilie Dequenne/ Vincent Macaigne… On parle beaucoup chez Mouret, mais ce n’est pas pour autant un cinéma bavard : « Je suis surpris de voir qu’au cinéma, les gens échangent si peu leurs idées, alors que dans la vie nous passons notre temps à le faire. C’est quelque chose que je partage avec Éric Rohmer. Chez lui, le suspense naît justement de la parole. Ses personnage­s exposent clairement leurs sentiments, s’engagent énormément. Le spectateur observe si les promesses sont tenues ou pas. Le titre de mon film, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, l’érige même en programme. À la question : “Qu’est-ce qu’un film ?” Raoul Walsh aurait répondu : “Action, action and action !” Or la parole est action, elle engage. Une phrase peut meurtrir ou ravir. Que l’on dise tout bêtement : “Je t’aime !” ou “Je ne t’aime plus !”, on génère du mouvement. On apprend dans les écoles à se méfier des dialogues au nom d’une image souveraine. Le cinéma se regarde. Il s’entend et s’écoute aussi. Jouer avec les mots, c’est à la fois ludique et abyssal. Un philosophe a dit que “nous sommes un tissu d’histoires”. C’est une idée très belle. Ce tissu se fait et se défait constammen­t… »

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