Première

La musique des sentiments

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Et puis, soudain, les gens se taisent. Tous les mots ont été dits, répétés, susurrés ou martelés. Dans les dernières séquences des Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, les corps sont muets : « Après un tel flot de parole, il fallait bien qu’ils puissent enfin respirer… », concède le cinéaste. La musique enveloppe alors tout le cadre d’accords solennels (le réalisateu­r a convoqué du beau linge : Sati, Poulenc, Chopin, Mozart, Purcell…). Sans les mots, Mouret est loin d’être désemparé. Si, jusqu’ici, les dialogues devenaient les notes d’une symphonie avec ses temps calmes et ses tempêtes, leur absence ne crée pas pour autant un manque, elle laisse chacun des personnage­s avec sa propre solitude : « Ça peut paraître paradoxal, mais Buster Keaton est l’un de mes modèles. Dans le cinéma burlesque, qui plus est muet, le décalage s’incarne via un corps dans l’espace. Buster Keaton ne me fait pas rire, il m’émeut. Son personnage se heurte constammen­t au réel. Un réel fait de pièges, de creux, d’obstacles, d’accidents. Il prouve notre difficulté de s’adapter au monde. Mes personnage­s font pareil, ils tombent et se relèvent. » La grande fluidité de la mise en scène chez Mouret n’empêche pas les ruptures. Tout est affaire de dosage, de tempo, de rythme. « Une bonne utilisatio­n de la musique permet à la fois de sublimer les émotions et de tenir la cadence. Les notes deviennent alors une voix off sentimenta­le qui permet de faire avancer l’action en nous plongeant au coeur même des émotions. Qu’est-ce qui rapproche les mélodrames de Douglas Sirk, le style néo-réaliste de Roberto Rossellini ou encore les thrillers d’Hitchcock, sinon leur utilisatio­n de la musique ! Elle a un rôle crucial. Un cinéaste doit se laisser guider par les émotions de son film, sans penser à inscrire son travail dans un genre précis. Mon but n’est surtout pas de laisser tranquille le spectateur. Je cherche au contraire son regard constammen­t. Plus je donne des éléments, plus je fais circuler les choses via ma mise en scène, plus je l’oblige à être attentif. C’est ce que j’aime dans les films de Mankiewicz, par exemple. Il faut s’accrocher, si on lâche le fil, on est vite perdu. Le cinéma est bien un rapport entre l’espace sonore et l’espace visuel. »

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