Première

WAITING FOR THE BARBARIANS

Présentée à la Mostra de Venise l’an dernier, l’adaptation à grand spectacle du roman de J. M. Coetzee, prix Nobel de littératur­e, débarque en direct-to-video.

- SYLVESTRE PICARD

Au Festival de Venise 2019, il n’y en avait que pour lui. Pas pour Waiting for the Barbarians, mais pour Joker : mais si, rappelez-vous, le film de supermécha­nt avec Joaquin Phoenix était reparti avec le Lion d’or, la récompense suprême. Une aubaine pour son studio Warner, qui galérait à conquérir la critique avec ses superfilms (sûr qu’on aurait mal vu Suicide Squad à la Mostra) en affirmant pour la première fois depuis Nolan qu’un blockbuste­r pouvait aussi être une perf à trophées : la première étape du triomphe de Joker qui allait le mener aux Oscars. L’autre vainqueur de Venise 2019, c’était Roman Polanski, qui récoltait le prix du Jury avec J’accuse, première étape de son triomphe – et de son scandale – ressuscité aux César 2020. Tout cela a forcément éclipsé tout le reste. À commencer par Waiting for the Barbarians, dont la réception critique suite à sa projection en clôture de Venise a été franchemen­t indifféren­te alors qu’il s’agissait d’un gros film : le premier en langue anglaise (donc « internatio­nal ») d’un jeune réalisateu­r mis sur un piédestal par Cannes pour ses films « herzogiens » (L’Étreinte du serpent), avec un casting glorieux (Robert Pattinson, Mark Rylance, Johnny Depp) et un sujet spectacula­ire inspiré du Désert des Tartares de Dino Buzzati, bref, un blockbuste­r d’auteur, un vrai.

Le roman original, traduit en français sous le titre En attendant les barbares, a été écrit en 1980, mais il a fallu attendre un quart de siècle pour que le cinéma s’y intéresse : à partir du moment où son auteur, le Sud-Africain J. M. Coetzee, a reçu le prix Nobel de littératur­e en 2003, on commence à se dire qu’il y aurait peut-être quelque chose à tirer de son roman. Coetzee avait déjà été adapté trois fois, en 1985 avec Dust (d’après Au coeur de ce pays), en 2002 avec le téléfilm La Vie des animaux, et en 2008 avec Disgrâce porté par John Malkovich. Coetzee avait écrit lui-même une adaptation d’Au coeur de ce pays en 2014, mais son script n’a pas été porté à l’écran. Un projet d’adaptation d’En attendant les barbares est lancé en 2016, sur un scénario signé Coetzee lui-même, mais le projet ne décolle vraiment qu’en octobre 2018, quand Johnny Depp signe un accord avec l’entreprene­ur et producteur italien Andrea Iervolino pour mettre en chantier de nouveaux films afin de nourrir TaTaTu, le service de streaming de Iervolino. Leur premier projet sera donc En attendant les barbares, avec Ciro Guerra à la réalisatio­n, et Depp dans un des rôles principaux.

LE FILM TROUVE SES PLUS BEAUX MOMENTS QUAND IL S’ÉTIRE, QUAND IL PREND SON TEMPS.

MUET ET LANCINANT. Nous sommes dans un royaume imaginaire, qui évoque le Moyen-Orient colonial, où le Magistrat (Mark Rylance) dirige un poste-frontière avec bonté et compréhens­ion envers les indigènes, s’adonnant à sa passion pour l’archéologi­e. Un jour arrive le colonel Joll (Johnny Depp), flic d’une violence froide, envoyé par le pouvoir central pour enquêter sur l’arrivée prochaine de barbares aussi menaçants qu’invisibles. La bureaucrat­ie contre la culture, l’ignorance contre la tolérance… L’opposition un brin cliché entre Depp le facho amidonné et Rylance le soldat aimable et cultivé n’est pas le point fort du film, et l’attente beckettien­ne des

barbares est moins forte que dans l’adaptation du Désert des Tartares par Valerio Zurlini en 1976. Depp s’amuse bien, Rylance est (comme toujours) génial de retenue, et Pattinson (qui arrive vers la fin) prouve qu’il est constammen­t bon… Mais là où Waiting for the Barbarians trouve ses plus beaux moments, c’est quand il s’étire, quand il prend son temps, quand il met en place des scènes de violence parfois terrifiant­es. Quand il ressemble le plus possible à un film de Ciro Guerra, en fait : muet, lancinant, comme terrifié face aux forces surpuissan­tes et indifféren­tes qui habitent la nature.

CONSTAT FINAL. Mais au fond, est-ce qu’il y a encore de la place pour ces production­s-là, un peu datées dans leur idéal de cinéma (gros casting, sujet littéraire et ombrageux, décors naturels shootés par le chef op de The Mission de Roland Joffé…)

– tellement XXe siècle, en somme ? C’est un peu le constat final du film, qui finit par se demander lui-même quelle est sa place dans le monde. En tout cas, en France, ce sera directemen­t en vidéo, sans passer par la case salles. Dans le poème de Constantin Cavafy de 1904, duquel Coetzee a tiré son titre et son sujet, les Romains inquiets de l’arrivée prochaine des hordes barbares finissaien­t par ne rien voir venir et rentraient chez eux encore plus terrifiés qu’avant. C’est le dernier vers du poème : « Qu’allons-nous devenir sans les barbares ? » REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ LeDésertde­sTartares (1976), LePontdese­spions (2015), LostCityof­Z (2017)

Pays États-Unis, Italie • De Ciro Guerra • Avec Mark Rylance, Johnny Depp, Robert Pattinson… • Durée 1 h 52

• À partir du 2 septembre

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Johnny Depp et Mark Rylance
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