Première

ENGRENAGES SAISON 8

La série-phare de Canal+ s’achève sur une huitième saison haletante de bout en bout qui parvient à clore ses arcs narratifs sans décevoir. Le temps de la nostalgie peut désormais commencer.

- CHRISTOPHE NARBONNE

Cette fois, ça y est. Après huit saisons étalées sur quinze années ( le premier épisode a été diffusé le 13 décembre 2005), Engrenages tire sa révérence. Marine Francou, aux manettes depuis la saison 7, avait pourtant entretenu le doute jusqu’au bout en évoquant fin 2018 un éventuel spin-off qui aurait corroboré le chant du cygne de la série-mère. Si nous en étions restés là, Engrenages aurait tout de même eu de la gueule : le juge Roban (Philippe Duclos) à la retraite après un dernier baroud d’honneur, Gilou ( Thierry Godard) au trou, Laure (Caroline Proust) en détresse, Joséphine (Audrey

Fleurot) à peu près réconcilié­e avec ellemême… La série se serait achevée sur de déchirants accents de tragédie. Oui, mais voilà. On ne change pas une équipe qui gagne. Devant la réussite de la saison 7 et l’envie renouvelée des acteurs de poursuivre une saison de plus (malgré une usure légitime), Canal+ n’a pas hésité. Après tout, les séries françaises de cette qualité ne courent pas les rues. La grille de rentrée 2020 de la chaîne cryptée auraitelle pu s’en passer ? À en croire Caroline Proust [lire encadré ci-contre], il semblerait que non, et c’est tant mieux.

NOIR C’EST NOIR. Au début de la saison 8, nous retrouvons les protagonis­tes au bord du gouffre – c’est une habitude depuis la saison 5. Gilou purge une peine de prison pour avoir trop joué avec le feu. Inconsolab­le de l’avoir laissé endosser seul une infraction perpétrée en commun, Laure doit composer avec Ali (Tewfik Jallab) qui a mal digéré le fait de l’avoir couverte. Joséphine, enfin, partage son appartemen­t avec Lola (Isabel Aime Gonzalez Sola) qui nourrit pour elle des sentiments amoureux que l’inflexible avocate feint d’ignorer. Tout ce petit monde va, comme d’habitude, être relié par une nouvelle histoire criminelle aux ramificati­ons sordides. La saison commence par la découverte du cadavre d’un enfant dans un lavomatic. Chargée de l’enquête, la 2e DPJ va remonter jusqu’à un gang de mineurs d’origine marocaine en situation illégale. L’un d’entre eux, Souleymane, est bientôt suspecté du meurtre de son complice. Joséphine accourt pour le défendre au grand dam de Laure et d’Ali qui connaissen­t le pouvoir de nuisance de l’avocate, secondée par Maître Edelman (Louis-Do de Lencquesai­ng). Quant à Gilou, prêt à tout pour redorer son blason, il va, à la demande du commissair­e Brémont (Bruno Debrandt), tenter d’infiltrer un gang de braqueurs en sympathisa­nt avec sa tête pensante, Cisco (Kool Shen), lui aussi incarcéré… Toujours parfaiteme­nt documentée, l’intrigue ne commande plus aux personnage­s dont la psychologi­e tourmentée influence leurs actes avec un impact visible sur la narration. Un tournant pris à peu près au moment de la saison 5. « La scénariste Anne Landois avait assisté à une table ronde avec Shawn Ryan, le créateur de The Shield, nous explique Caroline Proust. Elle avait appris que pour les Américains les personnage­s prévalaien­t. C’est d’eux que découle l’intrigue. Nous, on faisait exactement tout le contraire, ce qui est, paraît-il, plus difficile ! Nous avons vraiment travaillé de manière empirique au long des années. »

NOUS AVONS VRAIMENT TRAVAILLÉ DE MANIÈRE EMPIRIQUE AU LONG DES ANNÉES. CAROLINE PROUST

FICTION MODERNE. Que restera-t-il d’Engrenages ? Pour beaucoup d’observateu­rs, elle restera cette fiction novatrice qui a fait basculer la série française dans

la modernité, bien inspirée par la pionnière, PJ, et son créateur Frédéric Krivine, le mentor des directeurs d’écriture français actuels – dont Marine Francou. Toute nouvelle série policière, dans l’avenir, sera jugée à l’aune d’Engrenages, de son réalisme sombre, de ses sujets de société brûlants (dans la saison 8, la délinquanc­e juvénile d’origine migratoire), de ses personnage­s ambigus et imprévisib­les, de la franche plus-value de ses seconds rôles (les commissair­es Brémont, Herville, Bekriche, le lieutenant Ali Amrani, la nouvelle jeune juge, Lucie Bourdieu…). Les auteurs ont, en prime, eu le bon goût de clore la série sans chercher l’épate ou la controvers­e. Engrenages finit comme elle a commencé : avec sérieux. Loin des paris formels et narratifs audacieux, mais discutable­s – et très discutés –, de la dernière saison du Bureau des légendes, l’élève turbulent de la fiction sur Canal+. Si on voulait faire la fine bouche (vraiment si on nous forçait), on dirait que ce côté appliqué est le léger talon d’Achille du show créé par Alexandra Clert dont les rouages commençaie­nt peut-être à s’user. Il en va ainsi des séries au long cours.

REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ NewYorkPol­iceBlues (1993), PJ (1997), Braquo (2009)

Pays France • Créée par Alexandra Clert & Guy-Patrick Sainderich­in • Avec Caroline Proust, Thierry Godard, Tewfik Jallab…

• Nombre d’épisodes vus 10/10

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Louis-Do de Lencquesai­ng et Audrey Fleurot
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