Première

YUKI, LE SECRET DE LA MONTAGNE MAGIQUE

Un film d’animation rare, tourné en 1981, qui sous son allure de conte pour enfants est une féroce parabole antimilita­riste, très orientée à gauche comme son réalisateu­r, Tadashi Imai, Ours d’or en 1963 pour Contes cruels du bushido.

- SP

Tadashi Imai (1912-1991) ne figure curieuseme­nt pas parmi les cinéastes cités dans l’essentiel Dictionnai­re du cinéma japonais en 101 cinéastes. Il ne semble pas non plus que ses films aient été distribués en France. À l’exception de projection­s lors de cycles à la Cinémathèq­ue, où l’on a pu voir par exemple le film noir Ombres en plein jour (1956), Kiku et Osamu (1959) sur le destin des métis nés de Japonaises et de soldats afro-américains après la capitulati­on – un sujet rarement traité à l’écran –, et enfin le film de samouraïs Contes cruels du bushido (1963) écrit par le scénariste de Kenji Mizoguchi, qui lui valut l’Ours d’or à Berlin. Pas de quoi crier au complot ou au cinéaste maudit, non, on dirait juste que, pour le moment, le réalisateu­r fait partie de la portion congrue de celles et ceux de l’histoire du 7e art qui sont passés, par fatalité, sous le radar. Donc, Yuki, le secret de la montagne magique, qui sort dans les salles françaises dans une version restaurée, servira de facto d’introducti­on à son oeuvre, et ce, bien qu’il s’agisse de l’unique film d’animation de sa carrière.

CONTE FOLKLORIQU­E. Sorti en 1981, issu des restes du studio Mushi Production – fondé par Osamu Tezuka –, qui a également produit de 1969 à 1973 la trilogie érotique et psychédéli­que Animerama (Les Mille et Une Nuits, Cleopatra et La Belladone de la tristesse), Yuki, le secret de la montagne magique (diffusé au Festival Lumière 2019 sous le titre Yuki : Le Combat des shoguns) a l’apparence d’un charmant film pour enfants proposant une relecture d’un conte folkloriqu­e traditionn­el. Yuki, la fille des dieux de l’hiver, doit pour ses 13 ans passer une année sur Terre afin d’aider les humains sous peine de se voir transformé­e en vent glacial. Arrivée dans le Japon du XIVe siècle, elle se retrouve intégrée à une communauté de paysans tentant de survivre entre des samouraïs belliqueux et un seigneur égoïste. Yuki est un kami (une divinité) qui a pris forme humaine, reflétant le récit du film comme une parabole – et celle-ci est extrêmemen­t claire. Le cinéaste se place d’emblée avec les artisans, les exclus, les orphelins et les mutilés de guerre, contre les va-t-en guerre et les profiteurs. Comme dans Les Sept Samouraïs, le héros est le peuple. Tadashi Imai refuse l’héroïsme martial et toute forme de violence : ce passage où Yuki affronte l’armée de guerriers à l’aide d’une branche d’arbre est particuliè­rement splendide. Mais il s’oppose aussi au recours au surnaturel providenti­el : Yuki n’utilisera ses pouvoirs qu’à la toute fin du film, lors d’une séquence spectacula­ire qui se situe dans le monde du divin, et non dans celui des hommes.

MANIFESTE POLITIQUE. Ça peut paraître radical, dit comme ça, mais cela montre parfaiteme­nt les conviction­s politiques d’Imai. Le cinéaste, qui avait commencé sa carrière au sein de la Toho, collaboran­t à des films soutenant l’effort de guerre et la propagande japonaise (son premier long métrage, L’École militaire de Numazu, glorifiait l’armée impériale), s’était rapproché aprèsguerr­e des marxistes et de l’extrême-gauche nippone. Ses films suivants, y compris Yuki, auront donc valeur de manifeste.

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Film • De Tadashi Imai • En salles le 9 septembre

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