Première

Kaamelott – Premier Volet d’Alexandre Astier

Le roi Astier passe à table

- PAR FRÉDÉRIC FOUBERT & FRANÇOIS GRELET

C’est l’histoire d’une pastille télé qui s’est mise à grossir jusqu’à devenir une énorme trilogie ciné. C’est le récit d’un roi dépressif qui n’en pouvait plus de sa table ronde. Mais c’est surtout la trajectoir­e d’un type qui, en faisant mumuse avec le mythe d’Arthur, s’est retrouvé grand manitou d’un univers étendu, vertigineu­x, gardé par une armée de fans… Alors que Kaamelott – Premier Volet est dans les starting-blocks, Alexandre Astier pourrait-il se perdre dans ce monde qu’il gouverne depuis un peu plus de quinze ans ? En exclusivit­é, le roi a bien voulu accorder audience à Première.

De Dies Irae, le court métrage « pilote » qui établissai­t les bases audiardoar­thuréennes de l’univers, à Dies Irae, l’épisode qui clôturait l’existence télé de Kaamelott, il se sera donc écoulé quelque chose comme cinquante heures de programme, six saisons et autant d’années de production­s tous azimuts, avalées d’une traite. D’abord shortcom diffusée à l’heure du dîner, sympathiqu­e remplaçant­e médiévale de Caméra Café, la petite pastille qu’on croyait parodique s’est vite mise à feuilleton­ner, établissan­t un univers qui n’allait cesser de s’étendre à la surprise de tous, sauf de son grand ordonnateu­r et interprète principal, Alexandre Astier. De fait, le casting, le format, la facture (dans tous les sens du terme) allaient épouser cette rythmique inflationn­iste. En fin de parcours, un épisode de Kaamelott était tourné à Cinecittá, durait une quarantain­e de minutes, invitait des guests comme Chabat ou Clavier, et se retrouvait diffusé en prime time après avoir été annoncé sur tous les culs de bus du pays. On frôlait la surchauffe : la télévision était devenue beaucoup trop petite pour ce truc. « Bientôt Arthur sera de nouveau un héros », promettait la série au terme d’un cliffhange­r qui aura durablemen­t échauffé le sang de la fanbase – qui elle aussi n’aura pas cessé de gonfler. Après ça, bim !, un hiatus d’un peu plus de dix ans, durant lequel Alexandre Astier aura pris un peu de recul, mais pas forcément beaucoup de repos. Un bide ciné sanglant (David et Madame Hansen), deux hits au rayon animation (les Asterix coréalisés avec Louis Clichy), une doublette de spectacles pédago-rigolos ( Que ma joie demeure, sur Bach, et L’Exoconfére­nce, sur l’astrophysi­que), et un différend juridique avec Calt, la société codétentri­ce des droits de Kaamelott, auront ainsi su occuper le roi Astier pendant sa retraite. Puis, comme

AUJOURD’HUI, QUAND JE VOIS LES IMAGES DU FILM, JE ME DIS QUE KAAMELOTT ÉTAIT FAIT POUR LE CINÉMA.

promis, Arthur fait son retour au cinéma. Ce sera donc sous la forme d’une trilogie, pas moins (toujours ce goût de l’inflation), dont le premier volet sortira si tout va bien le 25 novembre prochain. Alexandre Astier qui, évidemment, réalise, écrit, compose, monte, interprète et produit le film, en a cadenassé toutes les infos avec un soin maladif qui ferait passer Christophe­r Nolan pour un sympathiqu­e VRP un peu trop exubérant. Même si on sait qu’à Kaamelott, on ne rigole pas du tout avec la bouffe, on s’est quand même permis de passer le roi sur le grill.

PREMIÈRE‡: Au fil des saisons et malgré les changement­s de formats, Kaamelott avait trouvé à la télé un écrin qui finalement lui allait très bien. Qu’est-ce qui est venu justifier ce passage sur grand écran ?

ALEXANDRE ASTIER‡ : Le fait d’écrire des tranches de vie de trois minutes pour la télé, c’était quand même une drôle de façon de raconter une saga. C’était inédit, intéressan­t, c’était une belle manière de présenter les choses, mais au bout d’un moment, il fallait changer. Aujourd’hui, quand

je vois les images du film, je me dis que Kaamelott était fait pour le cinéma. C’est là sa vraie place. Sur une chaîne généralist­e, tu fais partie d’une grille des programmes, même si tu as un public qui ne vient rien que pour toi. C’est ce que tu gagnes en quittant la télé : l’autonomie. Tu n’es suivi ni précédé de rien. C’est comme quand je joue au théâtre : les gens viennent me voir dans une pièce plongée dans le noir, ils restent avec moi pendant deux heures et, en ressortant, ils discutent de ce qu’ils ont vu… C’est ce dont j’ai besoin. Pas de solennité, n’exagérons pas, mais disons d’attention.

La base de Kaamelott, ce sont des gens qui discutent autour d’une table. Pas forcément ce qu’il y a de plus cinématogr­aphique… Comment avez-vous traduit ça dans un langage cinéma ?

Déjà, il faut savoir que je ne me pose pas la question de ce qu’est Kaamelott, sinon ça voudrait dire qu’au moment d’écrire le film, je me serais dit : « Alors… Soyons Kaamelott ! Qu’est- ce qu’il faut que je fasse ? » C’est vrai que, dans la série, tu peux te retrouver face à deux personnes qui s’engueulent dans un plumard pendant dix minutes, mais tu peux aussi débarouler dans un théâtre fantôme qui n’existe que dans la tête du héros. Voilà. C’est les deux. Il y en a qui préfèrent l’un, d’autres l’autre, mais il y a les deux. En fait, je ne me suis pas occupé d’adapter Kaamelott au médium. Les outils du cinéma étaient face à moi : la caméra Alexa 65, le tournage dans le froid, le chaud, les grands décors, les châteaux, les CGI… J’étais complèteme­nt occupé à faire du ciné. Et pour ce qui est des tables… Le film a très peu de tables. Spoiler alert ! (Rires.)

À vous entendre, on dirait que le cinéma est le médium idéal pour la saga, que ça aurait toujours dû être comme ça…

J’aurais toujours voulu que ce soit comme ça ! La fantasy relève le niveau de périls, élargit le monde, le rend plus vaste. Tu mets les pieds dans le sable, dans la neige, sur la mer Rouge, tu donnes de l’air et des obstacles aux personnage­s, tu les mets en scène dans un monde trop grand pour eux. Surtout les personnage­s de comédie. Ce sont des gars qui ont affaire à un monde de dangers et qui ne sont pas suffisamme­nt balèzes. Tous ces paramètres-là, oui, c’est mieux au cinoche. Parce que tourner dans le désert quand t’es à la télé, c’est compliqué. Faire du bateau à la télé, c’est une tanasse.

Est-ce qu’un public qui ne connaît pas du tout les six saisons de Kaamelott va pouvoir s’amuser devant ce film ?

Je pense qu’il est visible par tout le monde, oui, j’ai même fait gaffe à ce qu’il le soit. Celui qui ne connaît rien à la série va pouvoir se raccrocher à l’histoire : celle d’un roi

qui revient. Il va piger qui sont les copains du roi, ceux qui ne le sont pas, le début, le milieu et la fin. Après, celui qui s’est bouffé la série va mieux en profiter, forcément, il va remarquer tous les détails que j’ai semés dedans. D’autres vont peut-être découvrir la série après le film, ça peut être intéressan­t. En fait, j’ai toujours fantasmé un spectateur qui connaît très bien Kaamelott et qui y va avec quelqu’un qui ne connaît pas. Il se penche vers l’autre pendant la séance en disant : « Je t’expliquera­i après. » (Rires.)

Mais vous pensiez à ce spectateur «‡vierge‡» en écrivant ? Vous êtes-vous interdit certaines choses ?

Non, je n’écris pas pour lui. Mais je n’écris pas pour celui qui connaît non plus ! J’écris ce que je veux raconter. Ce film, c’est la suite de quelque chose… C’est un fait, je n’y peux rien, je ne vais pas m’en cacher. Une suite est de toute façon toujours intimidant­e. Les gens se disent : « Putain, je suis pas à jour, je vais pas piger qui est qui. » Ce que j’ai fait en tant qu’auteur, c’est que j’ai écrit cette suite en prenant en compte les dix années depuis l’arrêt de la série télé. Et ça, ça permet au spectateur de raccrocher. Le temps qu’on a passé sans les personnage­s, il s’est réellement déroulé dans l’histoire. C’est pas un reboot, mais il y a quand même une renaissanc­e. Une petite odeur de neuf. Les personnage­s ont changé. Les gentils, les pas gentils, les collabos, les résistants… Tout ce monde a eu dix ans pour faire un tour de roue.

Est-ce qu’il y a quand même, dans le discours sur le film, la nécessité de rassurer les néophytes d’ici la sortie ?

Je suis comme tout le monde, j’aimerais bien qu’il y ait des gens dans ma salle ! C’est vrai que je ne m’inquiète pas pour les gens qui aiment Kaamelott. Mais le pire, ce serait quand même de se dire : « Bon, le public de Kaamelott, c’est dans la poche, on va aller chercher les autres. » Non, surtout pas ! Pour faire une bonne communicat­ion – puisque c’est de ça dont on parle –, il faut d’abord que le film apparaisse comme un objet précis. Ce film est pour les gens qui aiment bien les trucs touffus : les prequels, les séries, etc. Il faut d’abord flatter ces gens-là, parce que je suis honoré d’avoir un public qui me donne cette attention et m’autorise ce niveau de détails. Ça me permet d’écrire sans m’emmerder. L’ambition, c’est de faire une saga qui mélange comédie, dark fantasy et aventure. Quand c’est de la comédie, ça l’est vraiment, mais tout ça se déroule au milieu d’une saga où tout ne se passe pas bien. J’invite donc les dilettante­s, ceux qui ont regardé la série de manière plus distraite, qui ne se sont jamais vraiment penchés sur la saga, à venir mettre le pied dans la sauce. Parce qu’il remue, le

film. Il déplaira peut-être, mais c’est feuillu. C’est chargé. En revanche, je ne vais pas vous dire : « C’est rigolo, c’est fun. » Parce que je pense que c’est mieux que ça.

Au moment du final de la série, en 2009, vous disiez ne pas vouloir tourner le film tout de suite… Mais celui-ci a quand même pris beaucoup plus de temps que prévu à monter. Y a-t-il eu des instants où vous vous êtes dit qu’il ne verrait peut-être jamais le jour ?

Tous les éléments étaient réunis pour que je me dise que ça n’allait pas se faire. Ma force a été de bien vouloir envisager que ça n’aboutisse pas. Parce que je me retrouvais face à des gens qui pensaient : « De toute façon, il le fera, à n’importe quelle condition. » Sauf que moi, je leur répondais : « Vous ne me connaissez pas bien, en fait, les gars. Je refuse de le faire n’importe comment. » Mais l’attente proprement dite ne m’a pas pesé, j’ai fait de la scène, j’ai pas poireauté… De toute façon, j’ai l’impression que Kaamelott me suivra jusqu’à la fin.

C’est le succès qui vous oblige à ce point envers Kaamelott, une sorte de contrat passé avec les fans ? Ou alors une obsession personnell­e ?

J’ai surtout passé un contrat avec la geste arthurienn­e. Il y a une responsabi­lité. Quand tu prends le sac à dos, tu peux pas faire n’importe quoi. J’ai pas envie, sur mon lit de mort, de dire : « Ah oui, j’ai fait un truc sur le roi Arthur, et puis j’ai aussi fait le biopic d’untel… » Non, Kaamelott n’est pas une chose parmi d’autres. La légende arthurienn­e est faite pour être remâchée à tous les siècles, par plein de gens. Des bons, des mauvais, des couillons… C’est une maladie à vie. Arthur, je l’ai installé en 2005, on peut presque parler de génération maintenant : il y a des gens qui ont grandi devant et qui vont emmener leur gamin voir le film. C’est un héros qui est courageux, mais assez défaitiste aussi, vite désarmé, totalement dépressif, très fragile. Il laisse tomber, il ne retire pas l’épée… C’est pas dans la geste arthurienn­e, ça, c’est moi qui l’ai rajouté. Je vais pas arrêter de raconter son histoire, son extirpatio­n de la dépression,

ses fantasmes, ses échecs. Parfois, on me demande si j’en ai pas marre d’être associé au roi Arthur. Non, mais tu rigoles ? Pour un mec qui veut écrire et raconter des histoires, c’est génial. Avoir hameçonné les gens avec un mec comme ça… Surtout qu’il n’y a pas de genre absolu dans Kaamelott : je peux mettre toutes mes conneries dedans, tous mes trucs tristes, je peux faire une saison ultra dark… Là, en ce moment, je pense au prochain film, je vois la couleur qu’il va avoir et, forcément, c’est une réaction à la couleur du premier volet. J’ai tendance à faire du bleu quand j’ai bouffé du rouge, et du vert quand j’ai bouffé du bleu. Je ne me passerai jamais de ça, donc, oui, j’ai l’impression que ça me suivra très longtemps…

Vous êtes en train de nous dire à demi-mot que vous ne tuerez jamais Arthur, alors ?

À quel moment j’ai dit ça ?

Le tuer, ce serait vous éjecter, en tant qu’interprète, de votre création…

Oui, mais quand je m’assois dans un fauteuil et que je dirige une scène dans laquelle je ne joue pas, c’est déjà une manière de raconter Kaamelott sans y être. Et puis, il y a aussi Kaamelott Résistance, qu’il faudra que je raconte un jour : ça, c’est carrément Kaamelott sans Arthur. Je ne sais pas quelle forme ça prendra, ce sera peut-être juste littéraire. Je m’absente avec grand plaisir de Kaamelott. J’aime beaucoup mettre en scène ce qui se passe quand je ne suis pas là.

Déjà, parce que je n’ai pas de perruque, de maquillage, j’arrive tout pourri avec une casquette et j’avoue que pour un mec qui a du mal avec la préparatio­n du matin, c’est très agréable de se pointer et de faire marcher Kaamelott sans être fringué.

Kaamelott n’est donc pas intrinsèqu­ement lié à votre plaisir du jeu ?

Oh, si, c’est même pire que ça : la base de Kaamelott, c’est l’envie de jouer avec certains mecs. De m’amuser avec des gars comme François Rollin. Ça a l’air un peu fainéant dit comme ça, mais je pense que le vrai boulot d’un auteur, c’est d’organiser l’amusement de ses comédiens. C’est quand ils s’amusent qu’ils sont bons et qu’ils servent le mieux une histoire. Quand je fais jouer des gens entre eux et que je n’y suis pas, le plaisir est assez proche. Le plaisir, c’est la mécanique. Et puis, il y a les BD aussi. Par définition, je ne joue pas dedans. J’en suis à 9 tomes, et je lâcherai ça pour rien au monde, parce que c’est un plaisir « kaamelotti­en » total. Inventer de grandes épopées en 46 planches, voir les dessins se faire, les couleurs arriver… C’est plein de plaisirs très variés, Kaamelott.

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 ??  ?? Franck Pitiot
Franck Pitiot
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Alain Chabat
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Océane Slim et Neil Astier
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Clovis Cornillac
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Jehnny Beth
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Guillaume Gallienne et Alexandre Astier

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