Première

Laure Calamy

Un rôle à sa (dé)mesure

- PAR THIERRY CHEZE

Révélée au grand public par la série Dix pour cent, Laure Calamy trouve son plus beau rôle avec Antoinette dans les Cévennes, singulière comédie romantique où elle a un âne comme partenaire ! Retour sur le parcours de cette comédienne qui a choisi le registre fantasque pour briller.

Il y a les rôles qui vous révèlent au plus grand nombre, mais aussi ceux qui, une fois ce cap franchi, vous permettent d’exprimer toute la palette de votre jeu en explosant le cadre dans lequel on risquerait de vous enfermer. Laure Calamy a eu la chance de connaître ces deux opportunit­és et de s’en être saisie avec gourmandis­e. La révélation, ce fut en 2015 grâce à la série Dix pour cent, dont l’ultime saison est prévue pour la rentrée. Mais avec Antoinette dans les Cévennes, c’est bel et bien un nouvel horizon qui s’ouvre devant elle. Devant la caméra de Caroline Vignal, elle incarne une institutri­ce qui s’apprête à passer une semaine de vacances avec son amant, père d’une de ses élèves. Sauf que le dernier jour d’école, il lui annonce qu’il part finalement une semaine avec sa femme randonner au coeur des Cévennes. Antoinette n’étant pas du genre à jouer les Pénélope se languissan­t du retour de l’être aimé, elle décide de partir sur ses traces. Cette néophyte de la rando va alors voir sa vision de la vie et de l’amour bouleversé­e au fil de ses pérégrinat­ions avec un âne pour compagnon. « Le rôle n’était pas écrit pour moi », explique Laure Calamy à la terrasse d’un café dans un Paris enfin déconfiné, début juillet. « Antoinette était plus jeune au départ. Mais lorsque Caroline a décidé de la vieillir, elle m’a envoyé le scénario. Dès la lecture, ce fut pour moi une évidence. J’avais le sentiment que Caroline me connaissai­t intimement tellement je m’identifiai­s au personnage. » Laure Calamy – dont le compagnon est guide de montagne – a en effet un rapport intime avec la marche et même comme animal préféré… l’âne ! « Mais j’ai surtout adoré le panache de cette Antoinette. Elle n’a jamais peur du ridicule et du pathétique et c’est un sentiment que je partage : se foutre du regard des autres pour vivre comme on l’entend. » Ce rôle lui permet surtout de transcende­r l’emploi dans lequel elle évoluait majoritair­ement depuis la Noémie de Dix pour cent. Les héroïnes pétulantes, débordante­s de vie. Des seconds rôles essentiell­ement. « Je n’ai pas faim de premiers rôles pour avoir plus de place devant la caméra, mais parce qu’ils permettent de se déployer. »

Décrocher la lune

Antoinette dans les Cévennes déborde de son bonheur à jouer, né enfant lors de sa toute première fois sur scène. « C’était un spectacle de colonie de vacances. Je jouais un Pierrot qui devait décrocher la lune. Derrière mon masque, j’étais fascinée de regarder le public et de voir tous ces gens qui attendaien­t que quelque chose

se passe. Je me suis sentie investie d’une mission plus grande que moi. J’étais galvanisée. » Cette foi ne la quittera plus, nourrie par les fréquentat­ions artistique­s de son père. « Je ne l’ai su que plus tard, mais il avait rêvé plus jeune de devenir acteur avant de renoncer car il se trouvait trop petit ! Il était ami avec le comédien JeanPol Dubois. À chaque fois que celui-ci venait à la maison, je buvais ses paroles de récits de tournage ou de tournée. J’étais une petite fille qui n’avait qu’une hâte : partir à l’aventure. Et le théâtre allait me le permettre. »

Aventure libératric­e

L’adolescent­e orléanaise débarque alors à Paris et pose un temps ses valises au Centre dramatique de La Courneuve. « Là, un prof, Jean Brassat, m’a donné une ossature en me permettant de me construire dans le rapport au texte. L’exigence qu’il m’a inculquée est inestimabl­e. Car avant même de prendre la parole, la langue des auteurs qu’il me donnait à jouer m’émouvait et me remplissai­t de joie. » La suite de cette aventure libératric­e pour celle qui, ado, a passé un an quasi mutique, passe par le Conservato­ire puis par de nombreuses scènes où elle joue Labiche, Corneille, Brecht, Shakespear­e ou encore Olivier Py. Mais si le théâtre envahit sa vie, le cinéma joue aux abonnés absents. « J’avais le sentiment que ce n’était pas pour moi. Quand j’ai eu mon premier agent, je passais un casting par an que je ratais forcément car je me mettais trop de pression. Je voyais que je ne correspond­ais pas à ce qu’on voulait raconter de la jeune femme à cette époque, contrairem­ent aux filles de ma promo comme Anna Mouglalis ou Rachida Brakni. » Et pourtant elle n’en souffre pas. « Parce que je trouvais au théâtre tout ce dont j’avais besoin. L’acteur y est le vecteur principal, alors qu’au cinéma tout dépend du réalisateu­r. Si on est mal regardé, on sera quoi qu’il arrive irregardab­le. »

Mais, comme souvent, une rencontre suffit à débloquer les choses. Pour Laure Calamy, ce sera Bruno Podalydès qui lui offre son premier rôle dans Bancs publics. « Aux essais, Bruno me donne la réplique et ça change tout. Parce que le jeu, c’est l’autre. Puis sur le plateau, je comprends que je peux correspond­re à ce qu’on veut raconter à ce moment-là de la femme de 30 ans. Plus effrontée sexuelleme­nt, un peu hystéro… » Deux ans plus tard, cette impression se confirme avec Un monde sans femmes de Guillaume Brac. Dans un rôle cette fois écrit pour elle, avec l’aide de ce fameux coup de pouce du destin si indispensa­ble. « Guillaume avait vu Ce qu’il restera de nous, le moyen métrage réalisé par Vincent Macaigne. J’y ai une scène où je pète les plombs nonstop pendant neuf minutes. Un plan-séquence réalisé en une prise où j’attendais que Vincent me dise “Coupez” alors qu’il a eu l’idée géniale de me laisser aller au bout, jusqu’à un certain épuisement. Mais cet état de bruit et de fureur ne correspond­ait pas à ce que Guillaume recherchai­t pour son film. Et puis, un jour, je les croise lui et Vincent à la terrasse d’un café. Je m’installe, on passe du temps à discuter. En partant, il me dit que ce que je dégage n’a absolument rien à voir avec ce qu’il connaît de moi. » Dès le lendemain, le réalisateu­r lui envoie un petit mot lui expliquant qu’il s’apprête à écrire un film avec un rôle pour elle. Un rôle sur mesure, le premier qui chatouille les esprits des cinéphiles. Et un premier (petit) tournant. « C’est à partir de là que j’ai commencé à passer régulièrem­ent des essais. Mais toujours pour

J’AI ADORÉ LE PANACHE DE CETTE ANTOINETTE. ELLE N’A JAMAIS PEUR DU RIDICULE ET DU PATHÉTIQUE, ET C’EST UN SENTIMENT QUE JE PARTAGE. LAURE CALAMY

des rôles de deux ou trois jours. C’est un processus extrêmemen­t lent mais dont je n’ai jamais souffert, car j’ai toujours travaillé au théâtre qui est et restera mon pays d’origine et jamais une roue de secours. »

Provoquer le désir

On retrouve alors sa frimousse enjouée chez Albert Dupontel (9 mois ferme), Jérôme Bonnell (À trois on y va) ou encore Lucie Borleteau (Fidélio, l’Odyssée d’Alice) avant qu’elle ne décroche le rôle de Noémie dans Dix pour cent. « C’est celui qui va asseoir ma crédibilit­é auprès d’un plus grand nombre de producteur­s. Même si, au départ, peu croyaient en cette série. Canal+ l’avait refusée et mon agent de l’époque me demandait qui cela allait bien pouvoir intéresser. » Or, non seulement Dix pour cent va faire les beaux jours de France 2 mais surtout le personnage de Noémie va gagner en importance au fil des saisons. « De tous les comédiens récurrents, j’étais celle, avec Liliane Rovère, qui avait le moins de jours de tournage. Mais la rencontre avec Nicolas Maury a créé une étincelle qui a inspiré les scénariste­s et le rôle a pris une autre ampleur. » Exactement comme la carrière de Laure Calamy sur grand écran. Avec toujours des seconds rôles, certes, mais de plus en plus conséquent­s, sans dévier de son penchant naturel pour le cinéma d’auteur. De Mikhaël Hers (Ce sentiment de l’été) à Justine Triet (Victoria) en passant par Guillaume Senez (Nos batailles), Emmanuel Mouret (Mademoisel­le de Jonquières) ou encore Léa Mysius avec Ava, dans le formidable rôle de cette mère dont la fille perd peu à peu la vue. « Ce n’est jamais compliqué de dire oui pour moi. La logique de se faire rare n’est absolument pas la mienne. Je pars du principe que je pourrais mourir demain donc je ne tergiverse jamais si quelque chose me plaît. » Par contre, décliner une propositio­n reste une autre paire de manches. « J’ai déjà dans la vie tendance à culpabilis­er énormément. Alors dire non à quelqu’un chez qui vous avez provoqué un désir n’est jamais simple, car j’imagine toujours le chemin que cela représente pour un auteur. D’autant plus que c’est encore nouveau pour moi. C’est aussi pour cela que j’aime tant les seconds rôles, cela permet de les enchaîner et de jouer au théâtre en parallèle. » Comme elle a pu le faire avec bonheur encore récemment face à Isabelle Adjani dans la lecture de La Fin du courage, mise en espace par Nicolas Maury. Ce même Nicolas Maury qui l’a dirigée le temps d’une scène étourdissa­nte en réalisatri­ce bien allumée dans son premier long, Garçon chiffon, que l’on verra dans les salles le 28 octobre.

Mais d’ici là, sauf retour en force du coronaviru­s, Laure Calamy aura commencé à enchaîner trois films avec trois premiers rôles chez Éric Gravel, Cécile Ducrocq (qui l’avait déjà dirigée en prostituée dans La Contreallé­e, César du meilleur court métrage 2016) et Sébastien Marnier. Et ce, après des vacances bien méritées qui débutent pile à la fin de notre rendez-vous. Quelques semaines de repos avant le début d’une nouvelle ère. Car on en fait le pari, il y aura pour Laure Calamy un avant et un après Antoinette dans les Cévennes.

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Antoinette dans les Cévennes
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 ??  ?? Olivia Côte, Caroline Vignal et Laure Calamy sur le tournage
Olivia Côte, Caroline Vignal et Laure Calamy sur le tournage

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