Première

Matthew Vaughn

Avec The King’s Man : Première Mission, Matthew Vaughn remonte le temps jusqu’à l’aube de la Première Guerre mondiale. Une origin story de sa célèbre franchise d’espionnage qu’il a pensée comme un grand film d’aventures old school. Rencontre.

- FRANÇOIS LÉGER

L’année dernière, Matthew Vaughn nous parlait de sa nostalgie des films d’aventures à l’ancienne « qui en mettaient plein la gueule et qui remplissai­ent l’écran ». Un genre en désuétude que le réalisateu­r de Layer Cake, Stardust ou Kick- Ass a décidé de réinvestir avec The King’s Man : Première Mission. Il y raconte la genèse de sa saga d’actionespi­onnage dans l’ombre de la Première Guerre mondiale, avec en toile de fond un complot mortel entre les pires tyrans et les plus grands génies criminels de l’Histoire. Jusqu’à ce qu’un aristocrat­e pacifiste, le duc d’Oxford (Ralph Fiennes) ne décide de contrecarr­er leur plan en montant le premier réseau d’espionnage indépendan­t. Vaughn nous raconte son jeu du chat et de la souris avec les studios hollywoodi­ens et son rapport au cinéma d’aventures.

PREMIÈRE‡: Après X-Men et les Kingsman, il n’y a plus de doute‡: vous êtes devenu un réalisateu­r de franchises. Ce qui était difficile à imaginer il y a encore quelques années…

MATTHEW VAUGHN‡ :

Alors peut- être que vous m’aviez mal catalogué ! Je n’ai aucun problème avec les franchises, et j’ai toujours su que je voulais faire du « big cinema » . Mais j’étais bien conscient que je devais prendre mon temps pour y arriver. J’estime que ça doit être progressif, qu’il faut gravir les échelons petit à petit, apprendre à maîtriser son art. Et ce n’est pas ce qui se passe à Hollywood en ce moment : des réalisateu­rs débutants, qui n’ont qu’un film à quatre millions de dollars au compteur, se retrouvent à piloter des engins à un milliard. Évidemment, ça se passe mal. C’est comme si un boxeur débutant allait chatouille­r Mike Tyson. Celui-ci va forcément le mettre KO.

J’imagine que c’est plus facile de vendre un film à un studio hollywoodi­en quand on peut se reposer sur une marque établie.

Totalement. Si je m’étais pointé en déclarant que je voulais faire un gros film d’aventures avec des acteurs britanniqu­es, ils m’auraient dit : « Merci, au suivant. » Mais si tu arrives en parlant d’une idée de prequel pour Kingsman, là ça change tout. Tu as leur attention. C’est un petit tour de passe-passe.

Ça ne vous embête pas d’être obligé de jouer ce jeu-là, à près de 50 ans ?

Mais enfin ! Vous êtes bien naïf, c’est Hollywood ! No offense, mais ces gens sont des comptables, ils n’aiment pas vraiment le cinéma. Et attention, je parle bien de

Hollywood en général, pas de Disney. Si Disney a réussi là où tout le monde s’est planté, c’est qu’ils assurent vraiment les arrières de leurs films, que ce soit Marvel, Lucasfilm ou Pixar. Leur plan, c’est de trouver des gens qui font des super contenus et de les soutenir jusqu’au bout. Vraiment ! Les gens de chez Disney ont tout de suite aimé le projet de The King’s Man [la firme de Burbank a récupéré le projet après le rachat de 20th Century Fox]. Personne ne m’a dit : « Oh mon Dieu, un film d’époque ! » Ils étaient ultra chauds.

De loin, le film semble vouloir dépoussiér­er le film d’aventures. Un genre qui a pratiqueme­nt disparu de nos écrans. Pourquoi ?

Aucune idée. J’imagine que les modes vont et viennent, mais tout ça nous dépasse, ça se décide au plus haut niveau des studios. Par exemple, avant Pirates des Caraïbes, on n’avait plus vu un film de pirates depuis je ne sais combien de temps. Quand on a proposé Arnaques, crimes et botanique [le film de Guy Ritchie produit par Matthew Vaughn], il n’y avait plus de films de gangsters. On nous disait : « Personne n’a envie de voir ça. » Sauf que c’était faux : il y avait un public, mais on ne lui donnait pas la possibilit­é d’aller en salles. Après, quand ça a cartonné, tout le monde a voulu faire son film de gangsters. Et c’est devenu progressiv­ement de la merde. C’est un cycle.

Pour moi, le dernier vrai film d’aventures en date, celui qui coche vraiment toutes les cases du genre, c’est le de Steven Spielberg.

Tintin

Mouais. Je ne veux pas… Bref, c’était de la motion capture, pas un film live. C’est différent. J’en suis le premier étonné, mais j’ai envie de vous citer les derniers Jumanji, qui tendent vers l’aventure pure. Moi, j’avais une vision très précise de ce que je voulais faire, un truc vraiment épique, exaltant. Et je me suis tout de suite souvenu de la backstory que j’avais écrite en imaginant l’univers de Kingsman. Tout collait parfaiteme­nt, les étoiles s’alignaient. Mais je ne me suis pas mis de barrières : The King’s Man peut aussi être vu comme un drame historique bourré d’action, avec un point de vue politique et pas mal d’humour.

Un melting-pot, quoi.

Oui. Du coup c’est difficile de trouver le ton juste, mais c’est l’intérêt. Faire des films ne devrait pas être facile. Je veux immerger le spectateur pendant deux heures, qu’il oublie l’existence du monde extérieur. Tout sauf l’ennui ! J’ai eu une discussion un peu agitée avec un autre réalisateu­r : une critique de son film disait qu’il manipulait trop les émotions du spectateur, et ça l’avait carrément énervé. Mais putain, tope là mec, c’est canon ! C’est notre boulot de manipuler les gens pour les rendre heureux, les faire vibrer… Qu’ils ressentent un truc, quoi ! J’essaie de recréer ce que je vivais quand j’allais en salles dans les années 80, alors que j’étais môme. Le logo Warner Bros., Disney ou Paramount arrivait à l’écran et c’était la promesse que j’allais vivre un moment à part. Et quand c’était

J’AVAIS UNE VISION TRÈS PRÉCISE DE CE QUE JE VOULAIS FAIRE, UN TRUC VRAIMENT ÉPIQUE, EXALTANT.

vraiment bien, je ne voulais plus quitter la salle après le générique, j’avais envie de revoir le film. Sauf qu’aujourd’hui, tu peux compter sur les doigts d’une main les films que tu as envie de revoir, parce qu’il n’y a rien de plus à analyser. Je me bats contre ça. Le cinéma, ça doit être de l’évasion.

The King’s Man

se déroule avant et pendant la Première Guerre mondiale. Vous mélangez des événements réels et fictionnel­s, comme la création de l’agence Kingsman. Comment vous êtes-vous arrangé avec l’Histoire ?

On n’a absolument rien modifié. Tout est vrai. C’est d’ailleurs marrant, parce que certains de ceux qui ont vu le film m’ont dit que j’étais allé un peu loin. Que dalle ! Quand ils vérifient sur Google, ils sont sur le cul. L’Histoire est assez géniale en soi, pas la peine de la réinventer. Tout ce que j’ai fait, c’est la regarder sous un autre angle à travers mes personnage­s. Depuis les coulisses, quoi. Ma théorie sur ce qui a causé la

Première Guerre mondiale est aussi valable qu’une autre. En tout cas, personne ne peut réfuter ce que j’ai écrit.

Sur le tournage, vous disiez viser un mélange de L’homme qui voulut être roi et de Lawrence d’Arabie. C’est toujours le cas, plus d’un an après ?

Si je vous parle de L’homme qui voulut être roi, la plupart des gens vont se demander ce que c’est que ce truc. Ce n’est pas mieux avec Lawrence d’Arabie.

Quand même…

Vous et moi on sait, mais putain, je vous jure que la moitié de Hollywood ne pigerait pas ! Vous seriez surpris. Le sous-titre du film était The man who would be Kingsman, ça pose un peu les choses. C’est le film qui s’en rapproche le plus. Pour faire court : si vous n’avez pas aimé Kingsman, il est possible que vous aimiez celui-ci. Et si vous avez aimé Kingsman, alors vous allez adorer ce film. (Rires.) Tout ce que je peux vous promettre, c’est que vous n’allez pas regretter de passer deux heures devant. C’est pas mal, ça, non ?

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Rhys Ifans et Matthew Vaughn sur le tournage
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Ralph Fiennes
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Rhys Ifans

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