Première

des meilleurs making of

- PAR FRÉDÉRIC FOUBERT & GAËL GOLHEN

Le documentai­re sur le tournage d’un film – ou making of – est-il un genre de cinéma à part entière ? Peut-être bien que oui après tout, puisqu’il a ses auteurs stars, ses rétrospect­ives (encore récemment à la Cinémathèq­ue) et ses chefs-d’oeuvre, recensés ici.

20 UNDER PRESSURE : MAKING THE ABYSS

ED W. MARSH, 1993

Si la qualité d’un making of se mesure au degré de dinguerie du tournage qu’il documente, alors on ne pouvait pas faire l’impasse sur celui d’Abyss. Under Pressure… se savoure comme un film d’aventures à la Howard Hawks, où une équipe de profession­nels essaye de garder son flegme tout en frôlant la mort à chaque instant. En bonus, cette intro hilarante de James Cameron, qui s’adresse au spectateur en scaphandre, depuis le fond des océans : « Je vais vous emmener dans un monde froid, sombre, constammen­t sous pression… L’industrie du cinéma. »

19 THAT MOMENT : MAGNOLIA DIARY

MARK RANCE, 2000

Un incroyable instantané de l’état d’esprit de Paul Thomas Anderson au moment du tournage de son troisième film, Magnolia, après le hit Boogie Nights. PTA a alors 29 ans, un charme fou, un ego monstrueux, et s’éclate à piloter son train électrique rutilant, que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter. Il semble fou de joie à l’idée d’exploser le planning de tournage, comme si c’était ce qu’on attendait de lui. Le wonderboy génial et tête à claques est un archétype qui traverse l’histoire du cinéma, de Welles à Dolan, mais il n’a sans doute jamais été examiné aussi minutieuse­ment qu’ici.

18 LE PACTE DES LOUPS  LES ENTRAILLES DE LA BÊTE

PASCAL LAUGIER, 2001

C’était une époque où l’on pensait que la culture DVD allait tout emporter et où la qualité d’un film se jaugeait aussi à ses bonus. Début 2000, pour couvrir le tournage du Pacte des loups, Christophe Gans donne à Pascal Laugier les clés des coulisses. Tout est là : les moments de doute, les idées géniales, l’esprit d’équipe, Samuel Hadida en mogul inspiré… Vingt ans plus tard, le streaming est roi, le DVD est moribond, mais il reste ce témoignage émouvant, où un jeune type rêvant de cinoche observe un réalisateu­r prendre confiance en lui et devenir sous nos yeux un vrai cinéaste.

17 L’ENFER D’HENRI GEORGES CLOUZOT

SERGE BROMBERG & RUXANDRA MEDREA, 2009

Au cinéma, les échecs sont souvent plus fascinants que les réussites – et parfois leur making of aussi. L’Enfer est de ceux-là. À l’aide de quelques bobines et de témoignage­s, Serge Bromberg, Rouletabil­le du cinéma classique, redonne vie au projet fiévreux, délirant et fantasmati­que de H. G. Clouzot. Derrière le récit d’une déroute (technicien­s poussés à bout, gâchis financier, tensions avec les acteurs, cinéaste prisonnier de ses névroses), le film est surtout une fabuleuse enquête sur l’acte créatif vu comme une boucherie glamour, un moment suspendu entre la grâce et le n’importe quoi.

16 JIM & ANDY

CHRIS SMITH, 2017 Milos Forman a beaucoup raconté les excès du tournage de Man on the Moon, son biopic du comique situationn­iste Andy Kaufman, au cours duquel Jim Carrey dansa dangereuse­ment sur la frontière qui sépare la comédie de la folie. Mais on devait croire le cinéaste sur parole. Jusqu’à ce que Chris Smith exhume ces archives miraculeus­es, aussi tordantes que flippantes, qui confirment que l’acteur de The Mask était bel et bien possédé par le fantôme de Kaufman. Universal les avait mises sous scellés à l’époque, de peur que, ouvrons les guillemets, « Jim Carrey passe pour un connard si les gens voient ça ». Il ne passe pas du tout pour un connard, en fait. Il passe pour un génie.

15 LE DOCUMENT DE FANNY ET ALEXANDRE

INGMAR BERGMAN, 1984

Fanny et Alexandre est le film le moins spectacula­ire de la liste. Mais si on y prête attention, alors, comme l’écrit Bergman, « les arcanes, la magie, les efforts spirituels et physiques » apparaisse­nt. En 19 séquences de tournage, sans commentair­e, on perçoit la joie, la mélancolie et l’incroyable maîtrise du Suédois. Comme s’il avait son film en tête, Bergman règle au geste près les chorégraph­ies de sa fresque miniature, dont on ressent l’extraordin­aire puissance intime. « Je reconstrui­s, en détail, des moments de mon enfance, il y a soixante ans. Et c’est une sensation extraordin­aire. » 14 THE PATH TO REDEMPTION

CHARLES DE LAURIZIKA, 2006

Charles de Laurizika, compagnon de route historique de Ridley Scott (on lui doit les making of d’Alien ou de Blade Runner) couvre ici toutes les étapes de la production de Kingdom of Heaven : depuis le projet avorté Tripoli, jusqu’au massacre du film par la Fox en passant par le tournage (avec cette séquence incroyable où Ridley Scott gère calmement son armée d’archers surexcités). Une plongée définitive dans l’esprit d’un cinéaste obsédé par les enjeux civilisati­onnels, qui allait transforme­r un film de chevaliers en une épopée historique métaphysiq­ue.

13 THE BEGINNING : MAKING EPISODE I

JON SHENK, 2001

Les haters de (soit une grande partie de la population mondiale) ont pris l’habitude de regarder cette promenade all- access dans les coulisses de l’épisode 1 de Star Wars comme une sorte de témoignage prémonitoi­re de la catastroph­e à venir. George Lucas se trompant de couleurs dans ses story-boards (« Oups »), se dépréciant constammen­t (« Après cette réunion, je rentre chez moi finir le scénario »), les regards-caméra embarrassé­s de ses collaborat­eurs… Sur YouTube, un commentair­e résume tout : « Comme un épisode de The Office avec George Lucas dans le rôle de Michael Scott. » Pas mieux.

12 FULL TILT BOOGIE

SARAH KELLY, 1997

Le docu le plus feel-good de ce top. Une heure quarante dans les coulisses d’Une

nuit en enfer, au cours desquelles Sarah Kelly saisit l’euphorie du ciné indé US au lendemain du triomphe de Pulp Fiction. George Clooney signe des autographe­s sur les poitrines de ses groupies, Juliette Lewis et Tarantino beuglent au karaoké… Mais les vraies stars, ici, ce sont les anonymes, les sans-grade, toute l’armada de machinos, de cascadeurs, d’assistants, dépeints comme une bande de roadies en tournée. Un shoot de coolitude à ranger sur l’étagère entre Génération rebelle et Presque célèbre.

11 BURDEN OF DREAMS

LES BLANK, 1982

Si Fitzcarral­do est l’Apocalypse Now de Werner Herzog, alors Burden of Dreams est son Aux coeurs des ténèbres : la chronique d’un cinéaste qui se perd dans la jungle en même temps que dans sa création. Mais Herzog est finalement moins aveuglé par sa mégalomani­e que plombé par l’aspect dérisoire de l’entreprise – « Personne ne me convaincra jamais d’être satisfait de cette aventure ». À noter que c’est aussi ici que l’on peut voir des images de Fitzcarral­do avec Jason Robards et Mick Jagger dans les rôles principaux, avant qu’ils n’abandonnen­t le tournage, pour cause de dysenterie pour l’un, et de tournée mondiale des Rolling Stones pour l’autre.

10 THE HAMSTER FACTOR AND OTHER TALES OF TWELVE MONKEYS

KEITH FULTON & LOUIS PEPE, 1996 Les docus sur Terry Gilliam constituen­t un genre en soi. Lost in La Mancha, Getting Gilliam (sur Tideland) ou ce making of de

L’Armée des douze singes dressent le portrait d’un artiste génial dont l’art foutraque révèle la fragilité de ce curieux artisanat qu’est le cinoche. Tous ces films insistent sur la disproport­ion entre les moyens engagés et ces grains de sable qui vont mettre à terre le géant. Si ses projets s’écroulent ou manquent de s’arrêter, c’est à cause d’une tempête (Lost in La Mancha), d’une piqûre d’abeille (Getting Gilliam) ou… d’un hamster. Parce qu’un rongeur refuse de courir dans sa roue, un plan de 10 secondes allait nécessiter plus d’une journée de tournage. Une bonne métaphore de la folie Gilliam.

09 STRIP TEASE LE PARAPLUIE DE CHERBOURG

MANOLO D’ARTHUYS, 2000

« Mais où est-ce qu’il est, ce con de perchman ? » L’émission Strip Tease colle aux basques de Jean-Pierre Mocky, du côté de Cherbourg sur le tournage de La Candide

Madame Duff. Entre deux coups de fil à son banquier, balade à la recherche d’un restau pas trop cher pour l’équipe : « Trois tranches de rosbeef, un hors-d’oeuvre, un fromage, une île flottante, un café, un quart de vin : 58 balles. » Le lendemain, le temps tourne à l’orage entre Mocky et son chef op Edmond Richard, qui ne se laisse pas démonter : « T’as fait 40 films, t’as pas assimilé un minimum de technique… T’es nul ! » Retour au restau : « Vous me garderez les os des côtes de porc pour mon clébard. » Une ode au cinéma-guérilla made in France. Inépuisabl­e.

08 THE MAKING OF THE LORD OF THE RINGS

COSTA BOTES, 2002 Ce fut pendant des années le mètre-étalon des bonus DVD. Une flopée de docs censés assouvir l’obsession des fans du Seigneur des

anneaux, de Jackson, et surtout de Tolkien. Résultat, pour tout voir, vous deviez y consacrer plus de soixante-dix heures. Sans compter le temps passé sur les cartes interactiv­es et les dessins préparatoi­res. Au fond, ce n’est plus du making of mais de l’archéologi­e, qui témoigne à la fois d’une industrie devenue folle et d’un sujet qui rendait obsessionn­els ceux qui s’en approchaie­nt d’un peu trop près. Qui a dit « mon précieux » ?

07 FILMING OTHELLO

ORSON WELLES, 1978

Trente ans après, face caméra, Orson Welles raconte sur un mode dépouillé l’une des aventures les plus folles du 7e art : le tournage de son Othello. Welles joue avec son personnage de démiurge pour livrer une réflexion aiguë sur le montage et l’art de l’acteur. À la fois récit ogresque et subtil essai filmé, le film délivre en outre quelques clés du cinéma wellesien : l’art d’escamoter le monde pour le rendre plus beau sur pellicule, l’empathie folle avec les failles des personnage­s et le bricolage comme science ultime du cinéma.

06 FUCKING KASSOVITZ

FRANÇOIS RÉGIS JEANNE, 2011

« I’m not Orson Welles, I’m not Steven Spielberg. I’m fucking Mathiou Kassovitz », lance Kasso en plein milieu du tournage de

Babylon A. D. Ce qui devait être son grand film américain sera son plus gros échec artistique. Des cascades qui foirent aux prises de tête avec Vin Diesel, tout est parti en vrille. « Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on soit si peu organisés à tous les postes ? À quel moment j’ai foiré ? » Devant l’ampleur des dégâts, il tentera même de se faire virer de son propre film quand la prod à court d’argent lui proposera des Skoda repeintes en guise d’engins futuristes… Au-delà du making of, un document précieux sur les coulisses de l’industrie du divertisse­ment.

05 JODOROWSKY’S DUNE

FRANK PAVICH, 2013 Dune devait être le film du siècle, par son budget et son casting dément, mélangeant Delon, Mick Jagger, Orson Welles, Salvador Dali… Le but était de réaliser une oeuvre qui change les conscience­s et fasse l’effet du LSD. Toute l’histoire de ce film fantasmati­que est racontée ici par le chaman Jodorowsky, son producteur Michel Seydoux et quelques témoins clés, le tout entrecoupé de planches animées du story-board (sublime). Ils font revivre une époque, un mythe et une aventure collective délirante. Sans jamais permettre de savoir si le résultat aurait finalement été à la hauteur du fantasme.

04 10 YEARS WITH HAYAO MIYAZAKI

KAKU ARAKAWA, 2019 C’est un document de quatre heures qui nous plonge dans l’intimité de Miyazaki alors qu’il réalise Ponyo sur la falaise et se lance dans la production du Vent se lève. On y voit un vieux monsieur s’agiter pour mieux tenir à distance la camarde qui guette (et emporte ses anciens complices). On le voit refaire une scène, chercher une image matrice, siphonner l’énergie qui lui manque chez son jeune entourage. Mais les scènes les plus folles sont celles qui racontent la guerre qu’il mène à son propre fils – indigne selon lui d’être réalisateu­r d’animation – et ces moments durs, mélancoliq­ues, où il est tiraillé entre un corps qui lui dit d’arrêter et un esprit qui ne peut fonctionne­r que dans le mouvement.

03 MAKING THE SHINING

VIVIAN KUBRICK, 1980

Stanley Kubrick n’aimait pas beaucoup ces fouineurs de journalist­es, alors c’est à sa fille Vivian qu’il offrit un laissez-passer dans les coulisses de Shining. Nicholson faisant des moulinets avec sa hache et manquant fendre le crâne d’un technicien qui passe par là, Shelley Duvall au bout du rouleau, s’arrachant (littéralem­ent) les cheveux… D’une durée initiale d’une heure, ce document inouï sera ramené à 30 minutes quand Kubrick décidera de l’expurger des séquences qui le montrent sous un trop mauvais jour. Cela dit, il n’a pas l’air spécialeme­nt sympathiqu­e sur celles qui restent… Une certaine idée du film de famille.

02 A. K.

CHRIS MARKER, 1985

« Tous les soirs, nous regardions la télévision, et l’histoire sans mémoire qu’elle déroule s’opposait brutalemen­t à ce qui était notre univers quotidien : les pentes noires du mont Fuji, des personnage­s d’un autre temps, et la présence d’Akira Kurosawa. » Sublime exercice d’admiration de Chris Marker pour son sensei Kurosawa, saisi sur le tournage de Ran, à distance respectueu­se. Une épure poétique fléchée par les contrainte­s météorolog­iques. « Il arrache son film à la matière brute du temps qu’il fait, comme un sculpteur », dit Marker d’A.K. Ou encore : « Il faut imaginer sensei heureux. »

01 AUX COEURS DES TÉNÈBRES L’APOCALYPSE D’UN METTEUR EN SCÈNE

FAX BAHR & GEORGE HICKENLOOP­ER, 1991

Aux coeurs des ténèbres ou, comme Francis Ford Coppola le surnomme dans le commentair­e audio, « Watch Francis suffer » (« Regardez Francis souffrir »). Car, oui, ce documentai­re est tellement célèbre qu’il a carrément eu droit à un commentair­e audio, enregistré par le cinéaste dont il chronique le désarroi… Un traitement royal pour la Rolls des making of, diffusée sur la chaîne américaine Showtime en 1991 avant d’être exploitée en salles, et qui retrace l’un des tournages les plus fous de tous les temps, en mettant de l’ordre dans les images qu’Eleanor Coppola, épouse du génie barbu, avait filmées sur place aux Philippine­s, à la fin des années 70.

C’est peut-être, au-delà de la matière romanesque légendaire que charrie l’aventure Apocalypse Now, ce qui distingue ce making of de tous les autres : la relation intime absolue entre le sujet (Coppola au sommet de sa puissance, de sa folie et de son ambition) et celle qui le regarde, coincée avec lui au milieu du chaos, et dont le destin est également lié à la réussite ou l’échec de ce pari de cinéma démentiel. Eleanor Coppola bénéficia aussi de la formidable capacité de son mari à se donner en spectacle et à exprimer à haute voix ses tourments, ses doutes, ses incertitud­es. « Quand je rentrais le soir en me lamentant, explique celui-ci, j’espérais qu’Eleanor me rassurerai­t en m’affirmant que tout allait bien se passer. Mais en fait, elle disait : “Attends, tu peux redire ça devant la caméra s’il te plaît ?” »

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