Première

Apparences trompeuses

On l’a vu ces derniers temps chez Christophe Honoré, Emmanuel Finkiel et Damien Chazelle. Il est à l’affiche ce mois-ci des Apparences de Marc Fitoussi. Celui qui a triomphé cet été avec son tube Comment est ta peine ? raconte son rapport –ancien– au ci

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il a signé cette année son plus bel album avec Grand Prix, Benjamin Biolay n’en délaisse pas pour autant le cinéma où il a fait ses premiers pas il y a un peu plus de quinze ans. Après avoir évolué devant les caméras d’Agnès Jaoui, Joann Sfar, Olivier Assayas, Sébastien Marnier, Christophe Honoré ou encore Damien Chazelle, il tient

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THIERRY CHEZE le rôle masculin principal des Apparences. Celui du très volage chef d’orchestre français de l’opéra de Vienne dont les aventures extra-conjugales vont l’entraîner dans des méandres dangereux. Dans ce thriller social à la Chabrol, au coeur de la haute bourgeoisi­e des expatriés français à Vienne, il livre une prestation de premier plan, quasi muette, entièremen­t basée sur son pouvoir trouble et troublant de séduction. Entre musique et cinéma, Benjamin Biolay a choisi de ne pas choisir. L’occasion pour Première de revenir sur sa relation avec le 7e art, du gamin spectateur qu’il était au comédien bientôt quinqua qu’il est devenu.

PREMIÈRE : Quel était votre rapport avec le cinéma tout jeune, vous, le fou de musique ?

BENJAMIN BIOLAY :

Avant d’être embarqué dans une vie profession­nelle musicale intense, je regardais au moins deux films par jour. J’ai d’ailleurs vite compris que le cinéma était ma plus grande influence musicale. Dans mes premiers disques, j’envisageai­s mes chansons comme des petits films imaginaire­s. J’aimais autant le cinéma que la musique. Mais le cinéma n’était alors qu’une pure distractio­n. Je ne pensais jamais faire l’acteur.

Vos goûts étaient tous azimuts ?

Mes choix étaient surtout conditionn­és par la présence au générique d’acteurs que j’adorais. J’ai pu me manger des nanars invraisemb­lables à cause de ça. Mais je peux aimer un film juste parce qu’il y a un acteur que j’apprécie dedans. Jack Nicholson, Marcello Mastroiann­i, Pete Postlethwa­ite, qui pour moi était un immense génie, Brad Pitt, Johnny Depp. Sans compter Marilyn Monroe, Montgomery Clift, Katherine Hepburn… J’ai aussi toujours été un grand consommate­ur de musiques de film.

Vous en avez signé vous-même quelques-unes, à commencer par Clara et moi en 2004, alors que votre carrière de chanteur était déjà installée. On vous en avait proposé d’autres avant ?

En effet, et j’avais tout refusé. J’ai dit oui à Julie [Gayet] parce que c’est une amie chère. Elle m’avait appelé pour me dire qu’elle venait de finir un film qu’elle trouvait super, mais avec une musique effroyable, avis que partageait son réalisateu­r. J’ai dit OK et là, j’ai pris du plaisir parce que le réalisateu­r ne savait plus ce qu’il voulait et que j’avais du coup largement carte blanche.

Et avec André Téchiné sur qu’on aimait trop ? On l’imagine mal venir vous dire qu’il est en galère…

L’homme

Non, il m’a envoyé son scénario. Mais quand il m’a montré des images, il avait posé des musiques de Gabriel Yared, donc je ne comprenais pas bien pourquoi il ne le prenait pas, lui ! (Rires.) Je suis un immense admirateur du cinéma de Téchiné, mais cette expérience n’a pas été géniale. Je mets tellement de moi quand je compose une musique que cet exercice-là ne m’intéresse pas vraiment. Je pense d’ailleurs que je n’en ferai plus. Sauf des aventures très précises. Je viens d’ailleurs de signer la BO d’un documentai­re d’André Bonzel, Et j’aime à la fureur. Un film muet où la musique tient un rôle essentiel. Et là, j’ai pu m’éclater !

Votre première apparition au cinéma remonte à 2004 quand Laetitia Masson vous filme à l’Olympia pour Pourquoi (pas) le Brésil. C’était la première fois qu’on vous invitait dans un film ?

Non. Claude Miller me l’avait déjà proposé, mais j’avais refusé de le rencontrer tellement ça me terrorisai­t. Je m’en sentais incapable après avoir lu le scénario. Laetitia, c’était différent puisqu’elle me proposait de me filmer dans mon environnem­ent. Et j’avoue que ça m’a fait un truc d’être dans un film.

C’est pour cela qu’ensuite, vous avez accepté de jouer pour Sylvie Verheyde dans Stella ?

C’est surtout parce que Sylvie a consenti à me donner des cours avant que je me retrouve sur un plateau, alors que j’étais déjà choisi. Elle a été d’une incroyable patience. Ce travail m’a permis de comprendre ce que je savais faire et ce que j’allais vraiment devoir bosser. Je n’étais plus dans l’inconnu.

Vous avez tout de suite pris du plaisir à jouer ?

Non, juste un mélange de peur extrême et de satisfacti­on. Celle de la fin de journée quand je voyais que Sylvie était contente et que je n’avais mis personne en retard. Le plaisir de jouer est vraiment récent. Je ne suis pas un acteur très démonstrat­if, mais je commence à essayer des trucs, à sortir d’une zone de confort naturelle.

Après Stella, vous a-t-on régulièrem­ent proposé des rôles ?

Oui, mais la vie musicale a fait que j’ai dû beaucoup dire non.

La musique reste votre priorité ?

Ça l’était. Je ne sais pas si c’est le cas encore aujourd’hui. En fait, ma priorité va à ce que je fais à l’instant T. Quand je tourne, la musique disparaît de ma vie. Et quand je suis en tournée, j’ai du mal à apprendre les dialogues du prochain film que je dois faire.

Quand on vous voit en concert aujourd’hui, on vous sent incroyable­ment à l’aise par rapport à vos débuts. Jouer la comédie a débloqué des choses en vous ?

Il y a des vases communican­ts, mais je ne saurais pas formuler lesquels. Disons que quand on ose embrasser une fille qu’on ne connaît pas devant une caméra, forcément ça débloque des choses. (Rires.) Par contre, je me suis rendu compte très vite que ça faisait bien moins peur de jouer devant une caméra que de monter sur scène. Parce qu’on peut refaire. Parce que personne ne te regarde ni te juge : sur un plateau, tout le monde est affairé à sa tâche.

Dans les rencontres que vous avez pu faire, quelles ont été les plus marquantes ?

Sylvie et Laetitia, qui m’ont ouvert la voie. Mais aussi Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. Christophe Honoré, Sébastien Marnier, incroyable­ment à l’aise sur le plateau alors qu’Irréprocha­ble était son premier film. C’est le point commun des cinéastes

écrivains : une maîtrise de la structure qui fait qu’ils ne se laissent jamais déborder. J’ai aussi eu la chance de tourner sous la direction d’un maestro, Emmanuel Finkiel, avec La Douleur. J’ai pris une claque quand Damien Chazelle, hyper précis, super rassurant et désarmant de simplicité, a mis en place son plan-séquence de sept minutes sur The Eddy. J’ai aussi adoré tourner avec Marc [Fitoussi], car j’aime les cinéastes protéiform­es dont aucun des films ne ressemble au précédent. Comme ça m’arrive souvent, j’ai pris la place d’un acteur qui s’est désisté. Mais je m’en fous. C’est ça le cinéma !

Récemment, vous avez aussi tourné avec Bruno Dumont (Par un demi-clair matin), un réalisateu­r qui assume une relation pas franchemen­t cordiale avec ses comédiens. Comment l’avezvous vécu ?

C’est une expérience très spéciale. Tu es comme une touche de piano sur lequel il appuie ou non selon ses envies. Mais tu le sais dès le départ. Il ne prend pas en traître. J’ai hâte de voir le résultat car je ne sais absolument pas ce que j’ai fait.

Vous continuez à passer des essais ?

Oui, mais honnêtemen­t, ça me fait chier ! Pas pour le côté concours, car j’en ai fait plein en musique et j’ai l’habitude de m’y préparer pour les réussir. Mais, trop souvent, j’ai l’impression que tout est faux. Il n’y a pas les costumes, on est face à quelqu’un qui tient un caméscope et vous donne mal la réplique… Je trouve normal qu’on hésite à me choisir, mais c’est le contexte de l’exercice qui m’emmerde. J’ai du mal à tout donner, car je n’y crois pas moi-même.

Avez-vous déjà confié à des réalisateu­rs votre envie de travailler avec eux ?

Jamais. J’en ai envie chaque fois que je vois François Ozon, mais je sais que je ne le ferai jamais. Je n’ai pas envie de m’entendre dire que ce n’est pas réciproque. (Rires.) Je suis d’ailleurs certain que si je l’avais fait avec Bruno Dumont, il ne m’aurait jamais pris !

C’est aussi pour ça qu’il faut être pudique et ne pas donner l’impression de forcer la main. Car, une fois sur le plateau, dans le système de pouvoir qui se met en place, je pense qu’on te respecte moins. C’est comme en séduction, tu ne dis pas oui tout de suite…

Mais on vient pourtant vous démarcher comme réalisateu­r d’albums…

Ce n’est pas le même rapport. Réalisateu­r d’albums est un métier très ingrat, car tu fais tout le travail d’un réalisateu­r de film, sauf que ton nom n’est pas sur la pochette. Et quand j’ai envie de faire un duo avec un chanteur que j’admire, je ne le bombarde pas de mails. Je prends soin de passer par son agent pour ne pas le mettre dans la situation gênante de me répondre qu’il n’en a pas envie !

On se dit que la prochaine étape de votre rapport au cinéma pourrait être la réalisatio­n d’un long métrage. Vous avez d’ailleurs tourné un court musical, Office du tourisme pour les Talents Adami en 2014…

Réaliser est presque devenu un besoin. J’espère pouvoir faire un film musical. J’ai même commencé à écrire un début de scénario.

Vous aimez diriger les comédiens ?

Oui, je trouve finalement ça naturel et ça ne vient pas de nulle part : j’ai réalisé plus de 50 albums où j’ai dirigé des chanteurs, des musiciens et des technicien­s. Et je m’inspire aussi de ce que j’ai vécu quand j’ai été moimême dirigé. Ce que je ne supporte pas, c’est qu’on me mime la scène. Mais sur les plateaux, je suis l’oeil de Moscou ! (Rires.)

Marc Fitoussi • Benjamin Biolay, Karin Viard, Lucas Englander… • 1 h 50 • 23 septembre •

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