Première

La Nouvelle Star

Après avoir explosé en 2019 dans la série Watchmen où il incarnait le Docteur Manhattan, Yahya Abdul-Mateen II revient sous les spotlights dans le reboot de Candyman, et tourne actuelleme­nt Matrix 4. Rencontre avec un acteur en «mission».

- Jeu politique

SFRANÇOIS LÉGER on premier fait d’armes à Hollywood aura été de garder son nom complet. On lui a pourtant vigoureuse­ment conseillé de le raccourcir : Yahya Mateen ? Yahya tout court, façon artiste contempora­in ? Plus simple, moins « connoté ». Refus catégoriqu­e de l’intéressé. Ce sera Yahya AbdulMatee­n II ou rien. Dès ses débuts à l’écran en 2016, dans la série The Get Down de Baz Luhrmann, ce grand gaillard – 1,91 m – de 34 ans, au physique athlétique, fait donc un choix politique, affirmant ses origines au sein d’un système peu friand d’aspérités. Cela ne l’arrêtera pas : suivront quelques petits rôles secondaire­s (notamment dans Baywatch et The Greatest Showman), avant une explosion fascinante sur deux petites années (Aquaman, Us, la série Watchmen, Candyman, et bientôt The Trial of the Chicago 7 d’Aaron Sorkin). « J’ai une mission », nous répétera-t-il plusieurs fois durant notre entretien téléphoniq­ue, entre la France et Berlin, où il tourne actuelleme­nt Matrix 4 (« Je ne vous dirai rien làdessus, à part qu’il faudrait être fou pour refuser un film Matrix, et qu’en plus ils ont fait en sorte que ce soit très attractif pour moi. »). Pas question de se contenter d’un message sur Twitter pour dire toute sa peine quand un nouveau Noir se fait abattre par un policier blanc. Son combat contre le racisme, il estime le mener à travers le cinéma. « J’ai la chance d’avoir une voix qui commence à porter un peu, et je suis bien conscient que c’est une opportunit­é énorme. J’estime avoir la responsabi­lité de profiter de ma position privilégié­e pour m’éduquer, et au passage éduquer ceux qui veulent bien me suivre. Pour arriver à rallier les gens et faire changer les mentalités – parce qu’au fond c’est ça mon objectif, ma mission – je me dois d’être audacieux dans le choix de mes rôles. Et avec un peu de chance, trouver ceux qui détricoten­t les idées reçues, analyse-t-il. Chaque interview que je fais, chaque film que je choisis de tourner est un pas de plus vers mon but. Parfois je me plante, je le reconnais. Mais ce sont toujours des risques calculés. Je veux rester aligné avec ma vision du monde. C’est une chose à laquelle je pense et sur laquelle je travaille depuis longtemps maintenant. Ma filmograph­ie n’est pas quelque chose qui me tombe dessus : je suis très stratège quand il s’agit de ma carrière. »

Né à La Nouvelle-Orléans d’un père musulman et d’une mère chrétienne, Abdul-Mateen II est un type pris en étau. Entre deux religions ; entre sa carrière d’acteur tardive et sa première vie d’architecte à San Francisco ; entre sa philosophi­e et la machine hollywoodi­enne. Pas étonnant de le retrouver à l’affiche du reboot/suite de Candyman, film de trouille social et schizophrè­ne, qui traite autant de la lutte des classes et de la gentrifica­tion des quartiers pauvres que d’un racisme systémique ancestral. Il y incarne un peintre friqué, qui emménage dans un immeuble luxueux construit sur les cendres d’une cité insalubre. « En ce moment, c’est très compliqué de sortir un film qui ne soit pas politique, non ? », s’interroge celui qui tient ici son premier rôle principal. « Impossible de faire des contenus qui ne seront pas auscultés sur le terrain de la présence ou de l’absence de corps noirs. Après, tout se joue dans la façon dont vous partagez votre point de vue là-dessus. C’est ce qui va régir la façon dont le film sera vu et analysé. Il y a un

angle social très fort dans Candyman, mais c’est aussi un vrai film d’horreur, qui n’a pas honte de l’être. Un truc multifacet­tes. C’est pour ça que j’aime tant Jordan Peele [le producteur de Candyman, rencontré lors d’une audition pour Get Out], il a compris que le public veut être diverti, mais que ça n’empêche pas de lui envoyer un message fort. »

La méthode éprouvée du cheval de Troie, Yahya AbdulMatee­n II en avait déjà fait la démonstrat­ion magistrale dans Watchmen, sous la direction de Damon Lindelof. La série, presciente à plus d’un titre, se maquillait en comic book movie pour mieux montrer une Amérique gangrenée par le racisme et piégée par son passé, à deux doigts de la guerre civile. Pour rentrer dans la peau du Docteur Manhattan, dieu musculeux à la peau bleue et déconnecté du réel, il a dû laisser tomber tous les artifices. À poil, littéralem­ent. « (Rires.) Je crois que ça a été une série importante, qui a nourri et peut-être même fait avancer la discussion sur l’état de mon pays. Sur un plan plus personnel, c’était une bénédictio­n qu’on m’oblige à racler le fond de ma boîte à outils d’acteur. J’ai pu faire joujou avec des choses assez inédites. Aller vers une interpréta­tion plus physique, parfois même proche de l’immobilité, et me servir de ma voix comme je ne l’ai jamais fait auparavant. » Un jeu épuré qui lui vaut sa première nomination aux Emmy Awards. (À l’heure où vous lirez ces lignes, il est plus que probable qu’il soit déjà reparti avec le trophée.) Une popularité grandissan­te dont l’acteur rejette formelleme­nt l’idée qu’elle pourrait le transforme­r en marionnett­e : « Je commence à comprendre comment fonctionne cette industrie. Il faut faire de la résistance. Ça va vous sembler un peu bateau, mais il y a cette phrase que je me répète comme un mantra : “Connais-toi toi-même”. Le matin, je dois pouvoir me regarder dans le miroir et être toujours raccord avec mes objectifs. Comprendre mes vrais désirs, ce qui fait que je suis moi. Pour que les autres ne finissent pas par me transforme­r en produit. Du moins, que je ne sois pas qu’un produit… C’est compliqué, tout est question d’équilibre. Ce qui m’aide au quotidien à ne pas me faire dévorer, c’est un code moral très ferme et des amitiés fortes en dehors de l’industrie. C’est si facile de perdre pied à Hollywood… »

On passe un coup de fil à Nia DaCosta, qui s’enthousias­me quand on prononce son nom. La cinéaste, qui l’a dirigé dans Candyman et réalisera prochainem­ent Captain Marvel 2, confirme l’image qu’on se fait de lui : « sympa », « généreux », « ouvert » et « super malin ». « Bon, je vais quand même être honnête : au départ, c’est Jordan Peele qui m’a dit de jeter un oeil à ce mec dont je n’avais jamais entendu parler. Je n’étais pas vraiment convaincue, mais j’ai vu Us, et je me suis sentie immédiatem­ent proche de son personnage, alors même qu’il n’était à l’écran que quelques minutes. C’était troublant. J’ai compris après que Yahya a une sorte d’humanité augmentée, un truc qui sonne “vrai” indéfiniss­able, et qu’il apporte un peu malgré lui à chacun de ses personnage­s. »

« Elle vous a dit ça ? », s’étonne-il en réprimant un petit rire. « Je ne sais pas. Sûrement que le fait d’avoir été éduqué entre deux religions m’a permis d’avoir un point de vue plus global que d’autres enfants. C’est un truc

pas être limité dans mes choix par la responsabi­lité de raconter à chaque fois des histoires sur l’oppression des Noirs. D’ailleurs, je ne crois pas que tous les acteurs noirs doivent porter sur leurs épaules la responsabi­lité d’évoquer ces sujets. Chacun fait ce qu’il peut. En ce moment, les scénariste­s sont inspirés par l’histoire et le futur des États-Unis, et plus globalemen­t l’expérience d’être noir dans ce pays. Tant mieux, j’ai eu la chance d’y contribuer et j’en suis extrêmemen­t fier. Mais ça ne m’empêche pas d’être attiré par des tas d’histoires qui n’ont rien à voir avec l’oppression des AfroAméric­ains. Pas question de me vendre, mais dans mon contrat moral, je me donne aussi l’obligation de raconter des histoires qui rendent heureux et qui font rêver. » L’étape d’après Matrix 4 sera plus pragmatiqu­e. « Je veux me trouver un chouette loft et me poser ! J’attends ça depuis trois ou quatre ans, car je n’ai pas arrêté de voyager à travers le monde. J’ai besoin de temps pour me recentrer, recharger les batteries. Avant de repartir en mission », prévient-il le plus sérieuseme­nt du monde. « Je vais m’installer à New York », loin des turpitudes de Los Angeles. « J’aime l’énergie de cette ville et de la côte Est. » Retour à Manhattan, comme de juste.

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