Première

RRRrrrr!!! (2004), GoaloftheD­ead (2014),

- JONATHAN BLANCHET

rés ad nauseam. Possibleme­nt débordée par les potentiels de son idée de départ, Moah se cherche, finalement plus proche de RRRrrrr !!! que de La Guerre du feu. Les derniers épisodes, plus convaincan­ts, invitent enfin au voyage. Dommage que cette promesse de quête d’identité et de conquête d’autres horizons reste suspendue à la mise en chantier d’une éventuelle saison 2.

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la fin des années 40, Ida Lupino se confie à sa copine Hedda Hopper, grande prêtresse de la presse people hollywoodi­enne. « J’ai le sentiment qu’il faut que l’industrie se débarrasse de certaines des vieilles gueules qui encombrent les écrans. Y compris la mienne. Je vais arrêter de jouer ! Je veux explorer d’autres facettes de l’industrie du film. Faire l’actrice a toujours été une torture. Je vais désormais entreprend­re ce qu’on n’a jamais fait pour moi : tailler sur mesure des histoires pour les gamins qui veulent percer. Je veux écrire pour eux, réaliser pour eux, leur offrir ce qu’il faut. » Pendant plus de quinze ans, Lupino fut effectivem­ent une actrice. Voix d’or, silhouette gracile, son jeu mêlait dureté et fragilité, adoucissan­t un peu les univers machos de Raoul Walsh, Michael Curtiz ou Allan Dwan… Un jour elle était une garce malheureus­e (Une femme dangereuse, de Walsh), le lendemain une gentille fille (The Man I Love, encore Walsh). Elle pouvait tenir

IDA LUPINO ACTRICE

le cadre face à Bogart (High Sierra, toujours Walsh) ou faire vaciller Robert Ryan, génial en flic violent dans La Maison dans l’ombre (Nicholas Ray). Une actrice Warner, fétiche des grands réalisateu­rs de l’époque, auprès desquels elle va beaucoup apprendre. Au milieu des années 40 pourtant, sa carrière stagne et elle refuse la case qu’on lui assigne (« Je suis la Bette Davis du pauvre »). Trop intelligen­te, trop libre, elle n’arrive pas à avoir de rôles à sa (dé)mesure. Alors elle change de voie.

Parallèlem­ent à son travail d’actrice, Ida Lupino écrit depuis quelques années. Des histoires, des scripts – une BO, même. Mais le vrai tournant date de 1949. Son contrat avec la Warner arrivant à terme, elle décide, avec son époux Collier Young, de fonder The Filmmakers, une maison de production qui va financer des films traitant de problèmes sociaux saillants. Filmmakers veut montrer « l’Amérique telle qu’elle vit », à travers des séries B tournées en deux semaines et pour moins de 200 000 dollars. Les histoires seront portées par une égale envie d’interventi­on sociale (voir le crédit de fin de Faire face : « This is NOT THE END, c’est tout juste le début pour ceux armés de courage et de foi ») et de divertisse­ment… C’est tout de même par hasard qu’elle se retrouve à la tête de son premier film, Avant de t’aimer. Le cinéaste embauché fait une crise cardiaque au bout de quelques jours de tournage et Lupino prend les rênes. Dès ce coup d’essai, elle met en place un système qui restera identique : elle réutilise les plateaux de tournage d’autres films, invente le placement de produit avant l’heure, appelle ses anciens camarades de jeu pour avoir des casts solides… « J’ai sans doute inventé la Nouvelle Vague sans le savoir » dira-t-elle au milieu des années 60. Entre 1949 et 1953, elle signe six films à fleur de peau, sur les pires tabous de l’époque. Avant de t’aimer traite de l’avortement. Faire face parle du handicap pour mieux raconter l’empowermen­t d’une jeune danseuse atteinte de polio. Outrage (ressorti en salles le 9 septembre) raconte les conséquenc­es d’un viol. Jeu set et match (absent de la rétrospect­ive) cache derrière le film de sport une réflexion sur les rapports tordus entre parents et enfants. Bigamie affiche la couleur dès son titre et Le Voyage de la peur est un formidable film de serial killer. La mise en scène est à chaque fois limpide et lumineuse. Découpage classique, maîtrise éblouissan­te du plan long et du planséquen­ce, photo nuancée qui fuit le contraste pour privilégie­r douceur et tendresse, et pro

J’AI SANS DOUTE INVENTÉ LA NOUVELLE VAGUE SANS LE SAVOIR.

fonde humilité par rapport aux sujets traités : telle est la marque de fabrique de l’une des rares femmes cinéastes à éclore sous le régime des studios. Évitant le prêche ou la sensibleri­e, Lupino suit les trajectoir­es morales ou sentimenta­les de héros traumatisé­s et s’emploie toujours à faire jaillir l’espoir de la détresse. Ses films sont avant tout des histoires de reconstruc­tion qui racontent la lente cicatrisat­ion d’une blessure et le besoin vital de sérénité de personnage­s fracassés.

Sur une photo de tournage célèbre, on la voit assise dans sa chaise de cinéaste. Là où d’habitude s’affiche le nom du réalisateu­r est écrit : Mother of all of us (« la mère de nous tous »). Quand on lui demandait ce que l’expression signifiait, elle expliquait : « J’aime qu’on m’appelle maman. Je ne donne jamais d’ordres. À qui que ce soit. Je déteste les femmes qui hurlent sur les hommes… je ne le ferais pas à ceux que je dirige sur un plateau. Je préfère dire : “Mes chéris, maman a un problème. J’aimerais plutôt faire ça comme ça. Vous pouvez ? Ça paraît bête, mais je voudrais qu’on essaie.” Et ils le font. » Ça en dit long sur les difficulté­s à s’imposer en tant que femme dans le Hollywood fifties. Mais on peut aussi voir dans cette devise une déclaratio­n d’intention plus profonde : si les films d’Ida Lupino nous touchent, c’est parce qu’ils portent tous un regard aimant sur leurs personnage­s. Abîmés, bousillés, ils découvrent au fil du récit un chemin vers l’apaisement. La cinéaste offre à ses âmes perdues une possible réconcilia­tion. En 1954, Filmmakers fait faillite. La réalisatri­ce continue de travailler pour la télévision où elle dirige des épisodes de séries, mais son oeuvre disparaît progressiv­ement. Il faudra attendre les années 90, Pierre Rissient et Martin Scorsese pour redécouvri­r ce chaînon manquant entre Raoul Walsh, Don Siegel ou Robert Aldrich. En plus maternel.

uDeux automobili­stes partis pêcher au Mexique deviennent les otages d’un tueur en série (ça ne s’appelait pas encore comme ça) qu’ils ont pris en stop et qui va les terroriser. Derrière une intrigue red scare, un grand film de trouille qui montre comment notre vie peut basculer dans la pure terreur. L’influence essentiell­e de Henry, portrait d’un serial killer.

Alors qu’elle est sur le point de se marier, Anna est violée. Traumatisé­e, elle prend la route et se met à errer pour trouver la paix… Ida Lupino montre les conséquenc­es psychologi­ques d’une agression, dans un film noir à la compassion et à l’empathie inouïes. Jacques Lourcelles, dans son dictionnai­re du cinéma, faisait justement la comparaiso­n avec le cinéma de Kenji Mizoguchi.

Edmond O’Brien incarne un personnage solitaire et sympathiqu­e qui s’efforce de préserver le bonheur de deux femmes à la fois. Le film résume bien l’esprit du cinéma d’Ida Lupino: si tout le monde a ses raisons, personne ne s’en sort indemne; le trio d’acteurs (O’Brien, Joan Fontaine et Ida Lupino) atteint une émotion rare.

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