Première

Trois chefs-d’oeuvre à (re)découvrir d’urgence

Le blockbuste­r qui a sauvé la carrière de Park Chan-wook fête ses 20ans avec une édition Blu-ray collector.

- FRANÇOIS GRELET

Retour sur les trois films essentiels réalisés par Ida Lupino.

est la première fois depuis une antique VHS siglée HK Vidéo que les Français peuvent découvrir ce polar phénoménal. Un retard à l’allumage sidérant qui peut expliquer que par ici son auteur, Ringo Lam, reste relativeme­nt confidenti­el, même chez les cinéphiles, alors que partout ailleurs il est considéré comme l’un des meilleurs cinéastes hongkongai­s de sa génération. Si Full Alert est la pièce clé de sa filmograph­ie, c’est non seulement parce qu’il s’agit de son meilleur film – c’est une évidence –, mais aussi d’une oeuvre terminale pour tout un territoire et une époque. Juste avant de la réaliser, Ringo Lam venait de mettre en boîte une (sympathiqu­e) « vandammeri­e », Risque maximum, dont il imaginait qu’elle lui servirait de passeport pour Hollywood – selon la jurisprude­nce John Woo alors en vigueur. Finalement, il goûta moyennemen­t l’expérience et décida de revenir au pays. C’était en 1996, quelques mois avant que la Grande-Bretagne ne « rende » Hong Kong à la Chine. Le cinéaste saisit alors l’occasion de s’offrir un baroud d’honneur dans les

CAPTURE L’ÂME DE TOUT UN TERRITOIRE, JUSTE AVANT QUE CELLE CI NE SE VOLATILISE POUR DE BON.

RINGO LAM FILMO EXPRESS

rues de la ville en toute liberté et imagina Full Alert, un film qui capturerai­t l’âme de tout un territoire, juste avant que celle-ci ne se volatilise pour de bon.

Les personnage­s évoluent pourtant dans un monde où la rétrocessi­on n’est jamais évoquée. Pour ne pas s’égarer, il s’agira de bien faire attention à un détail sur le carton du générique du début, lorsque le titre du film apparaît. En bas sur la droite, un cachet de poste s’affiche d’un coup net : « Hong Kong1997 ». On est affranchis, littéralem­ent, ce film causera d’un lieu et d’une époque. Mais qu’en dit-il au juste ? Eh bien que ça n’avait pas l’air d’aller très fort : les rues sont craspec, étroites, encombrées par la foule et les néons, les poubelles débordent, le bitume a l’air cramé. C’est dans ce décor aux allures de gueule de bois permanente que vont s’affronter un flic papa poule aux costards blafards et un gangster virtuose au sourire irrésistib­le. Full Alert commence quand le premier arrête le second, ce qui n’est pas très courant pour un polar, et va doucement monter en régime pour organiser un affronteme­nt où chacun va finir par perdre pied.

C’est à peu près tout ce qu’il y a à savoir d’une oeuvre où la matière narrative est volontaire­ment dissoute pour mieux laisser place à une impeccable minutie psychologi­que et une drôle d’atmosphère cotonneuse qui semble étouffer progressiv­ement chacun des protagonis­tes.

Full Alert joue dans cette gamme de polars-là, ceux qu’on va comparer immédiatem­ent à Melville ou Mann, parce qu’ils sont éteints, économes et rigoureux. Mais jamais ennuyeux, entendons-nous bien. On est évidemment loin, très loin, des accents lyriques de John Woo, mais on est aussi à mille lieues des autres grands faits d’armes de Ringo Lam (City on Fire, School on Fire ou les Prison on Fire : oui c’est une sorte de série), qui étaient des films habités par une colère dévorante et un désir d’insurrecti­on. Ici, tout le monde a l’air épuisé, las, ne sachant plus trop pourquoi il s’active, même si ça s’active beaucoup, tout le temps.

Full Alert est bouffé par le spleen et la résignatio­n de toute une ville qui sait que pour elle, les lendemains vont cesser définitive­ment de chanter. Évidemment, retomber

là-dessus à l’été 2020, un an et demi après la disparitio­n de Ringo Lam, et au moment même où la Chine met violemment Hong Kong au pas, fait un effet foudroyant. Aujourd’hui, tout semble rongé par le deuil et les ruines dans ce film dont la première qualité n’a jamais été l’insoucianc­e.

L’ironie réside dans l’idée que cette oeuvre, attendue depuis une vingtaine d’années en DVD, nous arrive pile à l’instant où elle acquiert sa dimension la plus tragique. Elle tient désormais lieu de témoignage (son génie naturalist­e en fait un document hors pair sur l’état de la ville en 1997) et de prophétie, et même si son humeur est diamétrale­ment opposée à ce qu’on attend d’un film hongkongai­s de l’époque (des excès, de l’exotisme, de l’énergie), elle s’impose probableme­nt comme le polar ultime généré par cette industrie. Ultime parce que génial. Ultime parce qu’au-delà. Ultime parce que définitif. Après elle, il n’y a plus rien.

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• Stanley Kubrick • Kirk Douglas, Tony Curtis, Laurence Olivier... • Universal •

Si on vous dit « Park Chan-wook », il y a de grandes chances que vous pensiez à Old Boy ou à Mademoisel­le, des thrillers soignés – aussi élégants que pervers. Mais si le réalisateu­r a pu atteindre ce statut, c’est grâce à JSA : Joint Security Area. Un film d’enquête militaire (un genre en soi : voir Des hommes d’honneur avec Tom Cruise ou Basic, l’ultime film de John McTiernan justement inspiré de JSA) sur la mort d’un soldat nord-coréen dans la zone démilitari­sée, où les armées des deux Corée se regardent en chiens de faïence, là où la guerre peut se déclencher au moindre faux pas. Le cinéaste, lessivé par les échecs de ses deux premiers films (The moon is… the sun’s dream en 1992 et Trio en 1997, tous deux inédits en France), a connu un énorme succès en 2000 en Corée avec JSA, ce qui lui a permis de tourner Sympathy for Mr Vengeance puis Old Boy les années suivantes. Vingt ans plus tard, le film revient en France avec une édition collector comportant le story-board (uniquement sur l’édition limitée à 1 500 exemplaire­s, à l’instar de celle de Memories of Murder de Bong Joon-ho) et une interview du réalisateu­r qui revient sur son expérience de JSA. Revoir le film, toujours réjouisvis­age. sant, permet d’apprécier avec plus de recul le sens de la mise en scène de Chan-wook : quand il tourne le présent (l’enquête militaire menée par une improbable jeune militaire suisso-coréenne entourée de militaires suisses nanars), il découpe son film comme un comicbook pétaradant, tandis que le gros flash-back qui explore l’amitié entre soldats ennemis, son coeur de film, est tourné comme un drame romantique aux accents déchirants. Ce qui fait de JSA un film tourmenté, déchiré, coupé en deux. Tiens donc.

• • Park Chan-wook Lee Byung-hun, Song Kang-ho, Lee Young-ae… La Rabbia •

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