Première

ZOOM « Full » pas du tout sentimenta­l

Huit mois après la disparitio­n de Kirk Douglas, on fête les 60 ans de Spartacus avec (encore) une nouvelle édition Blu-ray qui permet de revenir sur la genèse compliquée de ce péplum politique. Kirk Douglas est mort, Spartacus vit à jamais !

- FG

Réalisé en 1993, le négatif vulgos et idiot de

Vite, une édition DVD ! est

Ringo Lam n’était pas qu’un esthète racé et bouillonna­nt. C’était aussi un artisan foutraque, parfois cynique, qui mettait son exceptionn­el savoir-faire au service de belles couillonna­des. Ce polar complèteme­nt déviant où Chow Yun-Fat dessoude avec un plaisir jamais dissimulé une associatio­n de malfaiteur­s aux trognes pas possibles en est probableme­nt l’exemple le plus frappant. Un pur précipité de mauvais goût à la violence parfaiteme­nt excessive. On entend dans Full Contact des punchlines du style: «Faire des affaires c’est comme chier: faut que ça se passe en douceur.» On y voit un type attaché à une chaise se faire vider non pas un, mais carrément deux chargeurs d’automatiqu­es en pleine tête, et on se pince devant un climax quasi intégralem­ent filmé du point de vue… des balles. Alors que le leitmotiv de Full Alert, rabâché par tous les flics et les gangsters du film, sera: «c’est très dur de tuer quelqu’un», il n’y a dans ce film réalisé à peine trois ans plus tôt aucune trace de la moindre rigueur morale. Ici, on décanille comme on se vide un godet et plus les méchants souffrent plus on se marre (et on se marre beaucoup devant Full Contact). Le plus troublant reste cependant le soin absolu apporté à la mise en scène, comme si Lam avait choisi de réaliser le plus beau de tous les films cons. Il n’y a plus qu’à attendre que les gens de Spectrum veuillent bien l’éditer en France…

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Kirk Douglas nous a quittés en février dernier, à l’âge de 103 ans. La même année où l’on fête le soixantièm­e anniversai­re de Spartacus, sorti aux États-Unis le 6 octobre 1960. Anniversai­re oblige, on nous propose une nouvelle édition collector (il y en avait déjà eu une en 2015 pour les 55 ans du film, et une avant en 2012 pour célébrer les 100 ans d’Universal, son studio de production). Depuis la version longue restaurée en DVD en 2000 et le premier Blu-ray en 2010, chaque édition complétait petit à petit les supplément­s de la précédente : en 2015, une interview de Kirk Douglas et un reportage sur la restaurati­on du film étaient proposés en bonus, en plus de quelques scènes coupées et d’un bref making of. La grosse nouveauté de cette édition 2020 est son transfert en ultra haute définition. Mais voilà, maintenant, Kirk Douglas n’est plus là, et la sortie de cette édition résonne comme le marbre du tombeau sur l’ombre du sépulcre... Bon, assez de lyrisme en carton-pâte : si vous n’avez pas Spartacus en Blu-ray, foncez, évidemment.

Au fond, qui est l’auteur de Spartacus ? Au départ roman d’aventures populaire signé Howard Fast (proche des communiste­s dans les années 30), puis vanity project de Kirk Douglas qui embauche Dalton Trumbo (sous pseudonyme puisqu’il est sur la liste noire des sympathisa­nts communiste­s à Hollywood) afin d’écrire le scénario, Spartacus devait être réalisé par David Lean (qui a décliné à cause du tournage d’un petit film nommé Lawrence d’Arabie), puis par Anthony Mann, important auteur maison chez Universal, qui a signé la très belle ouverture du film – l’achat puis l’entraîneme­nt du héros à la gladiature – avant de s’engueuler avec Douglas. Ce dernier, producteur du film, parvient à débaucher Stanley Kubrick pour le remplacer, puisque les deux hommes avaient tourné ensemble Les Sentiers de la gloire. Kubrick s’oppose à Douglas et Trumbo, intransige­ants sur le script, mais parvient à ajouter au film la grande scène de la bataille de Silarus alors qu’à l’origine celle-ci n’était que suggérée. La vision de Spartacus va naître de la tension entre Kubrick (qui veut de belles images, en s’inspirant des formaliste­s russes) et le duo Douglas/ Trumbo (qui veut de grandes tirades et un message politique appuyant les esclaves contre les maîtres). Mais le studio aura tout de même le dernier mot, puisqu’Edward Muhl, le patron d’Universal, fait couper les scènes trop triomphale­s pour le héros (le film explique ainsi que toute révolte contre l’ordre établi est vouée à l’échec) et ajoute une touche chrétienne au final (faisant ainsi de Spartacus un véritable précurseur de Jésus). Malgré sa conception chaotique, le film sera un triomphe public, raflera quatre Oscars et donnera les clés de Hollywood à Kubrick.

À la fin, Spartacus, ce « film politique sans politique », cet « essai visuel sur la cruauté et ses origines » (comme l’écrit Hervé Dumont dans L’Antiquité au cinéma), c’est un film de qui ? De Kirk Douglas, de Dalton Trumbo, d’Anthony Mann, de Stanley Kubrick, d’Ed Muhl ? De tous ces hommes à la fois. Sans oublier ces 5 700 figurants, soldats de l’Espagne de Franco engagés pour figurer les légionnair­es du général Crassus massacrés pour de faux dans la région de Madrid. Pour ceux qui avaient oublié que le cinéma est un art collectif.

Bien souvent, lorsqu’ils débarquent dans une pièce, les personnage­s de Jacques Tourneur commencent par éteindre les lumières. Un réflexe qui leur permet de mieux voir ce qui se passe à l’extérieur sans être vu. Le cinéaste peut alors jouer avec les ténèbres : La Féline, Vaudou, La Griffe du passé, Berlin Express ou encore Rendezvous avec la peur forment un corpus nocturne angoissant et angoissé, quasi mystique. Est-ce parce qu’il arrive après une succession de westerns que ce Nightfall, film noir tardif (en 1957, le genre est passé de mode), est d’une clarté létale ? Les diverses menaces qui entourent le héros (Aldo Ray) l’incitent à s’exposer au grand jour, à traverser des territoire­s enneigés (l’action se déroule en grande partie dans les montagnes du Wyoming) où toute dissimulat­ion est impossible. Exit les réflexes expression­nistes, la photo d’une modernité folle est d’une lisibilité renversant­e. Cela n’empêche pas Tourneur d’imaginer des façons de faire surgir la menace du cadre. Le pré-générique en forme d’avertissem­ent esthétique montre ainsi le héros traqué, surpris par les éclairages artificiel­s de la ville qui trompent soudain la nuit. Les fantômes n’ont pas changé de Au côté d’Aldo Ray, il y a la jeune Anne Bancroft (une lumière en soi). En 1 h 18, Tourneur signe un film dense, complexe et électrique. La copie proposée par l’éditeur, d’une beauté exemplaire, rend justice à un travail sur le son magnifique. En bonus, une analyse passionnée de notre confrère Mathieu Macheret. Essentiel.

Tourneur • Brian Keith… •

• Jacques Aldo Ray, Anne Bancroft, Rimini •

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