Première

Joann Sfar

Après un long processus de production qui a duré sept ans, Joann Sfar est de retour avec l’adaptation de sa BD Petit Vampire. L’occasion de faire le point avec lui sur ses expérience­s présentes, passées et futures au cinéma.

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SYLVESTRE PICARD

Joann Sfar revient aux fondamenta­ux : l’adaptation ciné de sa BD Petit Vampire, déjà passée par le petit écran en 2004. Entre un biopic épique récompensé d’un César du meilleur premier film – Gainsbourg (vie héroïque) – , et son exact inverse, un micro polar d’auteur racé passé inaperçu – La Dame dans l’auto avec des lunettes –, Sfar avait déjà cosigné Le Chat du rabbin, d’après une de ses BD best-seller. Surtout, Petit Vampire ambitionne d’être la première pierre d’un projet bien plus vaste, affirmant son réalisateu­r non plus comme un auteur, mais comme le deus ex machina d’un véritable Explicatio­ns volubiles et passionnée­s. et reproduise­nt au mieux. Et puis, sur cette base de décor, je voulais que ça coure dans tous les sens. Comme dans un Disney. J’ai dit aux animateurs de ne pas respecter les personnage­s. Le Chat du rabbin est plus fidèle, d’accord, mais ça bouge moins. Là, il y a des bateaux qui volent, des duels de canon, des combats au sabre, des courses-poursuites. On a complèteme­nt réinventé les personnage­s. On a eu le temps de le faire, la production a duré sept ans. On a pu tenter tous les graphismes, toutes les options...

Pourquoi une durée de production aussi longue ?

Pour mille raisons. Il y a eu une longue hésitation au début : pourquoi ne pas faire Petit Vampire en 3D par ordinateur, aux ÉtatsUnis ? Mais on n’avait pas le budget pour le faire bien. On s’est dit qu’on adorait la 2D, notre tradition… On a repensé les choses. Ensuite, on a eu tout un tas d’aléas financiers qui ont arrêté le projet. J’ai été sauvé par le producteur Aton Soumache, qui a relancé la production via une nouvelle société, Magical Society, et on a pu finir le film. Du coup, on va faire plein d’autres longs métrages et séries dans le même univers. Cela dit, Le Chat du rabbin a passé six ans en production. Vous voyez, ça rend fou, parfois. Moi qui ai l’habitude de faire des BD assez vite. J’ai l’impression d’être devenu un vieux machin…

Vous qui produisez beaucoup et très vite, cela vous convient de faire du cinéma ?

Si je n’avais pas les BD et les livres, je deviendrai­s complèteme­nt dingo. Je les fais tout seul, mais les films, je les écris avec quelqu’un d’autre. Je n’y arrive pas sinon.

Pourquoi ?

Parce qu’un film, ce n’est pas seulement des idées et des dialogues, c’est aussi du rythme et le rythme, ça s’écrit mieux à deux. Il faut être dans un dialogue permanent, rebondir sans cesse. À chaque fois que j’ai écrit

un scénario seul, ça a donné un roman. Le premier jet du script de Gainsbourg faisait 315 pages. Je ne savais pas qu’un scénario devait faire 100 pages. (Rires.) Ça me plaît au cinéma que ce soit long, laborieux, collectif… Et avec de vrais acteurs. Le plaisir de tourner un film en live action est immédiat. Le plaisir, dans le cinéma d’animation, vient seulement à la sortie du film. Quand on change quelque chose, ça prend des mois avant de voir le résultat.

Vous avez d’ailleurs utilisé de vrais acteurs pour Petit Vampire.

Oui, mais pas pour de la motion capture. On a utilisé une technique classique, comme chez Disney : on filmait de vrais comédiens avec des mini DV pourries ou à l’iPhone, ça donnait des références aux animateurs pour les mouvements. Walt Disney disait : il faut toujours « silhouette­r » ses personnage­s, si vous clignez des yeux et que vous comprenez ce que le personnage fait, c’est gagné.

Petit Vampire illustre bien votre refus de schémas narratifs classiques, de désir de liberté dans l’histoire…

Oui, je crois que la structure classique – le héros a un défi à accomplir, et tous les autres personnage­s sont ses outils – ne marche plus. On a bouffé trop de séries, de récits très longs. On a besoin de sentir que tous les personnage­s ont une vraie vie, une vraie importance. On est en train d’écrire les nouveaux albums de Donjon [la série de BD créée par Sfar et Lewis Trondheim] : on faisait une histoire plus structurée, mais on a préféré suivre notre instinct – on veut être aussi crédules que notre lecteur, et laisser les personnage­s s’exprimer. Ils peuvent être plus intelligen­ts que moi.

Mais ce désir de surprise et de liberté ne va-t-il pas à l’encontre de l’idée de créer un cinematic universe ?

Moi, en tout cas, je l’ai toujours fait. Toutes mes BD sont situées dans le même univers – après tout, ça sort de ma tête. Certains peuvent construire ce genre d’univers comme des architecte­s, moi non. Plutôt comme un jardinier. Chaque personnage est une petite plante que je fais pousser. Est-ce que le monde médiéval de L’Ancien Temps n’est pas le même que celui de Grand Vampire ? En octobre, je lance un financemen­t participat­if pour un jeu de rôles – ma passion – nommé Monstres, qui permettra d’unifier tout ça. Chercher des correspond­ances n’empêchera pas de construire des récits dans des styles différents ; certains pour enfants, d’autres absolument abominable­s pour les adultes, d’autres plus patrimonia­les sur les grands peintres… Quand j’ai découvert les contes pour adultes de Roald Dahl, j’ai été fasciné : le type qui a écrit toutes les histoires de mon enfance faisait aussi dans le grossier et la violence ? J’adore.

Qu’est-ce que vous avez retenu du cinéma en live action ?

J’ai appris qu’être sur un plateau était ce qui m’amusait le plus. La joie d’être avec les acteurs, les musiciens, les effets spéciaux… Mes films sont toujours avec des monstres, c’est dur à produire, alors si ça traîne trop, je fais une BD ou un roman à la place.

Avec Gainsbourg (vie héroïque), on sentait que vous aviez envie de dynamiter le biopic à la française…

Oh non. Je ne connaissai­s même pas ce mot, « biopic ». Moi je voulais faire une comédie musicale avec des monstres, tout en rendant hommage à un mec que j’admirais. Après, c’est bizarre, Gainsbourg a marché, mais ça a fait peur à des gens qui pensaient que je ne savais faire que des films chers et compliqués. Il a fallu du temps pour m’apercevoir qu’ils avaient raison. (Rires.) Ça ne m’intéresse pas de faire un film simple, sans monstres et sans effets...

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