Première

Camélia Jordana

Après La Nuit venue et Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, elle poursuit sa riche année cinématogr­aphique sur le terrain de la comédie romantique avec Parents d’élèves. L’occasion de faire le point sur l’évolution de son rapport au cinéma et de l

- PAR THIERRY CHEZE

J’AI ENFIN INTÉGRÉ LE FAIT QU’ON EST LÉGITIME À FAIRE DES CHOSES À PARTIR DU MOMENT OÙ ON A DU DÉSIR POUR LES FAIRE.

PREMIÈRE : On vous voit rarement dans des comédies. Quel rapport entretenez-vous avec ce genre ?

CAMÉLIA JORDANA : Pour moi la comédie est un genre très important, mais comme spectatric­e, j’avoue être rarement emballée par ce que le cinéma français propose dans ce domaine. Pour autant, j’ai envie d’en faire, d’appartenir à cette famille-là. C’est important pour les idées que j’ai envie de faire passer, car ce sont des films vus par beaucoup de monde.

Vous en recevez beaucoup ?

Oui, pas mal. Mais contrairem­ent à la lecture d’un drame où je me dis que ses petites faiblesses pourront être colmatées par la force du sujet, le couperet tombe immédiatem­ent pour une comédie. Je ris ou je ne ris pas. Si au bout de dix pages, rien ne s’est produit, ce n’est pas la peine d’insister.

J’en déduis donc que vous avez ri dès les premières pages de Parents d’élèves ?

Oui, mais avant la lecture, le déclic est venu de ma rencontre avec Noémie [Saglio, la réalisatri­ce] avec laquelle ça a tout de suite matché, et de la présence au casting de Vincent Dedienne pour qui j’ai énormément d’affection et d’estime. La lecture du scénario n’a fait que confirmer ces premières impression­s.

On parle souvent de l’effet César. Les choses ont concrèteme­nt changé pour vous après votre statuette pour Le Brio ?

Ce film a vraiment été décisif. Mais en deux temps. D’abord, lorsque je suis choisie par Yvan [Attal]. Dès que la nouvelle est connue, je sens que je suis vraiment prise au sérieux par l’industrie. Car si Yvan Attal vous considère, vous êtes considérab­le ! J’ai donc reçu avant même le premier jour de tournage du Brio énormément de scénarios. Puis, après le César, j’en ai reçu une nouvelle salve. Mais les choses avaient changé. Il ne s’agissait plus uniquement de rôles de femmes arabes. Car dans la foulée des attentats du Bataclan, on ne me proposait que des histoires de femmes en burqa, de femmes torturées, de femmes allant faire le jihad… Certains de ces scénarios étaient très beaux. Mais déjà que je ne savais pas comment m’échapper de ce tas de pus en tant que citoyenne, je ne me voyais absolument pas passer des mois sur des sujets aussi graves et des rôles aussi tragiques. L’appel d’air qui a suivi le César m’a fait un bien fou.

À l’écran, au fil des rôles, graves ou plus légers comme dans Parents

d’élèves, on a le sentiment que vous vous êtes libérée dans votre jeu. Vous le vivez aussi comme ça ?

Oui, parce que j’ai moins peur. Et là encore, je le dois au César. Avant ça, j’étais la fille de la musique qui faisait du cinéma. Mais ce prix m’a donné une légitimité dans mon travail de comédienne. Avant, c’était comme si je m’excusais d’être là et je n’osais rien tenter. Depuis, je me sens plus libre de faire des propositio­ns et d’échanger avec le metteur en scène, de construire avec lui le personnage.

Entre musique et cinéma, y a-t-il chez vous une priorité ?

Non, car les deux m’apportent des choses extrêmemen­t différente­s. Dans la chanson, j’ai la chance d’être devenue ma propre productric­e, je raconte à travers mes textes et ma musique ce que j’ai besoin de raconter : ce qui me permet de survivre ! Alors qu’au cinéma, je défends certes des rôles, mais au service du projet de quelqu’un d’autre.

Vous n’avez pas envie du coup de raconter aussi vos propres histoires au cinéma ?

J’ai eu la chance de m’essayer à la réalisatio­n dans le cadre des Talents Cannes ADAMI qu’on présentera sur la Croisette l’année prochaine. J’avais déjà dirigé des gens sur des clips et ça n’a fait que confirmer mon désir de passer au format long. J’ai d’ailleurs un projet de film que je coécris avec la scénariste de mes rêves, Raphaëlle Desplechin.

Vous regardez les films différemme­nt depuis que vous savez que vous allez réaliser ?

Non, parce que j’avais déjà ce pli-là depuis un petit moment. Quand on n’a pas fait d’études de cinéma, on fait son apprentiss­age à travers des films et des échanges avec des connaisseu­rs de l’histoire du cinéma. Chez moi, ça a débuté vers 20 ans. J’ai commencé à aller voir quatre films par semaine.

Quels sont ceux qui vous frappent particuliè­rement à cette période ?

Spontanéme­nt, je citerais les films de Kim Jong-hoon, Bong Joon-ho, Claire Denis,

David Cronenberg et Marco Bellocchio. Je me suis pris Des poings dans les poches en pleine figure pendant le confinemen­t et je ne m’en suis toujours pas remise… J’adore aussi le cinéma français des années 70, mais je dois avouer que mon engagement aujourd’hui est tel que j’ai du mal à regarder certains films, même si je les adore. À cause du traitement réservé aux femmes notamment. Même Nous ne vieilliron­s pas ensemble de Pialat. À mes yeux, l’époque où il a été tourné l’emporte sur le film.

Vos engagement­s dans la vie impactent vos choix de comédienne ?

Oui, mais sans y penser. Parce que c’est en moi. Parce que c’est la manière dont je vis. Mais, je joue aussi des personnage­s qui font des choses que je déteste dans la « vraie » vie !

Par exemple ?

La jeune femme des Choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Tout ce qu’elle fait à l’écran est à mille lieues de la femme que je suis. Son comporteme­nt, sa manière de s’exprimer vont au-delà de l’archaïque pour moi. Et je ne parle même pas de la raison pour laquelle elle choisit de donner son corps à un homme. Juste parce qu’il est gentil ! Cela ne m’était jamais arrivé de n’avoir aucun atome crochu avec un personnage et d’être à ce point dans le lâcher-prise. Mais cela fait partie intégrante de mon boulot de comédienne. En plus, à l’arrivée, je trouve le film très réussi… même si ça ne sera jamais ma pote. (Rires.)

Est-ce que votre interventi­on sur les violences policières dans l’émission On n’est pas couché a eu un impact sur votre métier d’actrice, à l’image de ce directeur de casting qui avait appelé au boycott d’Adèle Haenel…

Le propre d’une prise de parole est de susciter actions et réactions. Certains vont dans votre sens. D’autres non. C’est parfaiteme­nt logique. Et cela permet de faire sortir des gens du bois, de les obliger à se positionne­r plutôt que de rester planqué derrière des non-dits à terme mortifères. Réagir, c’est débattre, c’est situer et nommer les problèmes sans quoi on ne trouvera jamais de solution. Et puis ça éclaire les choses. Pour les autres par rapport à moi et pour moi par rapport aux autres.

Vous avez déjà écrit à un cinéaste pour lui dire votre envie de travailler avec lui ?

C’est drôle que vous me posiez cette question. Car j’ai commencé à écrire des lettres pendant le confinemen­t. C’est mon projet de cette année. M’en faire parler va m’obliger à aller au bout. Cela fait trois ans que j’ai cette idée en tête. Et j’ai enfin intégré le fait qu’on est légitime à faire des choses à partir du moment où on a du désir pour les faire. Donc quand on se reverra, je vous dirai si ça a marché…

PARENTS D ’ ÉLÈVES

De Noémie Saglio • Avec Camélia Jordana, Vincent Dedienne, Alix Poisson…. • Sortie 14octobre • Durée 1 h 29 • Critique page 91

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