Première

Umami de Slony Sow

En exclusivit­é, Première a été témoin des retrouvail­les entre Gérard Depardieu et Pierre Richard quarante ans après La Chèvre, sur Umami, le premier long métrage de Slony Sow.

- PAR SOPHIE BENAMON

Aujourd’hui, Gérard Depardieu vient d’avoir une crise cardiaque. À l’hôpital de Thouars, à quelques encablures de Saumur, une chambre lui est réservée. Personne n’aime les hôpitaux, Depardieu encore moins. Surtout si on l’oblige, lui, le fauve sans cesse en mouvement, à s’allonger presque immobile, sur un lit d’hôpital. Alors, il grogne. Mais c’est ainsi que débute Umami, un premier long métrage franco-japonais signé Slony Sow, et voilà le destin de son personnage, Gabriel, un des plus puissants chefs de l’histoire de la grande cuisine. « Le jour où il est récompensé par une troisième étoile, explique le réalisateu­r entre deux prises, tout fout le camp : la santé, la famille. Toutes ses erreurs, tous ses excès se présentent à lui en l’espace de cinq minutes. À partir de là, il doit trouver un nouveau moteur dans sa vie et partir en quête d’un vieux rêve : découvrir la cinquième saveur du palais, que les Japonais appellent “umami”. »

Alchimie retrouvée

Ce projet et ce rôle, Slony Sow les a écrits sur mesure pour Gérard Depardieu : « Gabriel est un personnage très pudique qui a des zones d’ombre, il commence l’histoire avec le sentiment d’avoir raté sa vie malgré une époustoufl­ante réussite. » Umami est produit par Lucas Oliver-Frost, un Australien installé au Japon, avec le Français JeanMauric­e Belayche. C’est grâce à ce dernier que le jeune cinéaste avait approché Depardieu voilà dix ans pour un court métrage, Grenouille d’hiver. À sa grande surprise, le comédien avait accepté et même proposé son château de Tigné comme décor. Le tournage d’Umami a débuté l’hiver dernier sur l’île d’Hokkaido. L’expérience a marqué Depardieu. Mais, en cette fin de juin nimbée de douceur angevine, c’est en France que les prises de vues se poursuiven­t. Et dans cet hôpital désaffecté, qui sert aux équipes de cinéma à défaut d’être occupé par des patients, notre monstre sacré national a rendez-vous avec une autre légende : son complice des comédies de Francis Veber, Pierre Richard. « Pierrot !», tempête affectueus­ement le colosse, en accueillan­t son partenaire. Ils ont mille choses à se dire… Autour d’eux, l’équipe masquée – crise

sanitaire oblige, quotidienn­ement, le référent COVID prend la températur­e de tous – se prépare à immortalis­er leurs retrouvail­les autant que la complicité des deux vieux compères. Casquette sur la tête et bourriche d’huîtres en mains, Pierre Richard interprète Rufus, le vieil ami de Gabriel, un ostréicult­eur bon vivant et optimiste, qui va l’aider dans un premier temps à éviter la nourriture exécrable de l’hôpital. « Avec Gérard, il y a une alchimie, explique Pierre Richard. Pendant la scène, avant la scène, et dans la vie même. Le fait d’être tous les deux, ça nous enflammait comme si quelqu’un mettait une bouteille d’alcool dans une cheminée qui ronronne. Je n’ai jamais retrouvé ça avec d’autres partenaire­s. » « Je suis heureux de le retrouver, renchérit Depardieu. Il n’a absolument pas changé. Je suis très admiratif de ce qu’il est humainemen­t. »

Sitôt ressuscité par le parfum des huîtres et les blagues de son camarade de plateau,

Depardieu s’extirpe de sa chambre. Ce que paie son personnage, c’est aussi sa négligence envers les siens, qui a poussé sa femme (Sandrine Bonnaire) à prendre pour amant un critique gastronomi­que. Sa relation avec ses fils Jean (Bastien Bouillon) et Nino (Rod Paradot) est pétrie de malentendu­s. Tous les trois sont là, au chevet de leur père et mari. Lumineuse et gaie, Sandrine Bonnaire avoue : « C’est simple de tourner avec Gérard, il a tout compris du métier d’acteur, il a une vraie liberté et tire la scène vers le haut. » Sur le plateau – une chambre de réanimatio­n – la comédienne serre fort le torse puissant de son partenaire et y met une gravité déconcerta­nte. « Sandrine est tellement habitée, elle a tellement de profondeur dans le regard. Elle me bouleverse », chuchote Slony, l’oeil rivé sur le moniteur. Derrière ce couple, il y a aussi une histoire de cinéma et c’est la raison pour laquelle Sandrine Bonnaire a accepté le film. « On a en mémoire Pialat. Nos retrouvail­les sont plutôt chouettes parce qu’on a gardé un lien assez simple même si Gérard s’est isolé. »

Changement de décor : une maison au bord de la route qui mène à Tigné, mi-garage, mi-brocante, le repaire d’une sommité de la région, Mich’to, collection­neur fou et patron de cabaret. Une adresse de Depardieu. C’est dans ce bric-à-brac organisé que Rufus reçoit son ami en crise et tente par l’hypnose de le sauver. Un (vrai) feu est allumé dans la cheminée, les bougies fondent sur la table basse. Après un déjeuner complice, Depardieu et Richard se donnent la réplique en brassant leurs souvenirs « vébériens ». « Avec le temps, nos rôles se sont inversés, analyse Pierre Richard. J’ai fini par poser les pieds par terre et lui, on ne sait plus trop bien où il est. »

En confiance, Depardieu improvise à la fin de la scène sur Alexandrie Alexandra de Claude François. Le moment reste en suspens. Toute l’équipe éclate de rire. Être aux côtés de Pierre Richard l’apaise un peu : « À son âge, il est toujours tourné vers l’avenir. » Le comédien de 85 ans confie sa recette : « Je ne suis jamais aussi heureux que lorsque je tourne. Un film pour moi, c’est comme une cure de thalassoth­érapie : je commence fatigué et je finis en pleine forme. » À coup sûr, Pierre Richard a trouvé la saveur mystère de la vie.

uSlony Sow • Gérard Depardieu, Pierre Richard, Sandrine Bonnaire…

• indétermin­ée

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