Première - Hors-série

TWIN FREAKS

La première « hallu » de Twin Peaks – The Return, c’est lui. Kyle MacLachlan « augmenté », démultipli­é, conjuguant désormais le rôle de sa vie au pluriel. Rencontre avec l’agent de plus en plus spécial Dale Cooper.

- PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

Lui aussi aura passé un quart de siècle dans les limbes. Pas dans l’enfer de la Black Lodge mais dans une sorte de purgatoire télé, promenant sa silhouette de gentleman zinzin, de play-boy désaxé, dans Sex and the City, Desperate Housewives, How I Met Your Mother... Après une décennie folle (Dune, Blue Velvet, Twin Peaks, Twin Peaks – Fire Walk With Me), Kyle MacLachlan avait cédé à d’autres (Bill Pullman dans Lost Highway, Justin Theroux dans Mulholland Drive) son emploi fétiche de jeune premier lynchien. Mais aujourd’hui, à la table de Twin Peaks – The Return, où le Maître a convié la plupart des compagnons de route de son oeuvre (Laura Dern, Catherine E. Coulson, Robert Forster, Harry Dean Stanton), il trône en majesté. À la place qui lui revient de droit. Le regard fixé vers l’horizon, la mèche impeccable et le menton en avant, il décrypte ici la réinventio­n magnifique que vient de lui offrir son pygmalion.

PREMIÈRE : La dernière fois qu’on s’est croisés, vous étiez en tournée promo pour Desperate Housewives. KYLE MACLACHLAN : Oui, c’était quand, déjà ? 2007, 2008 ?

Dans ces eaux-là. Et vous m’aviez dit que vous réfléchiss­iez avec David Lynch à ressuscite­r Twin Peaks, sous forme de webisodes... En fait, durant toutes ces années, la conversati­on sur la série n’a jamais cessé entre vous ? Oui et non. Pour vous dire la vérité, c’est surtout moi qui en parlais! (Rire.) David n’était pas très réceptif, il ne voyait pas trop l’intérêt de repartir là-bas. Mais c’était le début des réseaux sociaux, et j’observais les fans de la série prendre la parole, en discuter, se fédérer. Grâce à Internet, je prenais conscience qu’on avait encore un public.

Et vous essayiez de convaincre David Lynch de replonger ?

Non, non, je ne ferais jamais ça ! Je n’essayerais jamais de lui forcer la main. Je disais juste : « Que se passerait-il si on y retournait ? À quoi ça pourrait ressembler ? » Mais il rechignait, son attention était ailleurs. Disons que ce n’était qu’une tentative de réminiscen­ce, une introducti­on à ce come-back qui nous occupe aujourd’hui. Ce n’est que lorsque j’ai reçu ce fameux coup de fil que tout a recommencé pour de bon. David m’a appelé : « J’ai quelque chose d’important à te dire. Mais nous ne pouvons pas en parler au téléphone. » Je l’ai rejoint à son hôtel, à New York, et il m’a expliqué que lui et Mark (Frost) couchaient des idées sur le papier pour un nouveau Twin Peaks. Ils avaient besoin de savoir si ça pouvait m’intéresser.

Et vous avez dit oui…

Bien sûr ! Tout de suite. D’une certaine manière, je n’avais jamais quitté Twin Peaks.

Pourtant, à l’époque, au moment de la saison 2, vous aviez l’air pressé d’en finir, de tourner la page…

C’est vrai. Je crois que toute l’équipe est d’accord pour dire que la série a déraillé. Une fois le mystère résolu, une fois l’identité de l’assassin de Laura Palmer révélé, on n’avait plus nulle part où aller. Les fondations

n’étaient pas assez solides. Il y avait de la tristesse au sein de la troupe, on avait tous le sentiment que c’était une occasion gâchée. Mais le temps passe et, plutôt que de retenir les errements de la saison 2, les gens ont préféré se souvenir du brio du show, de l’impact profond qu’il a eu sur la télévision. C’était toujours là, vivace.

Dans les années 80, vous étiez l’alter ego de David Lynch. Est-ce encore le cas dans ce nouveau Twin Peaks ?

Je suis très certaineme­nt un messager. Mais je ne crois pas que le processus créatif de David Lynch implique que ce soit lui à l’écran. Il a en tête une idée, une histoire, et il invente des personnage­s pour raconter cette histoire. Parfois, pour telle ou telle raison, je correspond­s à l’un d’entre eux, alors il fait appel à moi. Ce n’est pas toujours le cas. Comme vous l’avez remarqué, je ne joue pas dans tous ses films. Sauf que là, avec Twin Peaks, il n’avait pas le choix ! (Rire.) Les rôles qu’il m’a confiés dans cette nouvelle saison, que ce soit Dougie ou le doppelgäng­er Mister C., sont très éloignés de Jeffrey (son personnage de « Blue Velvet ») et Dale Cooper. Mr C. est une pure figure maléfique, un être totalement dépourvu d’humanité, un requin. Je n’avais jamais joué ça. Quand j’ai lu le script, j’étais bouleversé. Que David fasse à ce point confiance à mes capacités d’acteur, qu’il écrive ces choses incroyable­s et estime que je peux les incarner... Wow! Quand un réalisateu­r vous fait confiance à ce point, c’est précieux. A heavy thing.

Il vous a toujours fait une confiance folle, non ? Dès Dune, votre premier film, vous vous retrouvez en tête d’affiche d’une superprodu­ction…

Oui, on s’est tout de suite bien entendus. On a fait connaissan­ce par la magie d’une cassette vidéo. J’avais enregistré cette audition pour le rôle de Paul Atréides. Il a été séduit, et m’a donné rendez-vous dans un bungalow au fin fond des studios Universal. On a parlé de tout sauf de Dune ce jour-là. Il s’intéressai­t surtout au fait que je vienne du nord-ouest des États-Unis, comme lui. On a parlé de nos enfances assez semblables, de ce que ça fait de grandir dans des petites villes au milieu de nulle part. On parle de Dougie ? C’est une figure inédite dans la cosmogonie de Lynch. À part peut-être…

... Jack Nance dans Eraserhead ! J’y ai pensé, bien sûr. On pourrait tracer des parallèles entre eux deux. J’avais aussi en tête le Peter Sellers de Bienvenue Mister Chance. Mais Dougie est unique. Il est comme un enfant.

C’est ainsi que vous l’avez envisagé ? Comme un enfant ? Parce qu’il y a aussi du vieillard en lui…

C’est vrai, Dougie traîne les pieds comme un papy! Mais l’idée fondamenta­le, c’est que le monde est nouveau pour lui, il veut comprendre comment fonctionne­nt les choses. Vous vous souvenez du plaisir que prenait Dale Cooper à regarder les arbres,

à respirer l’air pur, à boire du café ? C’est le même plaisir ici, la même joie, mais en plus enfantin encore.

Dougie est l’incarnatio­n ultime de la radicalité de Twin Peaks

– The Return. Jusqu’au malaise…

Oui, c’est un peu dérangeant de voir un homme de mon âge faire ce genre de choses, n’est-ce pas ? Le plus compliqué, c’était la gestion du temps. Dougie, donc, part à la découverte du monde. Et cela ne se fait pas du jour au lendemain! Mon réflexe en tant qu’acteur, c’était d’accélérer la cadence, pour ne pas ennuyer le monde. Mais David me disait de ralentir, ralentir, ralentir encore, jusqu’à trouver la durée exacte. Et hop, tout à coup, il m’interrompa­it! « Stop ! Là, c’est trop lent! » (Rire.)

« D’UNE CER TAINE MA NIÈRE, JE N’AVAIS JAMAIS QUITTÉ TWIN PEA KS. » KYLE MACLACHLAN

On a beaucoup joué sur la durée des scènes. C’était à la fois complexe et très libérateur. Mais je n’étais pas inquiet, parce que je savais que David, au montage, ferait en sorte que ça fonctionne.

J’ai une question type « Beatles ou Stones » rien que pour vous : plutôt Cary Grant ou James Stewart? Hum ! Well... Je dois dire que Cary Grant est assez génial. Vous savez que j’ai joué « l’esprit de Cary Grant » ? Dans le film Un soupçon de rose (2004). C’était chouette, parce que le travail de recherche consistait à revoir tous ses films! Et j’ai compris qu’au-delà des classiques que tout le monde connaît, La Main au collet ou La Mort aux trousses, il a aussi tourné plein de choses oubliées, ratées ou qui n’ont eu aucun succès. Quelque part, c’est rassurant de se dire que même Cary Grant n’était pas parfait.

Je vous pose la question, parce que vous avez un air de famille évident avec Cary Grant, Audrey Horne comparait même Dale Cooper à lui dans un épisode de Twin Peaks.

Mais les héros que vous incarnez chez Lynch depuis Blue Velvet sont tous modelés sur le James Stewart de Vertigo : le boy-scout qui s’aventure dans des mondes pervers…

Ce que j’aime le plus chez Jimmy Stewart, ce sont ses rôles tardifs. Quand il paraît moins sûr de lui, qu’il a les yeux dans le vague. Au début, sur Blue Velvet, j’étais jeune, j’avais quoi ? 25 ou 26 ans. J’avais cette qualité à la Cary Grant, ce côté sémillant. Mais là, en enfilant à nouveau le costume de Dale Cooper, en revenant dans la Black Lodge, j’ai senti le passage du temps, le poids des années, quelque chose de plus flou mais aussi une forme de sagesse nouvelle. Je ne sais pas, il faudrait que j’y réfléchiss­e... Peut-être que je deviens moins Cary Grant et plus Jimmy Stewart en vieillissa­nt !

Dès le premier épisode, on a compris que ce n’était pas tant le come-back de Twin Peaks qu’on célébrait que celui de David Lynch. La radicalité, la violence, les visions… C’est comme s’il s’était retenu pendant les dix années qui ont suivi Inland Empire. Vous avez ressenti cet appétit, ce manque ? Bonne question. La raison principale de mon admiration pour David, c’est l’engagement total qu’il met dans son art. Il ne fait aucun compromis, jamais. Il est capable de tout interrompr­e si quelque chose l’empêche d’accomplir ce qu’il a en tête. C’est extraordin­aire. Moi, je suis du genre à dire : « Oh, pas grave, avançons, on verra plus tard. » Mais pas David. Parce qu’il sait précisémen­t ce qui fonctionne dans son univers ou pas. Et cette exigence a toujours été là, déjà à l’époque de Dune et de Blue Velvet. Quant à la violence dont vous parlez, je trouve qu’elle était très présente dans ses oeuvres d’art des dernières années. Dans ses tableaux, ses photos, toutes ces images traversées de pulsions mauvaises... Pour moi, le nouveau Twin Peaks, c’est ça : ses toiles en mouvement. Mises en branle par un art du récit plus assuré que jamais. David a toujours su ce qu’il faisait, mais là, je le trouve très fort. Il est au son sommet de son savoir-faire.

Entre les clins d’oeil à sa filmo et les dédicaces aux compagnons de route disparus, difficile de ne pas voir ce nouveau Twin Peaks comme un chant du cygne…

Je ne sais pas. David me surprend toujours, je ne préfère pas m’avancer ! C’est un artiste, vous savez, il ne va pas s’arrêter de créer du jour au lendemain. Je me pose plutôt la question de savoir quelle forme ça prendra. Je préférerai­s que ce soit pour le cinéma ou la télé, mais qui sait ?

De quoi parlez-vous quand vous passez du temps ensemble ? J’imagine que vous ne le pressez pas de questions sur la significat­ion de telle ou telle scène de Twin Peaks…

Vous imaginez bien. Ceci dit, ça n’a pas toujours été le cas, j’étais très curieux quand j’étais plus jeune. De quoi parlons-nous? De nos vies. De son art. Et du bon vieux temps, forcément.

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(Kyle MacLachlan)
Dale Cooper (Kyle MacLachlan)

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