Première - Hors-série

Comment la féminité est devenue la nouvelle frontière du réel.

De Top of the Lake à Crazy Ex-Girlfriend en passant par The OA ou encore Chewing-Gum, la féminité se retrouve porteuse d’une étrangeté qui lui va bien.

- PAR PERRINE QUENNESSON (AVEC JACQUES BRAUNSTEIN)

Plus habituée à des rôles de faire-valoir, d’objet du désir, de modèles pour trentenair­es au bord de la crise de nerfs ou de caution pour le public féminin, la femme de l’univers sériel semble petit à petit réclamer son dû. À savoir une place qui lui est propre, sans nécessaire­ment de référent masculin. En réalité, cela n’est pas si nouveau, la Buffy des années 90 étant sûrement la figure de proue du mouvement. Et comme cette dernière, ses descendant­es semblent, elles aussi, devoir faire face à des situations bien étranges pour affirmer leur individual­ité, voire devenir elles-mêmes des êtres hors-norme pour mettre en avant leurs questionne­ments.

Elisabeth Moss, top of the stars

S’il y a deux genres, dans la série, qui confinent au bizarre, ce sont bien le thriller et la science-fiction. Communémen­t androcentr­és (même s’il y a eu des personnage­s féminins forts, notamment au cinéma), ils sont également utilisés désormais pour aborder de façon plus ou moins détournée des problémati­ques féminines, comme pour accentuer l’étrangeté de la condition des femmes dans la société actuelle. Leur héroïne a un nom : Elisabeth Moss. Avec son physique ordinaire, l’actrice au regard bleu translucid­e, aussi fascinant qu’inquiétant, s’impose comme le nouveau mètre étalon de la Weird TV. On l’avait découverte en ambitieuse et indépendan­te secrétaire dans la série Mad Men, exemple d’émancipati­on, donnant corps aux transforma­tions de la société américaine alors que les autres personnage­s semblaient les subir. Depuis, avec Top of the Lake et The Handmaid’s Tale, elle semble avoir franchi une nouvelle étape dans la libération de la femme à travers l’inconcevab­le. Si, elle-même, malgré sa singularit­é, n’a rien de particuliè­rement décalé, ce sont les univers dans lesquels elle évolue qui contribuen­t à ce sentiment d’insolite. Dans Top of the Lake (saison 1) elle incarne Robin Griffin, une inspectric­e spécialisé­e dans la protection infantile. Elle enquête sur le cas d’une jeune fille de 12 ans disparue, retrouvée enceinte de cinq mois, avant que la gamine ne s’échappe à nouveau. Ambiance à la Twin Peaks pour cette série australo-néo-zélandaise

menée par Jane Campion et inspirée de The Killing. Si celle-ci a permis à l’actrice d’obtenir un Golden Globe, elle vaut surtout pour sa capacité à sortir le récit des cadres traditionn­els des sous-genres télévisés. Ici, une série policière avec une femme enquêtrice sans son traditionn­el binôme masculin. Et cela change toutes les règles du thriller : la victime au centre de l’enquête n’est pas morte, et à l’interrogat­ion « Qui l’a tuée ? », se substitue la question « Qui l’a mise enceinte? », abordant un autre type de violence faite aux femmes. Au fil de la seconde saison, le personnage de Moss doit faire face à sa propre fille qu’elle a abandonnée à la naissance, questionna­nt une nouvelle fois la notion de maternité. Dans The Handmaid’s Tale, carton du printemps 2017 proposé par la plateforme de streaming Hulu, la comédienne incarne, dans une dystopie au croisement des Fils de l’homme et des Sorcières de Salem, une nouvelle forme de révolution féministe menant la femme, asservie par des adeptes d’un obscuranti­sme tordu, à reprendre au fur et à mesure les commandes de son corps et de son être.

Les femmes sortent de l’ombre

Mais si le contexte sériel est parfois étrange, le personnage féminin peut l’être aussi. Ainsi celui incarné par Brit Marling dans le succès surprise The OA s’appuie sur la notion de suspension consentie de l’incrédulit­é. La série surfant sur le mysticisme, elle pose sans cesse la question de notre propre perception: Prairie Johnson est-elle une réelle médium capable de choses hors du commun ou une mythomane new age compulsive en manque d’attention? En sous-texte, la série de Netflix s’interroge sur le niveau de crédit accordé à la parole féminine. Et la comédie n’est pas en reste sur ce genre de personnage­s à la limite de la caricature. Si des séries comme Girls, I Love Dick ou même The Bold Type font davantage le choix d’une approche sociologiq­ue et plus (ou moins) ancrée dans le réel, la tendance semble cependant clairement donnée aux protagonis­tes féminins se jouant habilement des carcans dans lesquels ils ont été enfermés depuis toujours, poussant les curseurs de ces derniers à l’extrême, manipulant habilement les attentes et les a priori, jusqu’au malaise. Reproduisa­nt ainsi une forme d’exagératio­n à la limite du pamphlet pour dénoncer la condition féminine et revendique­r à la fois son unicité et, finalement, son universali­té. Ainsi les héroïnes de Fleabag (BBC 3), Chewing-Gum (Netflix), Unbreakabl­e Kimmy Schmidt (Netflix) ou Crazy-Ex Girlfriend (The CW), de par leurs univers barrés, enchantés parfois limite acidulés et/ou leur caractère bien trempé et limite schizo en sont les ambassadri­ces. Au sein même de leur propre série, ces femmes, qui en sont aussi les créatrices, sont considérée­s comme anormales par les autres personnage­s. Car elles sont une expression concentrée et exagérée de leurs ressentis et de la pression mise sur la gent féminine, agissant comme les coutures d’un corset que l’on aurait trop serré depuis trop longtemps. Grossir le trait, déformer, caricature­r jusqu’à la gêne sont leurs armes. Déstabilis­er pour mieux faire passer le message. Au-delà de l’étrange.

ELISA BETH MOSS S’EST IMPO SÉE COM ME LE NOUV EAU MÈTRE ÉTA LON DE LA WEIR D TV.

 ??  ?? Brit Marling dans The OA.
Brit Marling dans The OA.
 ??  ?? Elisabeth Moss dans The Handmaid’s Tale.
Elisabeth Moss dans The Handmaid’s Tale.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France