FOCUS
Petit tour d’horizon des différentes boutiques de l’horreur au moment où le genre se réanime.
De Ça à Sans un bruit, en passant par La Nonne ou Hérédité, le cinéma d’horreur est plus mainstream et américain que jamais, réparti pour le meilleur et pour le pire entre quelques sociétés de production au fonctionnement jumeau, expertes dans l’art de vendre le genre au grand public.
ÀHollywood, 2017 a été l’année de l’horreur. Adapté du roman culte de Stephen King, Ça d’Andy Muschietti est devenu le film le plus lucratif de l’histoire du genre avec des recettes mondiales culminant à 735 millions de dollars – pour un budget de 35 millions. Get Out de Jordan Peele, produit pour 5 millions de dollars par l’empaqueteur au nez creux Jason Blum, a touché une corde politique sensible avec son histoire de « body snatching » racial, totalisant plus de 255 millions de dollars sur l’ensemble du globe [lire page 32]. Mais ce n’est que lorsque son réalisateur s’est avancé sur la scène du Kodak Theater, en mars dernier à Los Angeles, pour recevoir l’Oscar du meilleur scénario (le genre n’avait pas eu les faveurs de l’Académie depuis Le Silence des agneaux en 1991), que l’on a senti le vent tourner. Après des décennies de ghettoïsation honteuse, l’horreur était momentanément sortie de sa cage et avait envahi le mainstream. Autre leçon apprise l’année dernière : l’horizon du macabre sera essentiellement industriel et américain, ce qui exclut de façon presque systématique (économique) toute production étrangère. Les Chinois se tiennent à distance du surnaturel à cause de la censure, les Anglais avisent au coup par coup (Le Rituel, pas mal) et même s’il existe des fans de The Strangers de Na Hong-jin, l’horreur coréenne reste à ce jour un concept inabouti. L’autre film d’horreur non américain dont on a un peu parlé en 2017 était Verónica de Paco Plaza, mais surtout pour dire que ce n’était pas terrible, voire très en deçà de [REC], et que la poussée de fièvre ibérique observée au début des années 2000 paraissait désormais bien loin...
Dans ce climat d’intense récession où les majors, en quête du risque zéro, limitent la casse à quelques franchises identifiables, les films de trouille prennent une place de plus en plus importante dans le catalogue. L’horreur, c’est rapide, pas cher et ça rapporte gros. Il suffit généralement d’une maison et d’un bon chef op, et vous avez un film. Une formule que Blumhouse a synthétisée avec Paranormal Activity en 2007, décliné une bonne trentaine de fois avec succès (Sinister, American Nightmare, The Visit, Get Out...), et que d’autres antennes de production dédiées au genre (New Line-Warner et l’univers Conjuring, A24 et Hérédité, Platinum Dunes-Paramount et Sans un bruit, etc.) se sont empressées depuis de recopier à la lettre. Autre atout considérable de l’horreur : ça se vend bien partout dans le monde, surtout à un public de millenials sevré d’images violentes et habitué à en consommer sur n’importe quel type d’écrans. Ça se vend particulièrement bien en ce moment, en ces temps politiques
troublés où la réalité dépasse d’un peu trop loin la fiction. Tout fait peur aujourd’hui, sauf les films. Quand le réel vous traumatise et vous passe sur le corps à peu près cinq fois par jour, les cris désespérés d’une victime innocente découpée à la hache ont des effets curieusement apaisants... « Il y a quelque chose de satisfaisant à voir nos peurs matérialisées et vaincues à l’écran, confirme Andy Muschietti, réalisateur de Ça, chapitres 1 et 2. Quand on vit dans un monde constamment au bord du chaos, les irruptions nonchalantes d’horreur et de gore à l’écran sont presque un appel d’air. Un baume réconfortant. »
En réaction à ce marché du train fantôme et de « l’appel d’air » incarné par les productions Warner, se développe dans le cinéma indépendant US un courant alternatif que les observateurs appellent avec un poil de condescendance pincée « Elevated Horror » – que l’on pourrait traduire tout aussi maladroitement par « posthorreur » ou « horreur améliorée ». Des films de frousse arty portés par une vision d’auteur (Under the Skin, The Witch, It Comes at Night), merveilleusement décomplexés vis-à-vis du genre et de la nécessité impérieuse de « faire peur ». Une conséquence directe de l’industrie d’après Lars Knudsen, heureux producteur de The Witch et Hérédité pour A24 : « Avec cet amour qu’ont développé les studios pour leurs franchises, tout ce que peut faire un cinéaste indépendant aujourd’hui, c’est de se créer visuellement sa propre marque, et l’horreur permet ça. The Witch coûte 5 millions de dollars et en rapporte 25, ce qui donne toute latitude à Robert Eggers sur Nosferatu, son film suivant. Pareil pour Ari Aster : Hérédité a dépassé les 40 millions de dollars de recettes avant même sa sortie internationale, et on est en pré-production sur le prochain. »
Horreur arty
L’horreur est devenue tellement tendance en Amérique qu’elle attire des réalisateurs qui, cinq ans plus tôt, ne se seraient jamais abaissés à s’y essuyer les pieds. « Des types comme Alexander Payne et Joe Wright viennent me voir avec des projets de films d’horreur, confirme Jason Blum. C’est assez incroyable. » Octavia Spencer et Juliette Lewis se donneront la réplique dans Ma, une production Blumhouse signée Tate Taylor (La Couleur des sentiments), et Scott Cooper (Hostiles) réalisera pour Fox Searchlight un thriller d’horreur surnaturel intitulé Antlers, avec Amy Adams. Cette année, Warner avance ses pions dans la galaxie Conjuring avec les spin-off La Nonne [lire page 40] et
The Crooked Man, et entre en production sur les suites de Ça (avec Jessica Chastain) et de Shining (avec Ewan McGregor). A24 bosse sur trois nouveaux « premiers films » [lire page 38] et Platinum Dunes ne sait plus où donner de la tête depuis le carton stratosphérique de Sans un bruit (deux suites sont en préparation). Sans compter la demi-douzaine de slashers, de films de zombies « originaux » et de maisons hantées que Netflix balance négligemment sur sa grille chaque semaine que Dieu fait [lire page 36]. Il n’y a jamais eu autant de films d’horreur à se mettre sous la dent. Combien y en a-t-il à aimer ? C’est une autre question.