Première

SÉLECTION SÉRIES

La série de David Fincher sur la chasse aux serial killers et les pionniers du profilage est arrivée sur Netflix deux mois après le lancement de Manhunt – Unabomber, confirmant que nous sommes entrés dans l’ère des séries-dossiers obsédantes et sophistiqu

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Mindhunter, Rick et Morty, Paris, etc., The Bold Type, The Punisher, Les Grands – saison 2, Un village français – saison 7

Et si on se posait deux secondes pour réfléchir ? Et si, au lieu de courir dans des couloirs et d’exhiber son badge à tout bout de champ, on s’asseyait au milieu d’une pile de documents pour essayer de comprendre comment ça marche ? Voilà probableme­nt tout ce qu’un producteur hollywoodi­en rêve de ne pas entendre. Ou encore : il y aura des scènes de dialogues dans des bureaux ; ce sera une étude de personnage­s déguisée en thriller policier ; on réfléchira sur le pouvoir de l’intellect et le mystère de ce qui nous constitue en tant qu’êtres humains, mais surtout on verra des gens très intelligen­ts réfléchir entre eux ; à la fin, les coupables n’auront pas ce qu’ils méritent et les flics n’auront rien appris de leurs erreurs... Warner ne referait pas Zodiac de David Fincher (2007) aujourd’hui. Aucune chance. Mais presque tous les canaux télé actuels, désespérém­ent avides de séries- dossiers au long cours et d’ambiguïté morale, rêvent de refaire Zodiac. La télévision est devenue ce flux constant de fonctionna­ires assermenté­s et de procédures policières érigées en leçons de vie, une course à la vérité qui finira bien par nous noyer. Au milieu de ce déluge paperassie­r, deux thrillers de prestige, Manhunt – Unabomber (lire

ci- contre) et Mindhunter, se télescopen­t à un niveau presque cosmique. Deux séries qui retournent aux origines des techniques de profilage du FBI et oeuvrent, non pas pour la vérité, mais pour l’acceptatio­n de l’outil humain, de l’expertise psychologi­que dans le traitement des affaires de meurtres en série. Des soeurs jumelles liées par leur thématique, leur mise en scène sophistiqu­ée, leur esprit d’époque, leur « zodiaquitu­de » affichée, et un peu par leur titre. L’une s’intéresse à la traque d’Unabomber par un flic expert en linguistiq­ue, dans une ambiance intello-obsédante à la David Fincher. L’autre est carrément signée David Fincher.

LE SPECTRE DE MANSON. L’annonce de la mise en chantier de Mindhunter par Fincher ressemblai­t presque à un gag compte tenu de l’évidence : une série sur l’aube des serial killers par le réalisateu­r de Seven et Zodiac, produite par Netflix, heureux diffuseur de Making a Murderer. On voit tout de suite de quoi ça parle. Et puis la bande-annonce est tombée, avec ses images monochroma­tiques perturbant­es, son montage staccato, ses flics anxieux, ses flashs d’horreur subliminau­x, ses plans d’immeubles hitchcocki­ens, ses scènes de sous-sol, de bureaux, de médecins légistes... Pouvait- on faire encore plus Fincher que ça ? Eh bien, en fait, oui... Tirée du livre Mindhunter – Inside the FBI Elite Serial Crime

Unit de John Douglas et Mark Olshaker, la série part (courageuse­ment) de la crise existentie­lle de l’agent du FBI Holden Ford (Jonathan Groff), témoin sur le terrain d’un acte insensé, qui remet en question tout ce qu’il croyait savoir sur la négociatio­n d’otages et la psychologi­e criminelle. Nous sommes en 1977. Le Summer of Love n’est qu’un lointain souvenir mais le spectre de Charles Manson continue de veiller sur l’Amérique. John Gacy, Ted Bundy et David « Son of Sam » Berkowitz entretienn­ent la flamme. Ce monde a changé. Le gouverneme­nt a perdu toute autorité et la criminalit­é

s’est enfoncée dans une spirale de violence et de barbarie qui ne répond à aucune logique. Des attaques mortelles perpétrées sur des inconnus sans raison apparente. Des meurtriers « en séquence » (comme les appelle Holden Ford) qui mettent la police en échec. Comment identifier l’assassin si l’on ne comprend pas le mobile ?

PRISE DE CONSCIENCE. À Quantico, Ford pose les questions que personne ne veut entendre. Il est confié aux bons soins de Bill Tench, un vieux briscard désenchant­é (Holt McCallany), avec qui il entame une tournée des commissari­ats du pays afin d’enseigner toutes les méthodes dont dispose le FBI pour coincer cette nouvelle engeance criminelle (c’est-à-dire aucune). Mais une entrevue en prison avec le tueur d’étudiantes Ed Kemper (phénoménal Cameron Britton) le conforte dans son opinion : on ne naît pas serial killer (nouvelle nomenclatu­re), on le devient. Il y a une forme de conditionn­ement ; quelque chose vous arrive en cours de route. « Comment choper Dingo si on ne

sait pas comment Dingo pense ? », reconnaît Bill Tench, presque convaincu. Un dialogue qu’on jurerait sorti de Seven...

ANIMAL SOCIAL. Manson est-il fou à lier ou victime de son environnem­ent ? À l’époque de Mindhunter, poser la question condamne à l’isoloir ou, dans le cas de nos héros, au troisième sous-sol du FBI. La série est une fascinante étude sur l’humain en tant que tissu collectif faillible, sur notre incapacité fondamenta­le, en tant qu’espèce, à nous regarder en face. Le moment le plus fulgurant du premier épisode est une longue scène de drague entre Tench et sa future petite amie (Hannah Gross, inouïe), où celle-ci le déchiffre en une seconde, alors que lui n’arrive pas à additionne­r sa robe légère avec son occupation d’ingénieur. Par-dessus la musique (dialogues inscrits à l’écran), dans un remake inversé de la scène inaugurale de

The Social Network, elle lui ouvre les yeux sur la nécessité d’adapter sa façon de voir à la marche du monde ; tous les points de vue existent dans la société des hommes, et tous ont leur importance. Contrairem­ent à un film comme Le Silence des agneaux, qui trace au sol une ligne de démarcatio­n entre nous et les tueurs psychopath­es,

Mindhunter cherche à comprendre ce qui nous rapproche d’eux. Pourquoi sommesnous gênés de partager des espaces exigus avec des inconnus ? Qu’est-ce qui nous pousse à agir en dehors des clous et à nous comporter parfois d’une manière qui ne nous ressemble pas ? Soit très exactement ce qui travaille en profondeur le cinéma de Fincher depuis quelques films : l’ordre, le tissu collectif, l’homme en tant qu’animal social et spongieux. Il ne signe que quatre épisodes sur dix, mais Mindhunter est sans doute le truc le plus fincherien qu’il ait jamais fait. u BENJAMIN ROZOVAS

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Jonathan Groff et Holt McCallany.
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