Première

DOVLATOV

1971, Leningrad. L’écrivain Dovlatov se débat entre la propagande imposée et ses désirs littéraire­s. Un film-dispositif ambitieux mais compassé.

- MICHAËL PATIN

Le cinéma littéraire, cet épouvantai­l décati contre lequel nous n’avons généraleme­nt plus besoin de lutter, a trouvé un allié de poids en la personne d’Alexey Guerman Jr. La particular­ité du réalisateu­r, outre son identité slave portée en étendard et sa prestigieu­se ascendance (comme son nom l’indique, c’est le fils de son père), est de concevoir des plans-séquences et des mouvements d’appareil ultra sophistiqu­és pour filmer des conversati­ons, réglant comme au théâtre chaque entrée, sortie et interactio­n de ses personnage­s dans un cadre millimétré (appartemen­t, bureau, parc public, etc.). Ce qui nous faisait dire, à la sortie de Soldat de papier en 2010, que « le vrai problème de ce réalisateu­r de 34 ans, c’est qu’il paraît en avoir 1 000 ». Huit ans plus tard, ce goût du dispositif est mieux assumé que jamais, en phase avec un sujet littéralem­ent littéraire : six jours dans la vie de l’écrivain Serguei Dovlatov, à une époque (le début des années 70) où l’art (occidental, notamment) était une denrée de contreband­e et l’avant-garde tentait de résister au contrôle de l’État soviétique. Complétant la mise en scène, la photograph­ie sépia, les costumes gris-taupe, les extérieurs embrumés, les aphorismes (« Il faut du courage pour n’être personne, et rester soi-même ») et le manichéism­e satisfait (artistes courageux, populace veule) forment un objet verrouillé, tout entier voué à l’idéalisati­on d’un passé non vécu, où l’auteur ne cesse de signer sa présence. Un idéal de cinéma littéraire comme plus personne n’ose en faire, et dont on doit bien reconnaîtr­e la virtuosité, à défaut d’y adhérer.

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Milan Maric (à gauche)

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