FORTUNA
Une jeune réfugiée, des religieux humanistes et la blancheur glacée des Alpes. Fortuna met sa poésie en noir et blanc au service du drame migratoire.
Comment mettre des images de cinéma sur la crise des migrants, quand on a vu les rafiots renversés de la Méditerranée, les camps détruits à la tractopelle, les corps échoués sur les plages ou retrouvés en montagne après la fonte des neiges ? Comment affronter l’horreur à l’arrivée, sonder ce qu’elle déclenche en nous et ce qu’elle laisse à ses victimes, poussées par extrême nécessité vers nos paysages, nos lois, nos corps étrangers ? Le photographe et cinéaste Germinal Roaux a choisi le chemin de la poésie, posant sa caméra pinceau à l’hospice du Simplon, sur la crête sud des Alpes suisses, où les religieux ont décidé d’accueillir des réfugiés. Parmi ceux-ci, Fortuna, Éthiopienne de 14 ans égarée dans le grand blanc, sans famille ni possession, secrètement enceinte, affronte ses tourments en silence. Cette solitude subie s’oppose à celle, choisie, de ses hôtes, ses questions de survie cohabitent avec leurs interrogations morales. Si Germinal Roaux n’évite pas les pièges du didactisme (des dialogues trop écrits, une symbolique animale appuyée), il brille chaque fois qu’il laisse parler les éléments, opposant le souvenir de la traversée en mer (superbes plans de flots en mouvement) à l’immobilité des pentes enneigées, comme une métaphore de la trajectoire – et de la condition – de son héroïne. Cette petite poésie-là, en noir et blanc minéral et lumière patiemment sculptée, qui ne peut exister qu’au cinéma, vaut mieux que de longs discours sur la crise migratoire. Elle imprime, quelques courts instants, l’indicible au fond de nos rétines.