WHO IS AMERICA ?
Douze ans après Borat, Sacha Baron Cohen se déguise pour piéger l’ultra-droite américaine… Malgré le format un peu usé, la charge politique fait des ravages. Bienvenue à Trumpland.
Début juillet, la chaîne américaine Showtime nous sauvait d’une saison télé misérable en révélant l’existence et la diffusion quasi immédiate d’un nouveau show humoristique de Sacha Baron Cohen, mystérieusement intitulé Who is America ?. Rien n’avait filtré des derniers méfaits du génie transformiste de Borat, mijotés en secret depuis trois ans. Mais dès que Showtime rendit l’affaire publique, ses nouvelles « victimes » ne tardèrent pas à se faire connaître : Dick Cheney regretta aussitôt sa participation à l’émission (on y verrait l’ex-vice président dédicacer un kit de waterboarding, une technique de torture par l’eau), tout comme le candidat républicain Roy Moore ou l’ex-colistière de John McCain, Sarah Palin, qui en appelle carrément à l’internement de ce « piece of shit » de Baron Cohen... Coup de pub consentant, excitation maximum. Même s’il avait promis à la sortie de Brüno (2009) qu’il ne se déguiserait plus pour piéger des personnalités, partant du fait qu’il était devenu trop reconnaissable (d’où sa carrière « scriptée » moins convaincante, du Dictator à Grimsby – Agent trop spécial), Baron Cohen reprenait semble-t-il avec succès la route du mockumentaire et du happening politique à la Ali G. Le mystère quant au contenu réel de Who is America ? resta toutefois entier jusqu’à la diffusion du premier épisode (sept au total), le 15 juillet dernier. Surprise : les maquilleurs se sont surpassés et Sacha ne se contente plus de jouer deux ou trois personnages récurrents, mais une dizaine. À travers eux, il tente d’amadouer cette moitié d’Amérique qui vote Trump et rêve d’armer les gamins dans les écoles. En bref ? Il se paye la tête de soldats de l’ultra- droite absolument prêts à tout (et quand on dit tout...) pour dire leur vérité et « renverser l’appareil médiatique pro-Hillary ». Du bobo libéral végan et sexuellement non binaire (le Dr Nira CainN’Degeocello) venu annoncer à une bourgade insulaire d’Arizona l’installation prochaine d’une mosquée dans leur ville, en passant par le journaliste conspirationniste expliquant à Bernie Sanders comment l’administration Obama a menti sur le nombre de spectateurs présents à sa première investiture (en zoomant dans l’image, on voit clairement que la foule est faite de mannequins en plastoc), le résultat est parfois brutal... La star incontestable du show s’appelle Erran Morrad, un sergent instructeur, ou colonel (ça varie) des services secrets israéliens, fausse brute épaisse avec une âme d’enfant (sanguinaire) venue transmettre son expertise de l’antiterrorisme à une belle brochette de députés et de membres du Congrès en cravate. Erran a de l’autorité, il parle avec un fort accent guttural, le genre qu’un élu blanc de l’Arkansas n’ira pas contredire. Il leur apprend à se défendre ; comment repousser un attaquant en baissant son froc et en lui agitant ses fesses nues sous le nez, parce que les terroristes ont peur de devenir homosexuels ; comment se faire passer pour un touriste chinois (« Beijing ! Chopstick ! ») et photographier à l’aide d’une perche à selfie sous les burqas des suspect(e)s pour vérifier s’ils ont une arme... C’est d’un goût plus que douteux. Mais ils le font. Tous. Sans discuter. Avec une conviction quasi suicidaire.
JASON SPENCER A DÉMISSIONNÉ DE SON POSTE DE PARLEMENTAIRE APRÈS AVOIR ÉTÉ VU CUL NU
LA DER DES DERS. Entre les fous rires étranglés et les facepalms incrédules, deux pensées viennent à l’esprit. Tout d’abord, c’est probablement la dernière fois que l’on voit Sacha Baron Cohen piéger des
politiques. S’il était déjà reconnaissable avant, on doute que quiconque puisse se faire avoir après ça. Ensuite, c’est sans doute mieux comme ça. La création de Da Ali G Show sur Channel 4 remonte à 2000, et rien n’a vraiment changé depuis, que ce soit dans la forme ou le dispositif. En 2005, pendant le tournage d’une séquence de Borat dans une église pentecôtiste américaine, l’acteur était évacué d’urgence face à la violence hallucinée des participants. Trois ans plus tard, déguisé en rabbin « fashionista » dans un quartier chaud de la ville de Gaza (pour les besoins de Brüno), il se faisait courser par des juifs hassidiques qui voulaient le tabasser... Tout ce que risque Baron Cohen dans Who is america ?, c’est de se mettre des élus républicains à dos (pour la plupart ex- élus) et d’enfoncer des portes ouvertes. La récompense est moindre, parce que le risque a diminué. Le cirque des affaires Trump et de la réal-politique délirante à la Fox News a tellement déteint sur le paysage médiatique américain qu’il devient difficile de surprendre et d’élever la voix. On sent que l’émission lutte un peu contre son écosystème. Quand c’est bon, Who is America ? dynamite le genre moribond de la comédie et tranche dans le lard avec génie (de loin ce qu’il y avait de plus drôle à voir cet été, tous écrans confondus). Dès que c’est un poil en dessous, l’ensemble a comme un arrièregoût inoffensif de Raphaël Mezrahi. C’est à double tranchant. Le format ne pardonne pas.
DÉMISSION. Sacha lui-même ne déçoit jamais. Ses personnages, même les plus faibles, ont tous une perruque (absurde) ou un effet de voix poignant qui les honore. Et il obtient des résultats, le bougre ! Le lundi 23 juillet, au lendemain de la diffusion du deuxième épisode, Jason Spencer démissionnait de son poste de parlementaire en Géorgie après avoir été vu cul nu, pantalon sur les chevilles, repoussant l’envahisseur islamiste à coups de « America ! America ! » . Quinze jours après, c’est un député de l’Alabama qui rendait le tablier... Sarah Palin, à l’heure où on écrit, n’a pas encore eu son heure de gloire. Aura-t- elle toujours sa carte du parti après la diffustion de l’épisode la concernant ? Suspense !
REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ Borat (2006), Idiocracy (2006), Fahrenheit9/11 (2004)
Pays USA • Créée par Sacha Baron Cohen • Avec Sacha Baron Cohen • Nombre d’épisodes vus 4 • Sur Canal+