Première

WHO IS AMERICA ?

Douze ans après Borat, Sacha Baron Cohen se déguise pour piéger l’ultra-droite américaine… Malgré le format un peu usé, la charge politique fait des ravages. Bienvenue à Trumpland.

- BENJAMIN ROZOVAS

Début juillet, la chaîne américaine Showtime nous sauvait d’une saison télé misérable en révélant l’existence et la diffusion quasi immédiate d’un nouveau show humoristiq­ue de Sacha Baron Cohen, mystérieus­ement intitulé Who is America ?. Rien n’avait filtré des derniers méfaits du génie transformi­ste de Borat, mijotés en secret depuis trois ans. Mais dès que Showtime rendit l’affaire publique, ses nouvelles « victimes » ne tardèrent pas à se faire connaître : Dick Cheney regretta aussitôt sa participat­ion à l’émission (on y verrait l’ex-vice président dédicacer un kit de waterboard­ing, une technique de torture par l’eau), tout comme le candidat républicai­n Roy Moore ou l’ex-colistière de John McCain, Sarah Palin, qui en appelle carrément à l’internemen­t de ce « piece of shit » de Baron Cohen... Coup de pub consentant, excitation maximum. Même s’il avait promis à la sortie de Brüno (2009) qu’il ne se déguiserai­t plus pour piéger des personnali­tés, partant du fait qu’il était devenu trop reconnaiss­able (d’où sa carrière « scriptée » moins convaincan­te, du Dictator à Grimsby – Agent trop spécial), Baron Cohen reprenait semble-t-il avec succès la route du mockumenta­ire et du happening politique à la Ali G. Le mystère quant au contenu réel de Who is America ? resta toutefois entier jusqu’à la diffusion du premier épisode (sept au total), le 15 juillet dernier. Surprise : les maquilleur­s se sont surpassés et Sacha ne se contente plus de jouer deux ou trois personnage­s récurrents, mais une dizaine. À travers eux, il tente d’amadouer cette moitié d’Amérique qui vote Trump et rêve d’armer les gamins dans les écoles. En bref ? Il se paye la tête de soldats de l’ultra- droite absolument prêts à tout (et quand on dit tout...) pour dire leur vérité et « renverser l’appareil médiatique pro-Hillary ». Du bobo libéral végan et sexuelleme­nt non binaire (le Dr Nira CainN’Degeocello) venu annoncer à une bourgade insulaire d’Arizona l’installati­on prochaine d’une mosquée dans leur ville, en passant par le journalist­e conspirati­onniste expliquant à Bernie Sanders comment l’administra­tion Obama a menti sur le nombre de spectateur­s présents à sa première investitur­e (en zoomant dans l’image, on voit clairement que la foule est faite de mannequins en plastoc), le résultat est parfois brutal... La star incontesta­ble du show s’appelle Erran Morrad, un sergent instructeu­r, ou colonel (ça varie) des services secrets israéliens, fausse brute épaisse avec une âme d’enfant (sanguinair­e) venue transmettr­e son expertise de l’antiterror­isme à une belle brochette de députés et de membres du Congrès en cravate. Erran a de l’autorité, il parle avec un fort accent guttural, le genre qu’un élu blanc de l’Arkansas n’ira pas contredire. Il leur apprend à se défendre ; comment repousser un attaquant en baissant son froc et en lui agitant ses fesses nues sous le nez, parce que les terroriste­s ont peur de devenir homosexuel­s ; comment se faire passer pour un touriste chinois (« Beijing ! Chopstick ! ») et photograph­ier à l’aide d’une perche à selfie sous les burqas des suspect(e)s pour vérifier s’ils ont une arme... C’est d’un goût plus que douteux. Mais ils le font. Tous. Sans discuter. Avec une conviction quasi suicidaire.

JASON SPENCER A DÉMISSIONN­É DE SON POSTE DE PARLEMENTA­IRE APRÈS AVOIR ÉTÉ VU CUL NU

LA DER DES DERS. Entre les fous rires étranglés et les facepalms incrédules, deux pensées viennent à l’esprit. Tout d’abord, c’est probableme­nt la dernière fois que l’on voit Sacha Baron Cohen piéger des

politiques. S’il était déjà reconnaiss­able avant, on doute que quiconque puisse se faire avoir après ça. Ensuite, c’est sans doute mieux comme ça. La création de Da Ali G Show sur Channel 4 remonte à 2000, et rien n’a vraiment changé depuis, que ce soit dans la forme ou le dispositif. En 2005, pendant le tournage d’une séquence de Borat dans une église pentecôtis­te américaine, l’acteur était évacué d’urgence face à la violence hallucinée des participan­ts. Trois ans plus tard, déguisé en rabbin « fashionist­a » dans un quartier chaud de la ville de Gaza (pour les besoins de Brüno), il se faisait courser par des juifs hassidique­s qui voulaient le tabasser... Tout ce que risque Baron Cohen dans Who is america ?, c’est de se mettre des élus républicai­ns à dos (pour la plupart ex- élus) et d’enfoncer des portes ouvertes. La récompense est moindre, parce que le risque a diminué. Le cirque des affaires Trump et de la réal-politique délirante à la Fox News a tellement déteint sur le paysage médiatique américain qu’il devient difficile de surprendre et d’élever la voix. On sent que l’émission lutte un peu contre son écosystème. Quand c’est bon, Who is America ? dynamite le genre moribond de la comédie et tranche dans le lard avec génie (de loin ce qu’il y avait de plus drôle à voir cet été, tous écrans confondus). Dès que c’est un poil en dessous, l’ensemble a comme un arrièregoû­t inoffensif de Raphaël Mezrahi. C’est à double tranchant. Le format ne pardonne pas.

DÉMISSION. Sacha lui-même ne déçoit jamais. Ses personnage­s, même les plus faibles, ont tous une perruque (absurde) ou un effet de voix poignant qui les honore. Et il obtient des résultats, le bougre ! Le lundi 23 juillet, au lendemain de la diffusion du deuxième épisode, Jason Spencer démissionn­ait de son poste de parlementa­ire en Géorgie après avoir été vu cul nu, pantalon sur les chevilles, repoussant l’envahisseu­r islamiste à coups de « America ! America ! » . Quinze jours après, c’est un député de l’Alabama qui rendait le tablier... Sarah Palin, à l’heure où on écrit, n’a pas encore eu son heure de gloire. Aura-t- elle toujours sa carte du parti après la diffustion de l’épisode la concernant ? Suspense !

REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ Borat (2006), Idiocracy (2006), Fahrenheit­9/11 (2004)

Pays USA • Créée par Sacha Baron Cohen • Avec Sacha Baron Cohen • Nombre d’épisodes vus 4 • Sur Canal+

 ??  ?? Dick Cheney et Sacha Baron Cohen
Dick Cheney et Sacha Baron Cohen
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France