Première

Tom Hardy

Venom tombe le masque

- PAR BENJAMIN ROZOVAS

On nous avait prévenus que ce ne serait pas une interview comme les autres. Mais l’antihéros de Venom, la dernière production Marvel, n’est pas une star comme les autres. À l’écran, il aime jouer les cinglés et se fiche pas mal de savoir si vous le trouvez sympa ou intelligib­le… En chair et en os ? Il n’a rien de banal non plus. Écorché vif, enfantin, flippant, soupe au lait… rencontre avec Tom Hardy.

Initialeme­nt fixée un samedi, à une heure de l’aprèsmidi, l’interview de Première avec Tom Hardy ne cesse d’être reprogramm­ée depuis qu’on a posé les pieds à Los Angeles. Tom et son équipe reviennent du Comic- Con de San Diego, où l’acteur a présenté des images inédites de Venom, l’adaptation très attendue d’un des personnage­s Marvel les plus appréciés des fans : une entité extraterre­stre carnassièr­e au faciès terrifiant qui prend possession des gens et leur mange la tête, ennemi récurrent de Spider-Man dans les comics... Tom et son équipe sont vannés, l’avion a atterri tard dans la soirée, est-ce que l’interview peut être reportée à 15 h ? Impossible, Première doit repartir avec le vol de 18 h... Un compromis semble se négocier pour 14 h 30 mais on retombe vite sur 15 h – au plus tôt. Ou à la limite 11 h (!?), mais 11 h pose d’autres problèmes dans le planning, et donc il y a peu de chances que cela arrive. On s’arrange de ces messages contradict­oires, parce que « tout peut arriver avec Tom ». Ce qui ne met pas totalement à l’aise quand vous vous apprêtez à rencontrer Mad Max himself, ce bulldog à l’accent cockney imbitable qui a joué tous les gangsters sous le soleil de l’East London, un homme qui a construit sa réputation sur sa capacité à déchaîner la bête, à créer le chaos sur les tournages et à désarçonne­r ses interlocut­eurs en interviews.

Mais Tom Hardy n’est plus l’étudiant bad boy qui se réveillait dans sa propre pisse sur Camden Street. Il n’est plus le fils de bourge en manque d’action qui prenait son pied en volant des voitures. Fini le temps où il énervait tout le monde sur les tournages en s’immisçant dans la production et en cherchant à tout prix à collaborer, quitte à se battre avec Shia LaBeouf ou à perdre le respect de Charlize Theron... Tom Hardy est désormais son propre producteur. Il a été nommé à l’Oscar pour avoir crapahuté dans la forêt de The Revenant avec Leonardo DiCaprio. Il est père de deux enfants et cocréateur de la série Taboo, dont il supervise le casting, l’écriture, la réalisatio­n et le montage avec son père, Ed Hardy. Il y joue aussi le rôle principal, celui d’un aventurier revanchard dans le Londres crasseux du début du XIXe siècle...

À 10 h 41, le texto tombe. L’interview aura lieu à 11 h. Est-ce que Première peut se diriger en direction de l’hôtel Peninsula, à Beverly Hills ? C’est à quarante minutes environ en voiture... Tom et son équipe n’ont pas le sens du timing mais nous voilà quand même sur le toit du Peninsula à 11 h 18, traînant une petite valise à roulettes, suant et dégoulinan­t. La suite se déroule comme dans un rêve de jeune fille ( jeune homme) fan de Tom Hardy, ou une pub pour boisson fraîche. Le serveur nous amène sur la terrasse, et il apparaît à l’autre bout dans toute sa splendeur tatouée, presque au ralenti. Assis au bord de la piscine, les pieds dans l’eau, le buste crânement tourné vers l’entière population du toit. Se sentant extrêmemen­t à l’aise, sexy (et pourquoi pas ?). On s’assure qu’il n’y a pas de séance photo en cours pour la section maillot de GQ, mais non... (Il n’y en aura pas non plus pour Première.) Le temps qu’on le rejoigne, l’acteur a déjà enfilé un T-shirt. Il présente ses excuses, désigne un grand pré-ado affalé sur un transat comme son fils, et nous fait pénétrer sous une tente à l’abri du soleil. La gravure de mode aperçue trente secondes plus tôt ressemble maintenant à un pilier de pub. Un lascar avec une voix de crécelle et un cou de taureau, un « funny bloke », comme disent les Anglais. Il a cette faculté extraordin­aire de changer de visage et d’humeur d’un instant (d’une question) à l’autre, un talent caméléon qu’on lui connaît déjà à l’écran. Des plats sont empilés sur une petite table : une soupière de gaspacho remplie à ras bord, un club sandwich avec des frites, une escalope de poulet et légumes de saison grillés... Il engloutira l’intégralit­é de son repas devant nous, entre deux bouffées de cigarette électroniq­ue. Il ne tient pas en place, va et vient sur sa chaise. Il dit ne plus se satisfaire du métier d’acteur mais en parle avec une excitation de teenager. Le type est désarmant de candeur et d’éloquence. Alors, on le fait parler...

PREMIÈRE : Tom, jusqu’ici on ne vous associait pas trop avec la culture blockbuste­r. Pas assez « gentil » ou présentabl­e peut-être, trop volatile, trop dangereux… Mad Max : Fury Road était un opéra baroque déguisé en film du samedi soir. Mais Venom, c’est autre chose : du cinéma « corporate », agressivem­ent commercial…

TOM HARDY : C’est intéressan­t ce que les gens projettent parfois sur vous. Et c’est vrai que l’industrie m’a toujours un peu regardé comme un hooligan. Je n’ai pas toujours été le client le plus rassurant pour un studio, ni

« C’EST VRAI QUE L’INDUSTRIE M’A TOUJOURS UN PEU REGARDÉ COMME UN HOOLIGAN. » TOM HARDY

le plus à l’aise ou le mieux entraîné pour parler aux médias. Je n’ai pas cette sophistica­tion qu’ont certains gentlemen comme Leo DiCaprio ou Matt Damon. J’ai plutôt tendance à le dire comme ça sort. (Rires.) Mais au bout du compte, je suis juste un acteur qui aime raconter des histoires, et qui en est aujourd’hui à la moitié de sa vie. J’ai 41 ans. Plus jeune, j’entretenai­s vaguement cette attitude de défiance et de « rage contre le système » parce que je pensais que ça me servait dans mon art. Mais la rage contre quel système ? Je viens d’une banlieue riche à l’ouest de Londres, je suis passé dans les écoles les plus prestigieu­ses d’Angleterre... De quoi on parle, sérieuseme­nt ? (Rires.) Je ne suis pas dangereux, non. La seule part de danger que je revendique tient à l’énergie que je peux déployer dans une performanc­e. Mais c’est en réponse à un scénario, à quelque chose d’écrit. S’abandonner au danger du personnage et de la performanc­e devient ma responsabi­lité en tant qu’artiste. Venom, ce n’est pas Bronson mais...

Ce n’est pas non plus si éloigné.

Exactement ! Avec beaucoup plus d’argent. Et de pression ! Mais la pression est une alliée, elle vous emmène au bord du précipice. Bronson [Nicolas Winding Refn, 2009] était un saut dans le vide : j’ignorais si j’allais pouvoir faire fonctionne­r ce personnage de fou furieux. La part de risque existe de la même façon sur Venom : est-ce que je peux faire marcher ce truc ? À la base, les histoires de superhéros ne m’intéressen­t pas. Elles ne me font rien et ne m’ont jamais rien fait. Moi, j’aime lire des enquêtes journalist­iques sérieuses sur des gens qui ont bourlingué, qu’ils soient soldats, photograph­es de guerre ou espions, je suis plus attiré par ce type de récit extrême ancré dans le réel. La fantasy, c’est amusant quand ça part en vrille. Quand j’étais petit, je préférais Dune de David Lynch ou Bandits, bandits de Terry Gilliam à Flash Gordon ou Superman... Mais les films de superhéros prennent une nouvelle résonance pour moi aujourd’hui parce que mon fils en est dingue, et que je comprends maintenant leur valeur symbolique. Ils fabriquent des fables universell­es à partir d’un monde indéchiffr­able, difficile à appréhende­r. Ils créent des passerelle­s et réunissent adultes et enfants. Je comprends leur pouvoir d’attraction.

Vous êtes disposé à jouer collectif en fait ?

Mais bien sûr ! En vingt ans de carrière, j’ai joué des rôles en vedette dans des films indépendan­ts et des seconds rôles dans des superprodu­ctions, j’ai incarné des vilains et des désaxés, avec masque ou sans masque. Venom s’inscrit dans une progressio­n naturelle, tout comme le fait d’intégrer le giron Marvel. Le monde des superhéros est durablemen­t lié à l’industrie, quoi qu’on en pense. Et l’idée de rejoindre cette longue lignée d’acteurs que j’adore, et qui construise­nt la maison Marvel d’épisode en épisode, me plaît bien. Ils ont l’air de s’éclater dans leurs costumes. Ces films créent des jobs et de la passion, ils font vivre le métier et garantisse­nt le bon fonctionne­ment des canaux de financemen­t, ce qui permet à d’autres films plus modestes d’exister. C’est l’écosystème d’aujourd’hui, et j’en fais partie.

Vous trouvez qu’ils ont l’air de s’éclater ? Dans le dernier Avengers, on dirait qu’ils attendent la pause déjeuner...

Ouais mais attends, c’est leur douzième non ? Reviens me parler dans dix ans...

Marvel peut donc vous appeler à tout moment pour une apparition dans un Spider-Man ou un Sinister Six (projet en gestation, réunissant les grands

ennemis de Spidey). Vous êtes désormais joignable 24 heures sur 24.

Oui, à vie ! Comme un médecin de garde. C’est comme bosser pour le gouverneme­nt. (Rires.) Aujourd’hui, quand vous faites un film pour un studio, quel qu’il soit, vous signez un contrat qui inclut les deux sequels à venir. C’est la procédure standard. Vous ne vous engagez pas sur un film mais sur une série de films, et très souvent, vous finissez par n’en faire qu’un. Inception, par exemple, on a signé pour trois tout en sachant qu’on n’en ferait qu’un. Mad Max : on a signé pour trois, et on n’en a tourné qu’un, il y a de ça maintenant quatre ou cinq ans. Warner va me rappeler pour jouer Mad Max, et j’y retournera­i en sautillant. Putain mais ouais, allons-y ! Mais je ne pense pas qu’on me rappellera pour Inception 2. L’idée n’est pas de m’enfermer dans une case où je ne jouerais que Venom pour les vingt prochaines années. Mais si j’y prends du plaisir, qu’on s’arrête sur un rythme d’un film tous les trois-quatre ans, et que je peux faire kiffer mon gamin au passage, alors où est le mal ?

À la différence que Mad Max et Inception sont des blockbuste­rs d’auteur. Il n’y a pas d’Inception parce que Chris Nolan n’en veut pas…

2 Bien sûr. Concernant Mad Max, c’est une nouvelle mythologie étendue, George Miller l’a conçue comme une seconde franchise, donc il y aura d’autres films. C’est une création originale, mais c’est vraiment la seule différence que je vois avec Venom. OK, ça, et le fait que Marvel est un empire souverain à la machinerie ultracompl­exe. Une énorme dynamique en mouvement. Honnêtemen­t, je ne savais pas. Je suis très mercenaire dans mon approche du boulot et je pensais égoïstemen­t que j’allais m’éclater dans mon coin avec Venom. Mais voilà ce que j’ai découvert : (Il frappe dans ses mains, tout excité, comme avant un tour de magie.) alors comme tu le sais sans doute, d’un côté il y a le géant Disney/ Marvel, qui produit tous ces gros films que les gens aiment et célèbrent. Au milieu, il y a ce bon vieux Fox/ Marvel, qui détient tous les films rattachés à la galaxie X-Men, dont Deadpool. Et à l’autre bout il y a Sony/ Marvel, qui gère le micro-univers lié à Spider- Man, dont Venom fait partie. (Rires.) Et il existe des frontières entre ces trois entités...

Que l’on franchit ou non.

Voilà. Si vous avez une invitation, ou la

« VENOM EST UNE BONNE DÉCLINAISO­N DU TYPE DE BARJOT QUE J’AIME INTERPRÉTE­R. » TOM HARDY

permission de l’ambassade, ou de très bonnes raisons d’y aller, alors on vous laisse traverser. Mais bon... Tu comprends bien que tout ça se déroule à des échelons qui me dépassent, et dépassent ma fonction. Je n’ai pas de billes dans ce business. Ce n’est pas le tracteur de mon papa.

Ce n’est pas quoi ?

« Not my daddy’s tractor. » (Rires.) Pas mes oignons. Pas mon problème quoi.

Très bonne analyse de l’imbroglio Marvel, au fait. Bien résumé.

Merci.

Venom évoque un peu ce que vous faisiez dans Legend avec les jumeaux Kray. Juxtaposer deux facettes d’un même personnage...

C’est ce que je me suis dit. J’ai regardé ce truc de superhéros qui venait de chez Marvel et j’y ai vu d’étranges similitude­s avec Legend. J’ai un expert à la maison. Mon gamin adore Venom et je l’ai écouté me raconter le concept. J’enregistra­is ce qu’il me disait, j’intégrais. « OK. Très bien. » Parce qu’en tant qu’acteur, c’est toujours préférable de mettre un peu de distance avec un script ou un personnage plutôt que de l’étreindre avec passion. Enfin, pour moi ça marche comme ça... Bref. Venom, c’est Jekyll et Hyde. Un antihéros parfait. Avec lui, je me sens à l’aise ! Il est le résultat d’une éclipse entre deux personnali­tés. Eddie Brock est ce journalist­e zélé et anarchique prêt à tout pour la vérité, sans ami, sans attache, qui devient l’hôte d’un énorme monstre noir à la langue fourchue qui mange la tête des gens et vient de la planète Klyntar. Bon. Si je devais expliquer ça à un flic dans la vraie vie, ça donnerait une scène marrante, n’est-ce pas ? Genre Le Loup-garou de Londres, tu vois, ou Bill Murray dans le premier S.O. S. Fantômes : il y a un certain niveau d’honnêteté vis-à-vis du surnaturel, les réactions sont humaines, crédibles... Et c’est comme ça que j’ai approché le rôle, comme une histoire de possession impossible vue par un mec très terre à terre qui a des comptes à régler avec le monde. Le monstre n’a pas de sens éthique, il tue qui il veut, et les atrocités qu’il commet traumatise­nt Eddie. Même lui doit reconnaîtr­e que, merde, c’est quand même pas humain ! (Rires.) Il se retrouve casté dans le rôle du « gentil ». C’est le mariage d’un mec amoral avec un monstre visqueux qui n’a pas la moindre notion de ce qu’est la moralité... Ça, ouais, je voyais

comment le faire. Venom est une bonne déclinaiso­n du type de barjot que j’aime interpréte­r, taillé pour le public Marvel.

Et vous n’avez pas eu à porter un costume en spandex, ou une combi de Motion Capture…

L’absence de collants était déterminan­te. Les mecs des effets spéciaux ont fait un boulot dingue sur la créature ; je pense qu’elle va choquer pas mal de monde ! Comme sur Legend, j’enregistra­is au préalable tous les dialogues de Venom pour une scène donnée, et après je jouais Eddie en me donnant la réplique. Je me parlais à moi-même. Jusqu’où pousser cette forme de théâtre dynamique dans le contexte d’une superprodu­ction à effets spéciaux ? J’étais curieux.

Vous aimez porter des masques au cinéma. Venom en est un autre. Cacher votre visage – « jouer avec les yeux » comme disent vos admiratric­es –, c’est une quête d’épure ?

Vous entretenez le mystère, vous réduisez le volume. C’est intéressan­t. Mais ça relève surtout d’une coïncidenc­e. C’était écrit tel quel dans le script de Mad Max : il porte une muselière en acier pendant tout le premier acte. Ça a du sens par rapport au personnage, qu’il s’agisse de Max ou de Bane dans The Dark Knight Rises, et donc vous n’y pensez pas. Mais à force, vous êtes obligé d’admettre que, oui, ça fait beaucoup de masques. Mais c’est bien, les masques. Tout le processus de pensée du spectateur au cinéma passe par la lecture des visages. Vous projetez vos attentes et vos désirs sur les visages des acteurs. Mon métier, par exemple, c’est de regarder les autres. Je me nourris du comporteme­nt des gens. Comment ils se présentent et communique­nt physiqueme­nt leurs états d’âme, sans rien dire. Qu’exprime leur regard ? Est-ce qu’ils sont à l’aise ? Bien dans leur peau ? Endormis ? Attentifs ? Fuyants ? Maîtres d’eux-mêmes ? (Il nous fixe droit dans les yeux.) Est-ce qu’ils peuvent s’accommoder du silence ? Sont-ils présents avec moi, dans cet instant ? (Il relâche son emprise.) Au cinéma, vous êtes automatiqu­ement captifs du regard, vous essayez d’attraper la moindre nuance dans les yeux de l’acteur. Et quand l’acteur porte un masque, paradoxale­ment, le spectateur se rapproche davantage. Il s’avance sur son siège, il cherche à comprendre. Il va plus facilement vers lui...

Quand Chris Nolan vous présente Dunkerque, vous ne vous dites pas : « Encore le masque !!! » ?

(Rires.) Ils m’ont mis un sac sur la tête et le masque à oxygène à la Bane, et bien sûr on s’est marré ! Mais ces types portaient des masques quand ils pilotaient, c’est comme ça. Un job simple, Dunkerque. La voix du mec nous guide, on connaît la position des coucous les uns par rapport aux autres, on comprend où il regarde, on voit ce que fait son avion... Bim. Bam. Boum.

La manière dont vous posez la voix est toujours indicatric­e de la performanc­e. C’est là que le personnage prend forme ?

Certains plus que d’autres. Je cherche à échapper à ma voix. Quand je lis un script, j’associe des sons à des personnage­s et je « fais des voix », comme si j’enfilais un costume. C’est un peu la base quand on joue à faire semblant. J’essaye de trouver une voix pour untel, de m’en défaire, et de passer à une autre. Mais certains de mes personnage­s ont tendance à s’influencer vocalement. J’entends des similarité­s entre

« J’AI APPROCHÉ LE RÔLE COMME UNE HISTOIRE DE POSSESSION IMPOSSIBLE. » TOM HARDY

Bronson et Alfie Solomons [le gangster yiddish qu’il interprète dans la série Peaky Blinders], ou entre Bronson et Ronnie Kray [ Legend], et du coup entre Solomons et Kray. Et merde, je le sais bien ! Mais je n’y peux rien, il y a un archétype de mecs qui parlent comme ça. Et certains archétypes ont des sons propres, des consonance­s universell­es. Le sergent-major de l’armée, acide et autoritair­e ? Il a un son !

Vous jouez tellement de gangsters aussi, c’est inévitable…

Il y a une part de moi qui aimerait faire plein de choses différente­s. Et puis il y a cette autre voix à l’intérieur qui dit : « Tu sais quoi ? Nan. Continue à jouer des gangsters parce qu’à chaque fois tu approfondi­s le sujet, tu vas plus loin dans la compréhens­ion. » Je devrais varier les plaisirs et m’éparpiller aux quatre vents ? Pourquoi ? Pour plaire aux gens ? « Oh regardez, il fait une comédie musicale maintenant, il est vraiment très bon ! » Nan... J’aime la dinguerie de mon métier. Et si quelqu’un vient me trouver et me dit : « Ça te plairait de jouer un autre maboul ? » Il est probable que je lui réponde : « Eh ben oui, figure-toi. »

C’est important de se transforme­r physiqueme­nt à chaque rôle ? Les perruques, les prothèses…

Je viens de jouer Al Capone, vieux et syphilitiq­ue, pour Josh Trank [ Fonzo, dont la sortie est prévue en 2019]. Ouais, mon pote : Le capo des capos ! Tu vois, je n’en sors pas... Cinq heures de maquillage par jour ! Un truc sauvage. (Rires.) Je suis content de jouer à la poupée jusqu’au quatrième, cinquième jour environ. Après, ça commence à me gaver de rester assis cinq heures sur une chaise... Mais oui, j’aime changer de look, c’est un outil de plus.

« VENOM, C’EST JEKYLL ET HYDE. UN ANTIHÉROS PARFAIT. » TOM HARDY

Il faut puiser dans le vivier de talents qu’on a dans cette industrie de saltimbanq­ues, explorer toutes les avenues. J’aime la créativité des make-up artists, j’aime bosser avec eux. T’as qu’à voir... (Il soulève son T-shirt, expose son torse couvert de tatouages.)

Parmi ces tatouages, lesquels ont un lien avec Mad Max ?

Aucun. (Il déplace son doigt, nous fait visiter.) Ça, c’est le nom de ma femme, là les initiales de mon ex-femme. (« Leo Knows All », sur son biceps droit) un pari perdu avec DiCaprio, (le chiffre 1338046) le matricule d’officier du meilleur pote de mon père, (la skyline de Londres) ça, c’est la maison... L’aventure Mad Max (il tapote le haut de son crâne), elle est tatouée là-haut.

Quand Mad Max : Fury Road est sorti, on pensait que Hollywood prendrait note de l’artisanat, du geste de créateur, et que l’industrie entière en serait changée. Mais il ne s’est rien passé…

Parce que ça coûte tellement d’argent ! Et ça représente treize ans de la vie d’un homme, George Miller, et de sa femme, Margaret, qui l’a accompagné à chaque étape de la production et a monté le film. Sans conteste le plus grand film d’action de ma génération ! Et progressis­te, en plus ! Mais ça demande une constituti­on particuliè­re, tout le monde n’a pas le profil. George Miller, Chris Nolan... Ils ont l’assurance et la maîtrise pour réussir ces gros films-prototypes. Ça coûte trop cher ! Un studio doit être certain de pouvoir se reposer sur le savoir-faire de génies visionnair­es comme eux, sinon... Je sais que beaucoup de cinéastes, ici et en Angleterre, ont regardé Fury Road en se mordant la lèvre. Ils l’ont tous vécu comme une masterclas­s, mais aussi comme une tâche herculéenn­e, un truc inatteigna­ble. Par la force des choses, et de la volonté de son créateur, Fury Road reste l’exception... On n’a qu’un seul Beethoven.

Vous parliez de revenir jouer Mad Max. Mais la franchise est actuelleme­nt gelée, non ?

Pourquoi ?

Des questions de bonus non payés. Miller intente un procès à la Warner… Vous n’êtes pas au courant ?

Non. Mais si c’est un problème d’argent, alors ce n’est pas un problème, tu vois ce que je veux dire ? Ça va se résoudre tout seul. Et tu sais comment ? Avec de l’argent ! Tout ce que je sais, c’est que j’ai signé pour trois films avec Warner, que j’ai de très bonnes relations avec eux et qu’ils ont pleinement l’intention de faire un autre Mad Max. Les embrouille­s avec George vont s’arranger, tout le monde va se taper dans le dos et on retournera dans le Wasteland.

Le téléphone de Tom Hardy sonne. Nicole, sa publiciste, le prie de se préparer pour la projection. Il est attendu dans une salle à deux rues de l’hôtel pour assister au dernier montage de Venom. L’interview s’achève. Tom Hardy nous prend dans ses bras. « Thank you, buddy ». Il doit ramasser les fringues de son fils près de la piscine. Et nos chemins se séparent… Mais quarante secondes plus tard, on le retrouve dans l’ascenseur, avec des sneakers et un maillot de bain Disney sur les bras. Pendant la descente, il révèle avoir de lointaines origines françaises, et nous sort une applicatio­n sur son portable pour le prouver. Au milieu d’une longue liste d’appartenan­ces génétiques, on lit : « 12,06 % South of France. » Et Hardy se lance dans le récit de sa traversée de la côte méditerran­éenne, quand il était ado. « J’étais à Béziers, Narbonne, Argelès... Tout ce bassin-là. Pfff, c’était n’importe quoi. » Le tout dans un français parfait. « Merde, vous parlez français ? » Mais on arrive au rez- de- chaussée, et il bascule son cou d’haltérophi­le pour nous « hugger » une seconde fois, avant de traverser le hall de l’hôtel d’un pas sec et cadencé (une bête trapue, en tongs), sous les regards médusés des clients. Impossible de savoir s’ils l’ont reconnu ou s’ils sont juste surpris de l’animal.

VENOM

De Ruben Fleischer • Avec Tom Hardy, Michelle Williams, Riz Ahmed… • Durée NC

• Sortie 10 octobre

«MON MÉTIER, C’EST DE REGARDER LES AUTRES. » TOM HARDY

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Venom de Ruben Fleischer
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Tom Hardy dans Venom
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