Première

Jean Dujardin

Jean Dujardin feels good

- PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

The Artist is back ! Grâce à Benoît Delépine et Gustave Kervern, Jean Dujardin retrouve un rôle à la hauteur de sa fantaisie funambule dans I Feel Good, où il campe un entreprene­ur velléitair­e, obsédé par le fric mais incapable de bosser. Une comédie comme il les aime, « ni low cost, ni prétentieu­se ». Rencontre avec un Academy Award Winner finalement plus heureux à Groland qu’à Hollywood.

PREMIÈRE : La particular­ité de votre rencontre avec Benoît Delépine et Gustave Kervern, c’est qu’elle s’est faite devant témoins. C’était à Cannes, en 2012, à la fête du Grand Soir. Et la légende raconte que vous vous êtes beaucoup amusé ce soir-là...

JEAN DUJARDIN : Je me suis carrément pété le pouce ! Je trouvais qu’il avait une drôle de tête, mon pouce, mais Albert Dupontel l’a mis dans la glace en m’assurant que c’était pas grave... Le lendemain, je me faisais opérer ! (Rires.) C’était une super rencontre. On s’est tapé dans la main en se disant qu’on se retrouvera­it. J’aime le cinéma de Ben et Gus, ce côté artisanal, leur univers anarcho-poétique, ils sont très forts pour faire des sortes de road-movies statiques dans des ZUP, des centres commerciau­x... C’est encore le cas dans I Feel Good, dans cette communauté Emmaüs.

Vous avez l’air tellement heureux dans ce film, on pense à Depardieu dans Mammuth...

Je savais que je pourrais m’épanouir avec eux. Pour plein de raisons : parce qu’ils ne font pas de champ-contrecham­p, parce qu’ils laissent jouer les acteurs, parce que les temps de jeu t’appartienn­ent... Tout ça donne une grande liberté. Et leurs films correspond­ent à ce que je recherche depuis toujours : n’être ni dans la comédie low cost, ni dans un truc prétentieu­x. Je me suis beaucoup lâché, c’est vrai, j’ai accepté d’être cabossé. Jacques Pora [son personnage dans le film] est un résistant. Même si c’est un con, il y va, il y croit. Enfoncez-lui la tête dans le sable, il la ressortira. Une mauvaise plante, quoi. Tenace. C’est un personnage un peu italien, à la Gassman, réaliste et invraisemb­lable à la fois.

Une sorte de grand enfant arrogant. À la Brice ou OSS 117...

Il y a un cousinage, oui. Même dans les dialogues. Le texte est très imagé, très riche. Je n’avais pas retrouvé ça depuis OSS. Il y a un vrai plaisir à dire des trucs comme : « C’est pas Karl Marx qui va t’aider à avoir un jacuzzi ou une pergola. »

Le personnage était très dessiné sur le papier ?

On l’a inventé ensemble. J’ai pris du poids, j’ai bronzé, je me suis voûté, je me suis fait une non-coupe de cheveux. Il fallait absolument casser les golfes.

On vous reconnaît trop, avec vos golfes ?

J’ai l’impression que c’est assez identitair­e, oui, ça me définit beaucoup. Casser la ligne de cheveux, c’est comme un reset.

En 2013, juste avant d’aller tourner Monuments Men avec George Clooney, vous disiez que vous préfériez tourner dans un bled près de Montélimar, où on peut boire des coups après le tournage, plutôt qu’à Hollywood...

Le problème, c’est qu’on a l’impression quand je dis ça que c’est une posture, du snobisme. Mais le fait est que j’étais bien, à Pau, à tourner I Feel Good dans un village Emmaüs, avec du beau texte, parce que ça me ressemble plus. Mes références viennent de là. J’aime beaucoup le cinéma américain, comme tout le monde, mais je ne suis pas américain, je ne parle pas américain, je ne suis pas forcément très heureux dans cette langue. De temps en temps, s’il y a une propositio­n intéressan­te, pourquoi pas... Avec I Feel Good, j’ai eu le sentiment de trouver quelque chose que je n’avais pas encore joué. Il y a plein de choses à explorer dans la comédie. Mais aujourd’hui, je ne veux plus le faire tout seul. J’ai besoin des metteurs en scène. Si on me laisse les clés de la baraque, ça va ronronner, je vais ennuyer les gens et je vais finir par m’ennuyer moi-même. J’aime bien être drivé, calmé, porté par des points de vue. Salvadori, par exemple, j’adorerais. Je ne l’ai pas approché parce que je ne sais pas faire ça, mais j’adorerais.

« AVEC I FEEL

GOOD, J’AI EU LE SENTIMENT DE TROUVER QUELQUE CHOSE QUE JE N’AVAIS PAS ENCORE JOUÉ. » JEAN DUJARDIN

Le film que vous venez de tourner avec Quentin Dupieux, Le Daim, s’inscrit dans cette logique, non ?

Quentin revient des États-Unis. On s’est rencontrés dans un bar. Ça l’a fait marrer de réaliser qu’en France, on peut entrer en contact avec un acteur en 24 heures alors que là-bas, ça prend des semaines, avec les agents, tout ça... Il m’a parlé de son projet, ça m’a fait rire, j’ai dit oui tout de suite. Encore une fois, c’est un truc que je n’avais jamais fait. Et là, c’est vraiment du pur artisanat. J’adore, parce qu’au bout de trois jours, vu qu’il n’y avait pas trop d’éclairages, pas trop de marques au sol, j’ai oublié que je tournais un film. Et c’est ce que j’aime : croire pendant mes cinq ou huit semaines de tournage que je suis un autre mec. C’est ça, mon rapport au cinéma... Après, bon, il faut parler du film, le vendre, il marche, il marche pas... Tout ça, c’est de l’ordre du miracle.

C’est plus compliqué qu’avant de savoir ce qui va marcher ou pas ?

Ah oui ! En cinq ou six ans, tout a changé, c’est dingue. À mon avis, c’est vachement lié aux réseaux sociaux. Faut faire avec, je suppose. Je crois que les gens ont envie de se voir au cinéma.

Se voir eux-mêmes ?

Oui. Voir des personnage­s qui leur ressemblen­t. Les chaînes et les auteurs vont dans cette direction, aujourd’hui. Comme je ne saisis plus trop la logique du boxoffice, je me dis qu’il faut continuer à rechercher une certaine exigence. Une émotion. Il ne faut pas être inféodé aux chiffres, ça rend fou. Il y a des acteurs très importants qui carburent beaucoup à ça, moi je n’ai jamais été dans cette logique.

Vous continuez à réfléchir à la question de la comédie populaire et sophistiqu­ée, mais dans une économie plus réduite...

J’ai l’impression que c’est ce qui m’intéresse aujourd’hui, oui. En tout cas, I Feel Good et Le Daim sont très cohérents par rapport à ça. Mais ça ne veut pas dire que je ne vais plus faire de gros films.

Un film comme Le Retour du héros aurait mieux marché il y a dix ans ?

Peut- être. Je l’aime beaucoup, ce film, il est drôle, il va vite, il est moderne dans ses thèmes... Mais il y a un truc qui a clairement freiné le public, ce sont les costumes.

Ça vous rend triste ?

Non, c’est comme ça ! Je me suis amusé à le faire. Et on a fini à près de 800 000 entrées, c’est quand même vachement bien. J’aurais voulu qu’il fasse plus, bien sûr. Juste pour pouvoir dire : les films en costumes ne sont pas morts, il y a encore de la place. Bah, en fait, non... Mais il ne faut pas être nostalgiqu­e de ce cinéma-là. Il y en a un nouveau à inventer, à trouver. Pour le coup, I Feel Good est vraiment dans l’air du temps.

On a le sentiment que l’Oscar a marqué un temps d’arrêt dans votre carrière. Il a fallu tout reprendre à zéro, faire à nouveau vos preuves...

Je l’ai eu à 40 ans, en plus. Symbolique­ment, c’est comme une mort artistique ! Aux États-Unis, c’est un passeport formidable. J’aurais pu m’installer là-bas, on m’aurait proposé tous les blockbuste­rs. Mais j’ai fait un truc inattendu : je suis rentré chez moi. Et on m’en a voulu. Ou du moins, j’ai eu le sentiment que je n’étais pas à ma place, que je faisais un caprice d’enfant gâté. L’après- Oscar, c’est un peu pénible pendant deux ou trois ans. Tout le monde vous imagine très loin, très haut, alors que vous avez toujours dit – mais on ne vous a jamais écouté – « Je reviens et je continue

comme j’ai toujours fait ». Même quand j’ai fait Möbius juste après l’Oscar, le metteur en scène [Éric Rochant] m’avait dit : « Je ne pensais pas que t’allais le faire. » Comment ça ? J’avais dit que je le ferais, pourquoi je ne le ferais pas ? Pourquoi je deviendrai­s un autre ? Les mecs étaient persuadés qu’on deviendrai­t fou à cause d’une statuette.

C’est un fantasme...

C’est surtout me prendre pour un autre ! Naïvement, j’ai pensé qu’on me dirait : « Bravo, bien joué, welcome, on continue. » Et c’est vrai qu’en faisant Brice 3, il y avait une petite provocatio­n de ma part. Le film a servi au moins à ça, à me faire casser la gueule, déjà, mais aussi à dire : « Je vous ai toujours dit que je reviendrai­s faire le con. » Parce que le cinéma, c’est pas grave ! Critiquez mes films, mais ne critiquez pas mes choix. Je me planterai, j’évoluerai, j’avancerai, je vous surprendra­i parce que j’ai besoin de me surprendre. Je ne ferai pas que des films américains, ni que des films d’auteur. Laissez-moi faire ce que j’ai toujours eu envie de faire !

Le personnage du double maléfique dans Brice 3 servait à ça, non ? C’était un épouvantai­l, une manière de dire que vous auriez pu devenir...

Ce connard-là, oui, il y a de ça... Mais Brice est une espèce d’oeuvre d’art, un truc gratuit. Ça n’a jamais été une comédie pour le grand nombre, ni une comédie familiale, c’est devenu un phénomène dans les cours de récré, mais ça n’a jamais été pensé comme ça. C’est un langage bizarre, quelque chose qui segmente énormément. Ça témoigne de mon envie d’être dans les marges. Gamin, je faisais beaucoup de petits dessins dans les marges. C’est sûrement un truc d’ancien cancre, mais j’ai l’impression que je continue de faire ça aujourd’hui. Ce n’est pas une posture, c’est juste que c’est plus marrant.

Pour en revenir à la question « Hollywood vs Montélimar », j’imagine que c’est plus compliqué de boire des coups le soir avec le cast des Monuments Men qu’avec Delépine et Kervern...

Franchemen­t, pas du tout ! Dans Monuments Men, je joue un petit Français ; ça n’a pas grand intérêt en tant qu’acteur, mais c’était bien pour mon album photo interne. Je me souviens des moments en bagnole avec John Goodman, il est très timide, moi aussi, on se dit deux trois phrases. Je me souviens des repas avec Clooney le soir... Quant au Loup de Wall Street, c’est trois jours à Brooklyn devant deux monstres absolus, une machine de guerre qui s’appelle DiCaprio, et Martin Scorsese, qui est un génie de délicatess­e, d’inventivit­é, de jeunesse. Mais je n’associe pas du tout cette expérience extraordin­aire à mon métier.

Pourquoi ?

Bah, déjà, tu ne comprends pas ce que tu dis. Enfin, si, je savais ce que je disais, mais c’est pas naturel, je ne retrouve pas mes syllabes, je ne timbre pas de la même manière. Je n’ai jamais compris ce Graal absolu qu’est le cinéma américain chez les acteurs. Le cinéma américain, c’est beau avec des acteurs américains ! Moi, ça m’a donné la sensation d’avoir une double vie. Tu te persuades que tu es américain parce que tu joues dans un film américain.

Vous jouiez à jouer dans un film ?

Exactement. C’est un truc un peu schizophrè­ne. Il y a aussi une barrière culturelle très forte, on n’est vraiment pas les mêmes. Quand je vois ce qu’on partage avec un acteur français sur un tournage... Il y a du vin à table, et au bout de deux jours, mon partenaire va me parler de sa mère, de sa famille, de ses angoisses. Un Américain ne te donnera rien de lui. Même entre eux, je pense qu’ils sont dans une tour d’ivoire. Il y a beaucoup de connivence­s, quelques hugs... Je ne dis pas que c’est faux, mais c’est leur fonctionne­ment. Quelque chose d’un peu en plastique, qui ne me convient pas. Il aurait peut-être fallu que je la joue Maurice Chevalier. Mais je préfère faire la caricature chez moi. On m’a proposé là-bas des choses qui ressemblai­ent à OSS... mais au premier degré.

Et quand on a déjà fait OSS...

Eh ben c’est pas possible ! Et ça m’aurait ôté la possibilit­é de faire un autre OSS ici. Ça

aurait été complèteme­nt con, du coup. Pire que le personnage !

OSS 3, d’ailleurs, on en parle ? Beaucoup de fans s’inquiètent : peut-on faire un bon OSS sans Michel Hazanavici­us ?

Pas tous les fans, j’en suis sûr... Disons qu’il y a quelques aficionado­s que ça tend un peu à ce stade. Michel a besoin de faire autre chose, c’est son choix. Ce n’est pas faute de lui avoir demandé ! Après, il y a un truc qui s’appelle OSS 117, qui est au départ une idée des producteur­s Nicolas et Éric Altmayer de chez Mandarin, qui est écrite depuis le début par Jean-François Halin, et qui a ensuite été proposée à Michel qui l’a adaptée. Bon. Je pense qu’on n’est pas des idiots, Jean-François a beaucoup de talent, et la personne qui réalisera en aura aussi. Parce que Michel ne veut pas, je ne devrais pas le faire ? Si c’est ça la logique, alors désolé, mais ça ne tient pas la route. On ne peut pas « gourouiser » un film à ce point. Franchemen­t, OSS 3... ça se tente, non ?

« JE ME PLANTERAI, J’ÉVOLUERAI, J’AVANCERAI, JE VOUS SURPRENDRA­I PARCE QUE J’AI BESOIN DE ME SURPRENDRE. » JEAN DUJARDIN

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Jean Dujardin dans I Feel Good
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Jean Dujardin et Yolande Moreau
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