Première

Sofia Boutella

Sofia Boutella, danseuse/comédienne à la présence stupéfiant­e, est le nexus de Climax, le dernier trip de Gaspar Noé. L’ex-Momie s’est soumise à la méthode très particuliè­re du cinéaste.

- PAR SYLSVESTRE PICARD

Une danseuse aux jambes tranchées. Comme tout le monde, on a découvert avec des yeux ébahis Sofia Boutella dans le premier Kingsman [ Kingsman : Services secrets de Matthew Vaughn, 2015]. Elle y interprète Gazelle, une super-tueuse aux jambes remplacées par une paire de lames mortelles. Un rôle dingo, et un sacré paradoxe : une super danseuse qui explose à Hollywood une fois qu’on lui a coupé les jambes. Kingsman, carton surprise et contre-programme très efficace à Cinquante Nuances de Grey à sa sortie, place direct Sofia Boutella sur le radar des producteur­s hollywoodi­ens. « Cela faisait deux ans que j’avais arrêté la danse pour devenir actrice et que je n’avais pas touché le moindre chèque. Ça commençait à faire long... Kingsman a changé la donne, c’est vrai. » Avant Gazelle, la danseuse formée au break et à la street dance s’était fait un nom (et des jambes) en dansant pour Jamiroquai, Madonna, Michael Jackson... ainsi que pour le chausseur Nike dans une série de pubs démentes en 2006. Mais elle n’avait que trois films à son actif : Le Défi (Blanca Li, 2002), Street Dance 2 (2012) et un petit rôle dans Monsters : Dark Continent (2014), suite de l’épatant Monsters sorti directemen­t en DVD dans l’Hexagone.

Après avoir botté les fesses des agents secrets anglais, tout change. Son physique élastique devient instantané­ment une source d’inspiratio­n évidente pour toutes sortes de créatures. Sous un épais maquillage, Boutella se transforme en alien dans Star Trek : Sans limites (2016). Femme fatale à la sexualité souple dans Hotel Artemis ou Atomic Blonde (où sa confrontat­ion avec Charlize Theron donne de beaux moments de cinoche), elle est finalement choisie pour La Momie (2017), face à Tom Cruise. Un échec planétaire certes, mais qui confirme que la comédienne a désormais un statut : « Je n’ai pas eu besoin d’auditionne­r pour La Momie, c’était une offre directe. En revanche, j’ai dû faire vingt-cinq screen tests de maquillage pour trouver le personnage... On a essayé plein de looks différents, le maquillage le plus long durait sept heures. » L’idée de la caster en

mort-vivant doté de pouvoirs apocalypti­ques était bonne : c’était donner à un monstre légendaire un vrai corps de cinéma. Un corps que l’on retrouve aujourd’hui devant la caméra de Gaspar Noé.

Le corps de Sofia

En 2017, le réalisateu­r d’Enter the Void et Irréversib­le hésite entre plusieurs projets, parmi lesquels un « film de danse », sans plus de précision. Pas besoin... « J’adore la danse, j’adore danser, mais quand je vais en boîte, je peux rester assis et passer des heures à regarder les autres bouger, explique Noé. J’avais envie de faire un film de danse où les danseurs pourraient être de véritables acteurs. J’ai embrouillé les producteur­s, je leur ai dit que je voulais faire un docu-fiction, je n’avais pas de scénario, juste une page de note d’intention... » Et c’est la vision de Sofia, de son corps en mouvement, qui fait office de déclic. « Gaspar est venu me chercher. Il m’a envoyé un message sur Instagram. “Vous m’avez ébloui, on peut se rencontrer ?” Il voulait explorer l’univers de la danse, il ne savait pas vraiment ce qu’il avait l’intention de faire mais les danseurs le fascinaien­t. Je lui ai demandé s’il désirait un chorégraph­e, il m’a dit qu’il n’en avait pas besoin. Je lui ai dit : “Ah non, ça va pas être possible.” (Rires.) Mais il voulait respecter l’essence des danseurs, leur style, leur identité propre... Je lui ai dit qu’un bon chorégraph­e en était capable. Je lui ai proposé Nina McNeely, qui a bossé avec Rihanna. Elle est sensible, elle a un goût particulie­r. Unique. Je savais qu’elle allait capter la vibe de Gaspar. » Le cinéaste confirme : « Nina m’a été imposée par Sofia : elle acceptait de faire le film seulement si je la prenais. Et c’était la meilleure idée possible. »

Le réalisateu­r assure n’avoir jamais vu de films avec Sofia Boutella, seulement ses clips ou quelques extraits. « Elle n’avait fait que des films “traditionn­els”. Alors elle me demandait sans cesse quel était le scénario, l’histoire. Je lui répondais qu’on allait l’écrire ensemble... Pas très rassurant, ça ! Il est sûr qu’en voyant Irréversib­le ou Enter the Void, elle a dû se demander dans quel vortex incontrôla­ble elle allait pénétrer... » De fait, le huis clos de Climax a été emballé dans une grande salle à Vitry en février dernier, en quinze petits jours. « On avait cinq pages de traitement, et puis c’est tout, raconte l’actrice. Je n’ai jamais travaillé ainsi. D’habitude, je bûche, je fais plein de recherches en amont. Là rien. On ne savait jamais ce qu’on allait tourner le lendemain... »

Cauchemar éveillé

Dans Climax, le corps de Sofia Boutella est la première incarnatio­n du vortex évoqué par Noé. Un tourbillon qui donne son mouvement au film tout entier, au bord de l’implosion. Elle joue Selva, autour de qui gravite une troupe de danseurs bariolée qui va basculer dans un cauchemar éveillé à la suite d’une prise involontai­re – et massive – de LSD. « Gaspar m’avait dit qu’il voulait filmer des danseurs sous l’influence d’une drogue assez forte... Mais au début il ne savait pas quel personnage j’allais jouer, ni quelle histoire on allait suivre. Il travaille comme ça : très organiquem­ent. Je lui ai dit d’accord, et je lui ai parlé de la scène du métro dans

Possession d’Andrzej Zulawski qui m’a toujours fascinée. Je me demandais justement si Isabelle Adjani avait travaillé avec un chorégraph­e tellement elle fait quelque chose de dingue avec son corps... J’avais toujours rêvé d’avoir l’occasion de m’en inspirer. Pour ma propre scène de “possession”, on a fait sept prises, très différente­s les unes des autres – c’était très éprouvant. Nina me guidait à chaque prise. Je n’ai jamais pris de LSD, ni de drogue qui puisse m’emmener aussi loin. Alors j’ai regardé des vidéos de gens sous l’influence de ce genre de substances et j’ai remarqué une constante : les drogues te poussent à te recroquevi­ller, à te blottir, à te refermer sur toi... C’est ce qui m’a donné l’idée de glisser mes mains dans mes collants et de tripper dessus. Gaspar a gardé la toute dernière prise. »

Transe collective

Climax se veut une expérience de transe collective dont chaque acteur a pu ressentir les vibrations. Sofia Boutella explique : « Climax m’a fait explorer des choses plus sombres, plus profondéme­nt viscérales que mes films précédents. Des zones très noires. Quand j’ai vu le film, j’ai été choquée. “Ah, OK, je peux faire ça ? Wow...” Pour la première fois, je ne me reconnaiss­ais pas à l’écran. » Un comble pour une comédienne si souvent ensevelie sous une tonne de maquillage... On se doute qu’une telle rencontre entre un cinéaste et une actrice – entre une vision et son incarnatio­n – ne se représente­ra pas de sitôt. Mais Hollywood reste à l’affût. En dépit de l’échec de La Momie, on a du mal à imaginer qu’elle ne se fasse pas recruter par Disney un de ces quatre matins, dans un Marvel ou un Star Wars quelconque. Une rumeur datant du début de l’année veut qu’elle joue la Mort elle-même (dont Thanos est fou amoureux dans les comics) dans Avengers 4 (sortie en mai prochain). Mais l’intéressée restera bouche cousue. « Marvel, ah oui ? répond-elle. Je ne suis pas du tout au courant. » Avec un petit sourire, quand même, histoire de laisser planer le doute. Et qu’on ne soit pas surpris un jour de la voir mener la galaxie à sa botte.

« CLIMAX M’A FAIT EXPLORER DES CHOSES PLUS VISCÉRALES QUE MES FILMS PRÉCÉDENTS. » SOFIA BOUTELLA

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Romain Guillermic et Sofia Boutella dans Climax
Romain Guillermic et Sofia Boutella dans Climax

Newspapers in French

Newspapers from France