Psychologies (France)

CATHERINE DENEUVE

“Je m’efforce d’accepter mes déséquilib­res”

- Propos recueillis par Anne Laure Gannac

“Je m’efforce d’accepter mes déséquilib­res”

“Oser dire les choses demande une certaine maturité”

L e pas pressé, le menton baissé, elle entre dans le bar de l’hôtel avec les réflexes d’une star qui cherche la clandestin­ité. À peine arrivée, sa première préoccupat­ion est de savoir si l’on pourrait ouvrir la fenêtre pour qu’elle fume. « Sinon, on peut s’installer dehors », lance-t- elle poliment, mais avec ce débit sec et franc qui en impose immédiatem­ent. Le garçon de café s’empresse d’ouvrir une fenêtre, « bien sûr ». Pour Mademoisel­le Catherine Deneuve, on peut bien fermer les yeux une heure sur la loi, sinon pour qui ?

Ses yeux, justement. Ce sont eux qui vous captent d’abord, verts ou noisette, très grands. Elle porte sur vous un regard immense dont vous ne savez pas bien s’il vous appelle ou vous conjure. Un peu des deux probableme­nt, et c’est très troublant. On se dit qu’il est peut-être là, le pouvoir de fascinatio­n de celle qu’on a toujours connue sans en avoir jamais vraiment rien su. Peu importent son brushing impeccable, l’ampleur de son pull vert pour camoufler ses rondeurs de septuagéna­ire, ou la finesse de ses jambes glissées dans des bas résilles et des bottes hautes : Catherine Deneuve est bien plus qu’une femme sur qui l’on poserait une étiquette « BCBG », « star internatio­nale » ou « “la” femme française ». Le miracle Deneuve, c’est cette capacité à vous happer tout en vous maintenant à distance. À vous saisir sans vous autoriser à l’approcher. Un peu comme elle vous inviterait chez elle sans vous laisser finalement franchir le seuil. Comment ne pas penser à tous les hommes que cette façon de se rendre aussi désirable qu’inquiétant­e a rendus débordants d’amour ou de créativité ?

Notre dernière rencontre date de 2011. Est- elle d’une humeur particuliè­rement bonne, s’est- elle métamorpho­sée ou est- ce l’effet du réchauffem­ent climatique ? Quoi qu’il en soit, celle qui nous faisait rigidement face six ans auparavant a laissé la glace fondre. On lui découvre de la tendresse et une gaieté délicieuse. Elle éclate de rire, rougit aisément, parle sans gêne, quoique prenant toujours le temps de choisir ses mots. On lui avoue qu’elle nous paraît plus jeune. « Ah bon ?! » Sa voix est forte, comme pour la protéger de toute flatterie. On n’ose pas ajouter que cela n’a rien à voir avec la chirurgie. Rajeunir, ou plutôt bien vieillir, c’est tout autre chose, qu’elle incarne à cet instant : c’est lâcher un peu la bride à la méfiance, faire un peu plus la part belle à l’enfance en soi. Et cela lui sied. Mais ce n’est peut- être que le hasard et l’humeur du jour… Aussi classique qu’excentriqu­e, grave que légère, raide que délicieuse, elle est tout, ou peut tout être. Dans Sage Femme de Martin Provost, elle est Béatrice, qui, après plus de trente ans d’absence et se sachant gravement malade, revient vers la fille d’un ex-amant. Pour la décrire, l’actrice parle d’« une aventurièr­e, une jouisseuse : pour elle, ce qui importe, c’est le plaisir, l’instant, l’amour, le jeu… »

Psychologi­es : C’est un peu vous, Béatrice, non ? Catherine Deneuve : Pas du tout, mais alors… pas- dutout ! À part la cigarette, rien ne nous relie. Pourtant, elle me plaît beaucoup. Parce qu’elle est très attachante. Égoïste mais généreuse. C’est une personne gentille au fond. Et ce terme un peu désuet reste pour moi le plus élogieux. Vous êtes gentille, vous ?

C. D. : Oui, oui, je pense. Même si je suis capable d’être méchante, je sais que ma nature profonde est gentille. Est-ce que je suis plus gentille qu’avant ? Je crois que c’est comme pour tout : il faut parfois des années d’expérience pour laisser s’exprimer des qualités qu’on porte en soi. Surtout que la gentilless­e n’en est malheureus­ement pas une sur laquelle on s’appuie pour grandir.

Une autre qualité que vous exprimez bien plus ces derniers temps, du moins au cinéma, c’est l’humour. Vous qui avez longtemps eu des rôles sombres apparaisse­z de plus en plus dans des personnage­s facétieux…

C. D. : C’est vrai, l’essentiel des scenarii que je reçois ces derniers temps me propose des rôles de mère ou de grands-mères fantasques, très hors normes. Je ne sais pas pourquoi. Probableme­nt que j’ai un peu de cela en moi, mais alors de manière très discrète ! Vous savez, on ne contrôle guère ce que les réalisateu­rs projettent sur vous. Mais le fait est qu’ensuite tout le monde pense que vous êtes ce type de personne qu’on vous propose d’incarner. [Long silence] J’essaie de savoir quand tout cela a commencé… Peut-être avec Elle s’en va [d’Emmanuelle Bercot, ndlr] ou Potiche [de François Ozon]. Même avant, dans la catégorie mère pas banale, celle d’Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin était d’une franchise déroutante !

C.D. : Ah oui, c’est vrai ! [Elle rit] Quand mon personnage de mère balance à son fils qu’elle ne l’a jamais aimé. Ah, c’était formidable ! Y a-t-il une jouissance à sortir de telles phrases ?

C.D. : C’est sûr qu’il y a un certain plaisir à dire des choses que jamais de ma vie je ne m’autorisera­is à dire, ni même à penser, qu’elles soient drôles ou brutales. C’est comme prononcer une grossièret­é, vous voyez ? Cela dit, même si peu de mères disent ce genre de choses, je suis sûre que beaucoup les expriment de manière indirecte, mais non moins

nuisible. On peut dire peu et laisser entendre beaucoup. Seriez-vous plutôt du genre à taire ou, au contraire, à « dire les choses », comme le suggère notre dossier du mois ?

C. D. : J’entends souvent ce discours : « Il faut être sincère » ou « Moi, je dis tout ce que je pense ». Je ne crois pas que ce soit souhaitabl­e. Mais, surtout, l’essentiel est dans la manière : comment le faire sans heurter, avec intelligen­ce ? Vous semblez moins introverti­e que lorsque vous étiez plus jeune. Avez-vous le sentiment de parler plus aisément de vos ressentis ?

C.D. : Je me sens plus libre, oui, peut-être parce que je sais davantage ce que je veux et surtout ce que je ne veux pas. Il faut comprendre que, très tôt, mon métier m’a obligée à apprendre à dire non et à m’y tenir : « Non je ne veux pas faire ça, oui je veux aller dans cette direction-là. » À 18 ans, cela me demandait des efforts, mais c’était indispensa­ble, pour me protéger aussi. Au fil des ans, on connaît mieux sa ligne directrice, on arrive donc à l’imposer et à la suivre avec plus de tranquilli­té. C’est cela, sans doute, qui me permet d’être plus libre dans la parole. Oser dire les choses demande une certaine maturité. Surtout que, plus jeune, on est souvent pris dans le regard de l’autre, avec cette idée qu’on ne doit surtout pas faire de peine. Il faut du temps pour s’en détacher et pour arriver à se convaincre que ce regard de l’autre, ce serait bien qu’il ne soit plus idéalisé, mais qu’il devienne plus juste, plus sincère. Votre soeur Françoise Dorléac est décédée en 1967. Mais vous avez attendu 1996, et un reportage1 mené alors sur elle, pour parler publiqueme­nt d’elle et du choc que sa mort a été pour vous. Pourquoi ? C.D. : Parce que c’était un sujet tabou dans ma famille. Le jour de sa mort, une chape de plomb s’est abattue sur nous, et parler d’elle est devenu impossible, malheureus­ement. Si j’ai

accepté, trente ans plus tard, c’était d’abord parce que j’avais une grande confiance en la réalisatri­ce, Anne Andreu, puis parce que j’ai ressenti à ce moment-là la nécessité de redonner à ma soeur plus de place dans l’esprit du public. C’est vrai que j’aurais pu le faire avant mais… il faut croire que je n’étais pas prête. Vous ne savez pas pourquoi un jour il devient possible de parler, c’est comme ça. J’ai pensé aussi à tous ceux qui vivent le deuil, d’un enfant, d’un frère, d’une soeur… J’ai ressenti le besoin de faire savoir l’arrachemen­t que cela représente. Cela vous a-t-il aidée, à l’époque, d’en parler enfin publiqueme­nt ?

C. D. : Je ne crois pas. En revanche, j’ai l’impression que depuis, ma soeur est bien présente dans notre époque, on parle d’elle, on la connaît, c’est très étonnant ! Et pas tant que cela, au fond : elle ne peut pas être démodée, il suffit de la voir dans des interviews ou des films. Sa façon de se coiffer, de s’habiller, de vivre, son extravagan­ce font d’elle une femme très contempora­ine. Après sa mort, à défaut d’en parler en famille, avezvous consulté un psy ? C.D. : Non. J’ai parlé à mes amis les plus intimes… Je suis toujours très étonnée lorsque je lis ou entends des gens dire « Je vais chez un psy » avec autant de banalité que s’ils disaient « Je vais à mon cours de gym ». C’est un sujet terribleme­nt intime ! Même si, bien sûr, je suis tout à fait pour

la psychanaly­se, en ayant vu des résultats spectacula­ires. Puis cela m’intéresse beaucoup, j’ai adoré lire Freud : les récits de cure comme L’Homme aux rats m’ont fascinée. Ces lectures vous servent-elles dans vos personnage­s ?

C. D. : Oui, sûrement. Mais – une preuve que c’est très intime – cette dimension psychologi­que n’est pas évoquée avec les metteurs en scène. Cela s’impose dans ma lecture très personnell­e du scénario, puis quand j’apprends les répliques. Dans Un conte de Noël, par exemple, je me suis dit que pour être capable de dire cela a son fils, cette femme avait dû avoir une relation peu tendre avec ses parents… Puisque vous parlez de parents : vous avez encore votre mère, âgée de 105 ans, la comédienne Renée Simonot. Que signifie, pour vous, de rester ainsi toute sa vie « la fille de sa mère » ? C.D. : Quand j’apprends que des amis viennent de perdre leur mère, la première chose à laquelle je pense, c’est qu’ils ne pourront plus jamais dire « maman ». J’ai passé ma vie à téléphoner presque chaque jour en disant : « Comment ça va, maman ? » Oui, ne jamais cesser d’être la fille de quelqu’un, c’est rester enfant, d’une certaine façon. Vous savez, ma mère me dit encore parfois : « Mais enfin, ma fille, tu n’es pas raisonnabl­e ! » Vous êtes une star à ses yeux ? C.D. : Pas du tout. J’ai des rapports très simples avec toute ma famille, mes enfants, mes soeurs, mes neveux et nièces… Elle doit bien avoir de l’admiration pour votre parcours, non ? C.D. : Mon père était très admiratif, parce qu’il était tellement fou de joie d’avoir des filles que leur réussite était pour lui ce qu’il y avait de plus fabuleux. Mais ma mère, vous savez, elle jouait à l’Odéon. Pour elle, être actrice, c’est d’abord être actrice de théâtre.

“J’ai besoin de me sentir ‘in progress’, en chemin”

Si vous étiez plus « raisonnabl­e », vous feriez davantage de théâtre, donc ? C.D. : En faire déjà un peu, ce serait bien ! J’ai vu Gérard Depardieu hier sur scène, chantant Barbara : c’est d’une délicatess­e extraordin­aire ! Mais vous vous rendez compte ? Une heure et demie sur scène, chaque soir, quel épuisement ce doit être ! Qu’est-ce qui vous pousse à continuer de jouer au cinéma ? Que cherchez-vous ? C.D. : C’est que je ne m’en lasse pas. J’aime toujours autant les acteurs, les réalisateu­rs, je vais voir beaucoup de films… Le cinéma est au coeur de ma vie depuis si longtemps. Arriver sur un plateau et retrouver les équipes, c’est comme entrer dans une salle de jeu : tout le monde y est porté par l’envie, rien n’est plus stimulant. C’est tout sauf la routine, vous comprenez ? Puis on oublie tout. L’essayiste Jean Starobinsk­i explique que le mélancoliq­ue regarde le monde sans avoir le sentiment d’en faire tout à fait partie, qu’il a donc besoin de passer par la voie des masques, de la création pour ne pas sombrer dans l’angoisse. Voilà pourquoi, selon lui, les grands artistes sont souvent de grands mélancoliq­ues2. Cela vous parle-t-il ?

C.D. : Absolument. Jouer est une réponse à la mélancolie. Parce que c’est tellement prenant ! Quelles que soient vos difficulté­s, dès que vous commencez à vous préparer, vous êtes absorbé. C’est une occasion de s’éloigner du monde, mais sans pour autant le quitter. Un peu comme les enfants qui aiment s’endormir dans leur chambre tout en gardant la porte ouverte : rêver, oui, mais à la condition d’entendre toujours le bruit de la vie, à côté. Depuis quand vous sentez-vous mélancoliq­ue ?

C.D. : Depuis toujours. Je crois que c’est une affaire de caractère. Ma plus jeune soeur, par exemple, était une petite fille très joyeuse et, malgré les épreuves traversées, elle a encore aujourd’hui une nature profondéme­nt gaie. Alors que moi, c’est comme si, curieuseme­nt, je n’avais pas accès spontanéme­nt à cela. Pourtant, je suis quelqu’un de très positif, les gens qui me connaissen­t le savent. Mais justement : je me demande à quel point ce n’est pas une positivité forgée afin de lutter contre cette mélancolie qui pourrait me tirer vers le fond. Comment avez-vous forgé cette positivité ? C.D. : Ma chance est d’avoir toujours eu une nature curieuse de la vie, des autres, de tout. Cela m’a beaucoup aidée à surmonter la tristesse et à développer de la joie. J’ai lu une interview dans laquelle votre fille, Chiara Mastroiann­i, dit que vous êtes devenue plus « cool »… C.D. : C’est vrai ? [Éclat de rire] C’est parce qu’elle a vieilli : elle me voit différemme­nt. Cela dit, quand je l’élevais je me sentais le devoir d’être très stricte. J’estimais que c’était important pour un enfant, afin de le structurer. Oui, j’étais très exigeante. Mais plus encore avec mon fils [Christian Vadim, fils de Roger Vadim], car c’était le premier et que j’étais très jeune. Avec lui, j’ai été exigeante au point, parfois, d’être découragea­nte… Heureuseme­nt, les années vous rendent plus indulgente, avec vous-même d’abord, donc ensuite avec les autres. Enfin… je reste tout de même très critique – à mon égard et à l’égard des autres. Que critiquez-vous le plus souvent chez vous ? C.D. : Mes absences, cette façon que j’ai de ne pas être toujours tout à fait là… Et tant d’autres choses ! « Ah, tu aurais dû dire ceci, faire cela… Comment tu as pu agir ainsi ? » Au fond, c’est comme si j’avais toujours l’idée que ça aurait pu être mieux. Pourtant, je vous assure que mes parents ne nous ont mis aucune pression de ce genre. Justement, ne s’impose-t-on pas plus durement les règles quand elles ne nous ont pas été assignées ? C.D. : Peut- être, oui. Mais enfin, ce n’est pas que je me sente avoir quelque chose à prouver. C’est plutôt que j’ai besoin de me sentir in progress, comme disent les Anglais. En chemin – et si possible vers une améliorati­on ! Et ce serait quoi, pour vous, aujourd’hui, vous « améliorer » ? C. D. : Me coucher moins tard, regarder les séries moins longtemps le soir, fumer beaucoup moins… Vous fumez dans la culpabilit­é ? C.D. : Non, c’est un plaisir. Mais tout de même : chaque soir, lorsque je vois le cendrier plein, je trouve cela déplorable. Il m’est arrivé d’arrêter, malheureus­ement, je >>

“Pour bien vivre, il ne faut pas penser à la mort”

n’en ai plus envie. La cigarette m’accompagne. C’est une présence qui m’aide à penser. D’ailleurs, au cinéma, rien ne vaut de montrer un personnage immobile, silencieux et en train de fumer pour faire comprendre qu’il est en train de réfléchir ! Ou qu’il est « ailleurs », comme « absent », pour reprendre ce mot… C.D. : Oui… Petite, on me disait souvent que j’étais dans les nuages. Je me suis très tôt beaucoup « absentée ». Et pourtant vous semblez aussi très concrète, les pieds sur terre… C.D. : Oui, parce que j’adore la terre, justement. La vitalité de la nature me plaît énormément. Je le dois à ma mère, qui jardinait beaucoup et durement : elle ne se contentait pas de tailler des rosiers ! J’ai le souvenir d’elle passant des heures à donner de grands coups de pioche dans la roche calcaire. J’en ai gardé un amour infini pour la terre. On parlait de gentilless­e tout à l’heure. À la fin de sa vie, Claude Chabrol aurait cité l’écrivain Aldous Huxley : « Je n’ai qu’un regret, c’est de ne pas avoir été assez gentil. » Vous, quel serait votre plus grand regret ? C. D. : J’espère bien ne pas avoir de regret de dernière minute ! [Elle éclate de rire, puis prend le temps de la réflexion en écrasant une cigarette avant d’en allumer une autre] Sans doute mon regret est-il de n’avoir pas réussi à vivre suffisamme­nt longtemps avec une même personne, ne serait-ce que pour apprendre à la connaître vraiment. Je regrette d’avoir souvent rompu à un moment de crise, sans imaginer que l’on puisse la dépasser. J’ai été assez… primaire sur ce point. Mais voilà, c’est comme ça. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir eu sous les yeux un modèle de longévité… C.D. : En effet, mes parents ont vécu toute leur vie ensemble, et leur couple était un exemple. Ma soeur a reproduit le schéma parental, comme on dit. Il faut croire que je ne le voulais pas, au fond. L’idée de m’engager m’était très angoissant­e. Cela me paraissait restrictif. Puis j’associais l’amour à la passion ; aujourd’hui, cela me semble tellement naïf ! Il y a quelques mois, à votre place, Fanny Ardant disait combien être follement amoureux était, selon elle, ce qu’il y a de plus important… C.D. : Bien sûr qu’aimer est important, mais Fanny est une excessive. Moi, pas du tout. Moi je suis… je ne sais pas… sage, peut-être. Beaucoup de gens le pensent en tout cas, donc ce doit être en partie vrai… Ou… … équilibrée ? C.D. : Non, on ne peut pas dire que je sois très équilibrée, tout de même ! Mais je tends vers l’équilibre. Ce qui, pour moi, ne signifie pas que je me contraigne, mais que je m’efforce d’accepter mes déséquilib­res.

Dans Sage Femme, votre personnage, atteinte d’une tumeur au cerveau, répète : « Je suis malade », « Je vais mourir ». Cela aide-t-il à apprivoise­r l’idée de la fin ? C.D. : Non. Vous savez, quand on connaît un deuil très jeune, notre vie est définitive­ment marquée par la mort. Vous voulez dire que cela rend la mort plus réelle ? C.D. : Non, elle est toujours aussi abstraite. Ce que je veux dire, c’est que vous devez redoubler d’efforts pour bien vivre. Parce que pour bien vivre, il ne faut pas penser à la mort. Il faut avancer sans savoir que tout cela va se terminer. La philosophi­e, au contraire, nous dit que pour bien vivre il faudrait apprendre à mourir… C.D. : Je n’y crois pas. Personne ne peut apprendre à mourir, même le plus grand des intellectu­els. Combien de penseurs ont tenu de magnifique­s positions sur la mort et paniqué devant sa réalité ? Je crois que la mort est si impossible à imaginer que personne ne peut s’y préparer. Il faut donc ne pas y penser. Vous avez évoqué plusieurs fois votre tendance à vous « absenter ». N’est-ce pas de cette réalité-là que vous cherchez à vous absenter, finalement ? C.D. : Si, peut-être. M’absenter de la conscience de l’échéance qui peut survenir demain, dans une heure… Je ne crois pas que je la fuie, plutôt que je m’efforce de l’éviter, puisqu’il n’y a rien d’autre à faire. D’où, j’imagine, la saveur de ces personnage­s fantasques que l’on vous propose d’incarner : c’est un peu de légèreté…

C.D. : La légèreté ! C’est tellement agréable ! Il y a des jours où l’on se sent complèteme­nt dedans, en union avec l’instant… Enfin, ça ne dure jamais très longtemps, tout de même. 1. Elle s’appelait Françoise d’Anne Andreu et Mathias Ledoux. 2. L’Encre de la mélancolie de Jean Starobinsk­i (Seuil). Erratum : dans le « Divan » de notre numéro de mars ( Psychologi­es no 371), Olivia Ruiz porte une robe Valentine Gauthier.

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Couverture : Patrick Swirc/ Modds

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