Et les parents dans tout ça ?
Comment s’en sortir au quotidien quand le trouble de son enfant prend toute la place, épuise et isole, déstabilise la fratrie et le couple, quand la prise en charge et la scolarisation relèvent du parcours du combattant ? Notre journaliste, maman de Lilou
Le 2 avril, la Journée mondiale de
sensibilisation à l’autisme permettra, comme chaque année, d’informer le public, d’alerter les familles, de dénoncer les manques de moyens quant à ce trouble étrange. À Psychologies, nous avons choisi de porter notre attention sur les parents de ces enfants différents. De lever le voile sur la vie des mères, des pères qui n’ont ni la force ni le temps de s’engager dans des combats médiatiques ou des associations, car ils sont seuls pour gérer au quotidien les difficultés suscitées par ce trouble neuro-développemental. Tous les enfants autistes sont uniques, chaque famille est donc particulière. Il reste qu’elles partagent un certain nombre de soucis, d’angoisses, de chagrins. Cet article ne rendra pas justice à toutes les situations, et sûrement pas assez aux moments de joie, mais il faut aussi dire le désarroi de ces parents « extra-ordinaires », plus oubliés, peutêtre encore, que leurs enfants.
Jules s’agite. Il sort de sa séance avec l’orthophoniste, et sa maman s’arrête pour parler avec une dame au lieu de prendre l’ascenseur. Cela fait quelques minutes à peine, mais c’est déjà trop pour lui. Il donne des coups de pied dans la porte, crie et finit par se rouler par terre. Sa mère soupire et dit : « Il faut que j’y aille… » Elle ne peut pas prendre cinq minutes pour elle. Jules a pourtant 10 ans, mais il ne comprend pas qu’elle ait besoin de voir des gens, de discuter… Emma a 2 ans. Ni sa mère ni son père ne peuvent la prendre dans leurs bras. Elle ne se laisse pas toucher. Aussitôt, elle sursaute, se tortille et pleure. Le câlin est impossible. Lou a 6 ans. Elle a beaucoup saigné au genou et pleuré en tombant de son vélo ; son grand frère, celui qui ne lui parle jamais, a éclaté de rire.
Jules, Emma et le frère de Lou sont porteurs d’autisme, un trouble neurodéveloppemental qui altère les capaci- tés à communiquer et les interactions sociales. Il y a autant d’autismes que de personnes avec autisme, et il faut se garder de réduire les individus à un schéma unique. Il reste que tous les enfants et adultes concernés montrent, à des degrés divers, une difficulté à partager les émotions : ils ont du mal à exprimer leur ressenti de façon adéquate, comme à décrypter celui d’autrui. Et cette caractéristique suscite chez leurs parents, mais aussi chez leurs frères et soeurs, un désarroi bien particulier. Que ressent-il au fond de lui, cet enfant qui refuse de croiser mon regard ? Qui ne sourit pas ? Qui ne réagit pas plus aux signes d’affections qu’il n’en montre ? Ou qui, au contraire, manifeste ses émotions avec une exubérance déplacée, les faisant sonner faux ? M’aime-t-il et sait-il que je l’aime ? Le Pr Catherine Barthélémy, pédopsychiatre, chercheuse à l’Inserm et aujourd’hui membre de l’Académie nationale de médecine, répond sans hésiter : « Ces enfants sont déroutants
dans tous les sens du terme, car ils nous font quitter nos chemins ordinaires de vie. Mais oui, ils aiment comme tous les enfants, ils sont remplis d’émotions et des sentiments les plus doux. »
Ce chemin, les parents le trouvent souvent au détour d’un sourire fugitif, d’un dessin ou d’une phrase inattendue qui les comble. C’est ce que raconte Cécile Pivot dans sa lettre à son fils de 22 ans ( publiée sous le titre Comme
d’habitude, Calmann-Lévy) : « Je me souviens de la première fois où tu m’as dit : “Je t’aime bien.” Tu avais 17 ans. Au moment où tu as prononcé ces mots, je me suis aperçue que jamais je n’avais envisagé qu’un jour tu puisses me dire “Je t’aime” ; mais “Je t’aime bien”, non, je ne m’y attendais pas davantage. » Le message reste cependant difficile à interpréter : « Passé l’étonnement, je me suis demandé si je devais me réjouir ou m’attrister. […] J’étais consciente que, pour toi, c’était un pas immense, mais que signifiait-il exactement ? Dans ton monde, cela voulait peut-être dire “Je t’aime plus que n’importe qui, grand comme l’univers, l’éternité, le ciel, à tout jamais”, ou cela ne signifiait rien de plus, rien de moins que les mots que tu venais de prononcer. »
Errance
Le chemin commence par la période d’errance en quête de diagnostic, ces mois d’attente de pédiatre en spécialiste. Paradoxalement, le fait que l’autisme soit aujourd’hui mieux connu ne facilite pas les choses. Tous les troubles du développement n’en relèvent pas, soulignent avec raison les médecins. Sauf que certains soupirent face aux familles : « L’autisme est à la mode… » « Mais pourquoi voulez-vous que votre enfant soit autiste ? » m’a demandé cette pédopsychiatre d’un Camsp (centre d’action médico-sociale précoce) quand je l’ai consultée pour Lilou, alors âgée de 2 ans. Ça a été comme une gifle. J’étais donc à ses yeux une sorte de monstre qui « voulait » que son enfant soit handica- pée, alors que je cherchais une explication qui me permettrait d’aller de l’avant pour Lilou, qui hurlait sa détresse en se roulant par terre sans raison.
Le soulagement qui suit l’annonce du diagnostic ne dure pas longtemps. Quelle prise en charge pour l’enfant ? Vers qui se tourner ? Et il faut faire vite, puisque tous les journaux disent que seule une prise en charge précoce permet aux personnes autistes de mieux vivre dans notre société. Mais comment faire vite alors qu’il faut déposer à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) un dossier complexe qui sera instruit en… six à huit mois ? Et comment rêver d’une « intervention précoce » quand les demandes d’admission dans un service éducatif ou une classe spécialisée se soldent par l’inscription sur une liste d’attente d’un, deux, trois ans… Et quel type d’intervention, d’ailleurs ? L’hôpital de jour ? Une rééducation comportementaliste dans une association ? À quel tarif ?…
Fatigue
Enfin, il y a le dossier négligé des adultes avec autisme, à propos duquel Éric Bizet, neuropsychologue au centre ressource autisme (CRA) d’Alsace, donne l’alerte. Combien de personnes placées, souvent sans avoir bénéficié de diagnostic, dans des établissements inadaptés à leur prise en charge ? Combien restent sans soutien, à 35 ou 40 ans, chez des parents vieillissants ? « Ce sont des parents fatigués, usés par le système, culpabilisés par leur impuissance, anxieux de ce que deviendront leurs enfants après eux », souligne Éric Bizet, qui enseigne aussi à la faculté de psychologie de Strasbourg.
Tout à leurs disputes saignantes sur les méthodes de prise en charge, qui ne